lundi 4 mai 2020

Euro obligations : le retour du serpent de mer européen


Déjà, lors de la première crise de la zone euro, l’idée d’euro obligations avait agité les cercles européens les plus extrémistes, français en tête, bien évidemment. Puis, Angela Merkel avait sifflé la fin de la récréation en mettant un terme fermement aux discussions sur ce sujet. Si on peut comprendre le besoin de solidarité des pays du Sud de l’Europe, une telle idée semble tout aussi irréaliste que mal venue.




Tout aussi infaisables que peu souhaitables



C’est le sujet qui continue à agiter l’agenda européen depuis le mois de mars. Dans une crise sanitaire et économique extraordinairement violente, et alors que l’Union Européenne ne se décide pas à les aider, tout en continuant parfois à leur savonner la planche, Rome et Madrid brandissent les coronabonds comme un juste retour des choses après tant d’années passées sous les fourches caudines austéritaires du machin européen. Mais, malgré l’effort mis par les deux capitales, on peut aussi penser qu’il s’agit d’une idée qui est agitée, sans forcément être leur véritable objectif, de manière à pousser leurs partenaires européens à enfin les aider dans cette crise. Les coronabonds ont sans doute davantage une utilité comme tactique de négociation plutôt que comme une véritable fin en soi.



En effet, l’historique des euro-obligations il y a dix ans n’augure pas d’une grande probabilité de réalisation. L’institut Bruegel s’était fendu d’une étude en bonne et due forme en 2011 qui avait suscité l’horreur de l’Allemagne (et d’une très grande partie des pays du Nord de l’Europe) en proposant de mettre en commun 60% de PIB de dette publique, soit 5600 milliards d’euros à l’époque (dont 1600 milliards de dette allemande). L’idée d’être caution solidaire de 4000 milliards de dettes des autres pays n’était alors guère populaire outre-Rhin, 14% seulement des Allemands la soutenant et 79% s’y opposant. En 2012, Angela Merkel était pour une fois sortie de sa prudence diplomatique traditionnelle pour dire qu’il n’y aurait « pas d’euros obligations de son vivant », mettant fin au débat.



Tout mécanisme un peu significatif par rapport aux dettes publiques de la zone euro, qui vont fortement augmenter dans les prochaines années, est invendable à des pays du Nord qui vont également affronter une augmentation de leur endettement et de leurs déficits, d’autant plus que ceux des autres pays leur sembleront abyssaux. Il faut rappeler également qu’à peine la moitié des pays de la zone euro soutenaient les coronabonds. En clair, les Pays-Bas ne sont pas les seuls à y être opposés, Berlin ayant été très clair à nouveau. Aucun mécanisme d’une envergure significative ne pourra passer. Au mieux, Madrid et Rome obtiendront quelques aides supplémentaires outrageusement maquillées pour sembler à la hauteur, comme lors du dernier conseil des ministres de l’économie de mi-avril.



Mais sur le fond même, ces euros obligations sont une usine à gaz impraticable, déresponsabilisante et aux multiples effets pervers pour qui en étudie un peu le fonctionnement, du moment qu’il ne s’agit pas seulement de financer quelques projets à un moment donné, pour une durée limitée. Toute véritable mise en commun, portant sur plusieurs centaines de milliards est une autre chose, sans même aller jusqu’à la mise en commun de la dette publique des pays de la zone euro à hauteur de 60% du PIB, comme l’imaginait l’institut Bruegel en 2011. Un projet important poserait de gros problèmes car les investisseurs pratiqueraient la « fuite vers la qualité », finançant à bon compte les euro obligations, mais poussant à la hausse le coût de la dette qui resterait nationale pour les pays les plus endettés…



En outre, un tel mécanisme a logiquement des chances d’avoir pour contre-partie une augmentation de la tutelle économique de l’UE sur les pays qui en profiteraient. En effet, il est tout de même un peu naïf de penser que l’UE pourrait emprunter des centaines de milliards à distribuer à tous les pays avec la caution finale de l’Allemagne et des pays du Nord, sans qu’il y ait le moindre mécanisme de contrôle strict des budgets nationaux. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’expérience Grecque montre que cette tutelle peut être particulièrement violente et anti-sociale. En outre, avec l’euro et une Banque Centrale Européenne qui a des pouvoirs de contrainte non négligeables, les pays qui en profiteraient pourraient bien faire un pacte avec un diable austéritaire qu’aucun recul social n’effraie…



Même si des gestes de solidarité avec les pays les plus touchés me sembleraient normaux, par-delà le fait que les euro-obligations ne me semblent avoir aucune chance de voir le jour, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Par-delà même les conditions qui y seraient probablement attachées, les effets pervers induits seraient trop forts, et cela représenterait aussi une fracture préoccupante de la responsabilité politique dans un système qui risquerait de promouvoir l’irresponsabilité.

2 commentaires:

  1. Infaisables et non souhaitables, vous avez bien raison de le rappeler. Ce qui est étonnant et plutôt désolant, c'est que cette fausse solution revienne encore à la surface.

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  2. Une analyse de l'arrêt de la cour constitutionnelle de Karlsruhe du 5 mai est attendue avec impatience.

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