jeudi 12 janvier 2012

La taxe Tobin, otage de manœuvres politiciennes


Sur le fond, comment ne pas être favorable à la taxe Tobin ? Elle peut faire davantage contribuer la finance à la collectivité, ce qui ne serait que justice, et réduire la spéculation. Mais le débat précipité sur ce sujet révèle toutes les incohérences et les failles du système actuel et des grands partis.

Mauvaises raisons

Pourquoi diable Nicolas Sarkozy se presse-t-il autant pour mettre en place une Taxe sur les Transactions Financières ? En effet, quel président sortant lance une réforme d’une telle ampleur en espérant la boucler début mars, à peine un mois et demi avant le premier tour de l’élection présidentielle ? D’abord, il est bien évident que cela lui permet d’occuper le terrain et d’essayer de passer au second plan son bilan et que cela lui permettra de dire qu’il a gouverné jusqu’au bout.

Mais ce n’est pas tout. Pousser cette réforme répond à deux autres objectifs pour le président sortant. Tout d’abord, elle permettrait de réduire un peu les déficits, ce qui correspond au nouveau discours rigoriste de l’équipe au pouvoir, malgré les dérapages des premières années. Ensuite, une telle taxe permettrait de donner un peu plus de corps à la réforme du capitalisme et de la finance dont Nicolas Sarkozy parle beaucoup mais pour laquelle il n’a pas fait grand-chose.

Mauvaises conditions

Le problème est qu’à faire une telle réforme de manière aussi précipitée, elle risque d’être totalement bâclée, comme l’a été le sauvetage de Sea France. Il y a un point juste dans le raisonnement du président, qui est de dire que la France doit avancer seule, même sans l’accord de nos partenaires européens. En effet, attendre l’accord de l’Union Européenne ou de la zone euro risque de repousser aux calandres grecques la réforme du fait de l’opposition de Londres notamment.

Mais le problème est que vouloir mettre en place une taxe Tobin sans avoir instauré au préalable un contrôle sur les mouvements de capitaux est suicidaire. En effet, pourquoi des capitaux volatiles s’échangeraient sur un marché où ils sont taxés alors qu’en un clic, il leur est possible d’être échangés sur un marché où ils ne le sont pas. La restauration des frontières est un préalable indispensable à une telle réforme et elle est naturellement oubliée par le gouvernement.

Une taxe indispensable et structurante

En fait, tout ceci montre le caractère opportuniste de cette proposition de taxe Tobin. Les réactions changeantes du PS et de l’UMP sur ce sujet sont totalement navrantes et démontrent la démagogie et le manque de sérieux des grands partis. Pourtant, il s’agit d’une réforme de fond, comme l’a souligne Joseph Stiglitz dans « La Grande désillusion ». La taxe Tobin est le moyen de réduire la spéculation et de faire davantage contribuer la finance à la collectivité.

Mais pour jouer ce rôle, il faut rétablir un contrôle aux mouvements de capitaux, ce qui permettrait de conserver la forte épargne nationale en France et de la faire revenir dans nos frontières. Voici un moyen de relancer l’économie ! En outre, en imposant des taux significatifs (au moins 0,1% de toutes les transactions financières), elle rapporterait théoriquement plusieurs dizaines de milliards même en ralentissant fortement la vitesse de rotation du capital.

La mise en place d’une taxe Tobin pourrait être le moyen de rendre la réforme du mode de financement de la protection sociale plus juste. Malheureusement, nous risquons d’aboutir à nouveau à une réforme mal conçue qui risque malheureusement de discréditer une bonne idée.

10 commentaires:

  1. "La taxe Tobin est le moyen de réduire la spéculation et de faire davantage contribuer la finance à la collectivité." Elles est surtout un instrument antispéculatif, comme l'envisageait Tobin lui-même. Peut-être ses recettes boucheraient-elles quelques trous ici et là, mais on ne peut à la fois résorber la spéculation et asseoir une recette stable sur elle ! Les altermondialistes ont commis la même erreur en prétendant lui faire financer le développement... S'il y a un principe fermement établi en économie, c'est bien que chaque instrument doit être calibré sur un objectif, et non sur de supposés avantages collatéraux.
    Tout à fait d'accord pour "rendre la réforme du mode de financement de la protection sociale plus juste" mais l'assiette de référence doit rester la valeur ajoutée et non les mirages financiers.

    Pour ce qui est de Sarkozy, ces annonces précipitées me semblent témoigner d'un affolement de bon augure. D'ailleurs Douste-Blazy et quelques autres second couteaux viennent de se rallier à Bayrou.Si la majorité se disloque, l'avenir parlementaire de ces "réformes" est sombre...

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  2. La taxe Tobin n’était elle pas au départ un moyen de redistribution vers les pays dit du sud ?

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  3. N'oubliez pas qu'une taxe Tobin à 0,1% a DEJA été voté il y a 10 ans et est sous réserve d'application que les autres pays de la communauté européenne l'adopte.

    On l'oublie bien trop souvent dans ce débat qui n'est donc du coup que gesticulations...

    Voici le lien:

    http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=E0964480AE201DBDE37BE3A8718D7B87.tpdjo12v_1?idArticle=LEGIARTI000020871344&cidTexte=LEGITEXT000006069577&dateTexte=20120109

    Cordialement,

    A.M

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  4. @ J Halpern

    Je pense que l'argument financier a également son importance car cela permettra de rééquilibrer notre fiscalité dans le bon sens.

    @ Patrice

    A l'origine, oui.

    @ A.M

    C'est juste, mais voter avec une telle condition, c'est aussi un peu de la gesticulation....

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  5. Je crois que "freiner la spéculation" et "modifier la répartition des prélèvements" sont deux rubriques différentes. La protection sociale a besoin de ressources stables, alors que celles de la Taxe Tobin seront très inférieures aux estimations actuelles sitôt que les bulles et les aller-retours frénétiques de capitaux seront résorbés. Je me demande si le plus opportun ne serait pas de l'affecter plutôt à un fond de stabilisation des changes...
    Pour ce qui est de la protection sociale, je persiste : la nécessaire stabilité des ressources doit reposer sur une assiette stable, a priori la valeur ajoutée, avec un lissage conjoncturel par la création monétaire.

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  6. Bien sur c'est une otage ou peut être mieux: une illusion!

    Mais c'est la système qui fonctione comme ça, en regardent noir/blanc, nous avons le choix entre domination (la droite) et le chantage (la gauche) c'est une marriage infernal entre la droite et la gauche.

    Solution: la divorce et co-opération.

    C'est un peut bref peut être mais j'espère compréhensible quand même?!

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  7. @ J. Halpern
    On doit donc s'attendre à une baisse rapide des recettes sur 2-3 ans, puis à une reprise lente ensuite, c'est ça?
    Je pense qu'il est vital pour l'économie de transformer les spéculateurs en investisseurs, la recherche d'investisseurs étant à la base la vocation même de la bourse. Est-il possible de taxer fortement, voire d'interdire, la revente "trop tôt" (mes connaissances en économie ne suffisent pas à évaluer la bonne durée), et d'exonérer les durées longues? Par exemple un taxe lourde dans la première année et l'exonération si on détient les actions depuis plus de 3 ans?
    L'objectif serait d'assainir, pas de récupérer du pognon.

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    1. Il ne s'agit pas de taxer la détention de titres ou de devises mais leur vente ; avec un taux très faible dans un usage normal, mais rédhibitoire pour un spéculateur qui achète et vend à très court terme. Mettons 0,1%. La taxe Tobin était destinée à stabiliser le cours du change, au départ, mais on peut étendre le principe à d'autres domaines.
      Ce n'est pas le seul instrument : on peut taxer les plus-values, ou ralentit le marché (Lordon propose de ne dénouer les positions boursières que tous les mois, me semble-t-il). En tous cas cela fait fuir les spéculateurs : d'où des recettes prévisibles bien plus faibles que ne laisserait penser le montant actuel des transactions à court terme.

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  8. Cette taxe est stupide en soi (d’autant qu’il y a d'autres façons bien plus efficaces pour mettre au pas la finance) et, dans le contexte financier international, même mortifère.

    Pourquoi stupide ? Parce que qui va payer ? Les financiers en acceptant de baisser les rendements qu’ils attendent de leurs fonds ? Certainement pas… Ils vont juste majorer les taux d’intérêts du montant de la taxe en question, le loyer de l’argent sera plus cher ; les particuliers, l’Etat et les entreprises devront donc débourser plus pour obtenir des crédits… Qui paye les entreprises et l’Etat ? Les particuliers ! Donc au final, seuls eux supporteront l’intégralité de cette taxe, dont on peut même supposer qu’elle ne rapportera pas grand-chose à l’Etat, quand on fera le différentiel entre ce que lui-même devra payer sur ses emprunts et ce que tous les autres devront payer pour les leurs…

    Pourquoi mortifère ? Pour information, les Suédois (peu suspectable de complicité avec « l'ennemi ») l'ont adoptée en 1985. Cependant en 4 ans, elle a provoqué une telle fuite de capitaux et un tel effondrement des opérations boursières (qui se sont délocalisées ailleurs) qu'ils l'ont abandonnée dare-dare (Le Canard du 11/01/2012). Ils y sont encore aujourd'hui, farouchement opposés, même si l'Europe entière l'adoptait.

    C’est là, où on comprend toute la valeur symbolique, manipulatrice et de basse politique de ceux qui prennent parti pour ce genre d’impôt… ça « fait bien » de vouloir taxer les méchants financiers, alors qui peut être contre ?

    Le PS avait la bonne attitude réaliste en soumettant l'application de cette taxe (votée en 2001 sous Jospin), à son adoption par l'ensemble des pays de l'Europe, même si cela reste une taxe stupide… Le voilà obligé de courir après Sarkozy pour dire que oui, oui, ils sont pour, sous peine de se déconsidérer auprès d’une certaine gauche… pitoyable…

    L’actuel gouvernement a supprimé, en 2008, l’impôt sur les opérations de bourse qui existait depuis 1893 (!!!), et il voudrait nous faire croire qu’aujourd’hui qu’il va faire cavalier seul en instituant une taxe équivalente, sans le reste de l’Europe, alors même que le calendrier parlementaire empêchera sa mise en application avant les élections.

    Tout ça n’est pas sérieux... et désespérant...

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    1. @ incognitoto
      "les Suédois (peu suspectable de complicité avec « l'ennemi ») l'ont adoptée en 1985. Cependant en 4 ans, elle a provoqué une telle fuite de capitaux et un tel effondrement des opérations boursières (qui se sont délocalisées ailleurs) qu'ils l'ont abandonnée dare-dare (Le Canard du 11/01/2012)"
      Voilà qui confirme ce que Laurent écrivait dans son article : la Taxe Tobin doit être soit adoptée par tous (hors de portée) soit couplée à d'autres mesures de contrôle de la finance et de financement de l'économie. L'argument de la "fuite" des capitaux n'est pas valable : ce n'est pas une taxe de 0.1%, ni même de 1%, qui suffit à décourager l'investissement productif. Les flux spéculatifs, oui. Mais une fois qu'ils auront "fui" le problème sera résolu (et de toute façon, un jour ou l'autre, ils "fuient", c'est bien le problème !)
      Quant à faire augmenter le taux d'intérêt, je ne vois pas pourquoi. Cessez de raisonner en "finance de marché", revenons aux fondamentaux : le taux d'intérêt varie en fonction du taux de réescompte fixé par la Banque Centrale. A moins qu'on emprunte à l'étranger, mais justement nous devons "relocaliser" le crédit.

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