dimanche 19 août 2012

Le Conseil Constitutionnel solde notre souveraineté


Début août, le Conseil Constitutionnel a estimé que le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui instaure une camisole budgétaire pour les Etats de la zone euro, ne nécessite pas une révision de la Constitution. Un double scandale, juridique et démocratique.

Un scandale juridique

Comme le souligne Magali Pernin du blog Contre la Cour, le premier point à noter est que, pour les précédents traités (Maastricht, TCE, Lisbonne) le Conseil Constitutionnel avait jugé qu’il fallait réviser la Constitution pour la mettre en conformité avec le nouveau traité européen. Il est bien évidemment surprenant que cette mise sous coupe réglée des budgets nationaux ne nécessite pas la moindre modification dans le texte qui régit notre organisation politique institutionnelle. En effet, ce nouveau traité européen met largement à mal la souveraineté budgétaire de notre pays.

Le Conseil Constitutionnel affirme que « la France est d’ores et déjà tenue à des règles de discipline budgétaire » (la limite de 3% du PIB de déficit public du traité de Maastricht) et que ce nouveau pacte « se borne sur ce point à reprendre, en les renforçant, les engagements existants » (en passant la limite à 0,5% du PIB). Mais cette argumentation est contestable. Tout d’abord, il faut noter que les règles édictées à Maastricht étaient beaucoup moins rigoureuses que celles de ce nouveau traité, beaucoup plus contraignant dans sa mise en œuvre. D’ailleurs, plusieurs pays ont pu ne pas respecter cette règle sans conséquences…

Ensuite, une limite de 3% n’a rien à voir avec une limite à 0,5%. Ce n’est pas parce que la France a accepté de limiter son déficit à 3% du PIB (à une époque où cette limite n’avait jamais été dépassée depuis près de 50 ans) que cela justifie de passer par une procédure beaucoup plus légère pour accepter une limite de 0,5% (limite toujours dépassée depuis 30 ans). En outre, il faut noter le côté arbitraire de la nouvelle règle puisqu’il s’agit d’un déficit structurel et non du déficit réel, qui sera calculé par les institutions européennes, ce qui leur donne encore plus de pouvoir, et justifiait par conséquent un changement de la Constitution.

Un scandale démocratique

Le point 30 du jugement du Conseil Constitutionnel qui affirme que «  l’article 8 ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » est proprement révoltant. Cet article définit justement les modalités de contrôle et de sanction par la Commission Européenne et la Cour de Justice Européenne, soumettant donc notre souveraineté nationale à une autorité supérieure. En outre, il faut noter que cet article donne le pouvoir à la Cour de Justice d’imposer une amende de 2 milliards d’euros à notre pays si nous ne nous conformions pas à l’avis de ces eurocrates apatrides et irresponsables.

Pire, l’avis de la Commission s’impose à moins qu’une majorité qualifiée d’Etats ne s’y oppose. Cette disposition, qui fait partie du mode de fonctionnement de l’Union Européenne, est proprement scandaleuse. En effet, cela permet à ces mêmes eurocrates d’imposer leur avis à une majorité simple d’Etats, ce qui est démocratiquement inacceptable et scandaleux. Il faut que plus deux tiers des Etats s’opposent à leur avis pour que l’avis de responsables démocratiquement élus puisse prendre le dessus sur le leur !

Plus globalement, cette décision du Conseil Constitutionnel est surtout un moyen d’éviter la confrontation démocratique sur le sujet épineux des règles européennes. Comme d’habitude, on évite le débat, pour faire avancer un droit européen anti-démocratique (puisque l’avis des eurocrates peut s’imposer à la volonté d’une majorité simple d’Etat). Il est tout de même ubuesque qu’un traité qui institue une véritable camisole budgétaire pour nos gouvernements ne nécessite même pas de modification de notre Constitution !

Le Conseil Constitutionnel a doublement failli à sa mission. Non seulement son jugement est juridiquement contestable. Mais en plus, il solde notre souveraineté budgétaire sans même demander de changer notre Constitution. Ce faisant, il abdique des principes démocratiques élémentaires contre la doxa européenne.

16 commentaires:

  1. Le Conseil Constitutionnel est bien à l'image de notre classe dirigeante, bien peu démocratique quand le vote du peuple ne correspond pas à leur souhait.

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  2. C'est comme ça.
    C'est le principe de la grenouille qu'on fait cuire dans l'eau froide. Au début, ça chauffe un peu mais on s'habitue; après c'est trop tard pour se sauver.
    Dès qu'on commence à accepter l'inacceptable, la demande suivante passe toute seule (si on a accepté le principe des 3%, ça ne change pas fondamentalement la donne en passant à 0,5%). Et c'est comme ça que la France perd sa souveraineté petit bout par petit bout... (que le peuple soit d'accord ou pas importe peu: il était d'accord au début -Maastricht- donc c'est qu'il est d'accord point barre -cf. Lisbonne,FESF, MES, etc.).

    [En lisant votre indignation -à la quelle j'adhère-, je n'ai pu m'empêcher de repenser aux discussions qu'ont engendrées vos 2 billets précédents. Parce que je trouve que votre position dans ces 2 billets -alors que vos contradicteurs vous disaient que le mariage homo ouvrirait la porte à d'autres revendications, ce que vous réfutiez- provoquerait les même conséquences que la décision du Conseil Constitutionnel: imaginez qu'on change la définition du "mariage" pour y permettre l'union homosexuelle, ça ne changerait pas grand chose ensuite de permettre l'adoption et pourquoi pas aussi la polygamie, la polyandrie ou l'inceste (d'adultes, frère-soeur par ex., ce qui se faisait chez les pharaons); puisqu'on aurait fait évoluer la définition du mot, pourquoi refuser des enfants aux personnes mariées légalement ou ne pas considérer que les autres cas possibles rentreraient dans cette nouvelle définition ?]

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  3. Le vice se tapit dans la Constitution de 1958 ; les constituants ont cru soustraire les traités internationaux aux caprices et incohérence des assemblées en les plaçant au-dessus de la Loi dans la hiérarchie des normes juridiques. Ce qui permettra à la règle de plomb de s'imposer aux assemblées et aux gouvernements, le seul moyen d'en sortir sera le coup de force ou le referendum. Une des réformes constitutionnelles les plus urgentes est d'empêcher ces abandons de souveraineté en catimini par la signature de traités sans consultation populaire. Par exemple le niveau du déficit doit être du ressort exclusif de l'assemblée - à elle de choisir de se conformer ou non à un traité (de toute façon idiot en cette matière).
    Dans l'immédiat, l'avantage de cette situation est que cette règle est peu légitime. Et comme elle a de grandes chances d'être inapplicable en plus d'être nuisible, elle sera facilement emportée par le coup de balai politique que nous espérons.

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  4. Je pense qu'il faudrait voir les choses d'une façon beaucoup plus étendue. En 1804, le 4ème président des US, James Madison, a déclaré que "La propriété privée et la démocratie sont incompatibles". Nous avons ici la base du libéralisme économique mais cette phrase est passée inaperçue car les Etats Unis ne comptaient pas sur la planète. Depuis, ils sont devenus les leaders mondiaux et se sont donnés les moyens d'imposer cette doctrine. Le seul à avoir tenté de s'y opposer depuis 1944 a été de Gaulle. Lui disparu, tous ces successeurs, qu'ils se réclament de la droite ou de la gauche, ont été mis en place pour favoriser la mise en oeuvre de cette politique destinée, au travers de la mondialisation, à pérenniser ce leadership américain.
    Ce processus étant par nature anti-démocratique, il faut donc, tout en laissant aux peuples l'illusion de leur souveraineté, trouver d'autres voies pour avancer. Toute la subtilité de l'affaire, et de Gaulle l'avait parfaitement compris, consiste à avancer sous un "faux nez" jusqu'au moment ou, le but devenant discernable, il soit trop tard pour réagir. De ce point de vue, la mise en place de l'euro a été parfaite, alors qu'elle n'était que l'aboutissement du projet AMGOT décidé par les américains en 1944. toute la soi-disant construction européenne est batie sur le même schéma.

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  5. Bonjour Laurent


    Tout à fait d'accord avec ce scandale qui concerne la démocratie et aussi une casse sociale sans précédent.
    LA QUESTION: QUE FAIRE?
    Des réunions partout avec les gens qui rejettent cette europe (partis, associations, mouvements de citoyens)?

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  6. Une fois encore nos dirigeants politiques nous imposent une décision antidémocratique et nous ne pouvons rien faire. Ça démontre bien que la France n'est pas une démocratie.

    Cette histoire nous montre que changer tout notre personnel politique est nécessaire mais non suffisant. Il faut une réforme en profondeur des institutions avec sacralisation de la souveraineté nationale dans la constitution, impossibilité pour les parlementaires et autres politiciens de changer la constitution et référendum d'initiative populaire.

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  7. @ J. Halpern

    Sauf erreur de ma part, ce n'est pas la Constitution de 1958 qui a permis de donner aux traités internationaux une valeur supérieure à la Loi mais la jurisprudence du Conseil Constitutionnel de 1975 (IVG) et, plus directement, celle du Conseil d’État de 1989, l'arrêt Nicolo. En effet, l'article 55 de la Constitution prévoit cette supériorité des traités internationaux mais la soumet, en théorie, au principe de réciprocité. Il a fallu une évolution jurisprudentielle pour que la supériorité des traités internationaux et donc du droit de l'UE à la Loi française soit établie.
    Je ne veux pas rentrer dans le détail mais, à mon sens, ce qu'il faut retenir et méditer, c'est le rôle essentiel du juge français et, surtout, du juge de Luxembourg sur l'avancée du fédéralisme antidémocratique actuel.

    Jean-Philippe

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  8. @ Cording

    Effarant qu’ils ne défendent même pas la France.

    @ Claribelle

    Habile ! Je ne l’avais pas vu venir. Je crois qu’ici la limite, c’est tout abandon de souveraineté, donc même la règle de 3% n’est pas normale. D’ailleurs, je m’y étais opposé en 1992. C’était mon premier vote.

    Pour faire un autre parallèle, je pense que l’on peut mettre des limites et qu’il ne faut pas mélanger les débats. Quand vous dites cela, c’est un peu comme quand certains disent que nous mènerions le pays sur la voie de la Corée du Nord si nous faisions du protectionnisme, au du Zimbabwe si nous faisions de la monétisation.

    @ J Halpern & Jean-Philippe

    Merci pour cette précision que j’ignorais. Il faudrait creuser ce sujet pour être absolument certain des choses qu’il faut faire pour mettre fin à ce détricotage de notre souveraineté.

    @ André

    Continuer à alerter l’opinion, par tous les moyens possibles.

    @ Raiden

    Je trouve très intéressante l’idée de mettre un verrou référendaire à tout changement de la Constitution. Très gaulliste.

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    1. Effectivement un des principes majeur d'une constitution est de protéger le peuple des abus de pouvoir. Donc par définition une bonne constitution ne peut être écrite et modifié que par le peuple et surtout pas par des élus sinon elle ne joue pas vraiment le rôle d'une constitution.

      C'est comme si je jouais à un jeu dont je pourrais moi même modifier les règles en permanence, je suis sûr de gagner.

      Si ce sont les types qui sont au pouvoir qui écrivent des règles pour eux mêmes alors on est foutus.

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    2. "Quand vous dites cela, c’est un peu comme quand certains disent que nous mènerions le pays sur la voie de la Corée du Nord si nous faisions du protectionnisme, et du Zimbabwe si nous faisions de la monétisation."

      très intéressant parce que c'est pas faux, et dans l'absolue toutes ces extentions ne sont pas fausse non plus... ce sont effectivement des questions que l'on peut se poser : où fixer la limite ? comment la fixer ? et pour quelle raison ?
      peut-on transiger sur la souveraineté, le doit-on, pour quelle raison, ou pas du tout ? peut-il y avoir jurisprudence sur ce point fondamental de la démocratie ?

      mon grand père me disait toujours que pour résoudre un problème, toujours se poser la question "de quoi parles-t-on ?". ce qui est aussi traduit par NDA en "un problème bien posé est a moitié résolu".

      Par exemple j'ai vu votre "enquète&débat" sur l'immigration, d'une très bonne qualité, il pose les limites des 100.000 au terme d'une réflexion sur le sujet et sur des sujets connexes a ce problème (balance migratoire, démographie, natalité, analyses d'autres pays).

      http://www.dailymotion.com/video/xic5fg_echec-et-mat-laurent-pinsolle-jean-yves-le-gallou-sur-l-immigration_news

      Age

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  9. Ce sont les Français eux-même qui ont "bradé" leur souveraineté en votant pour le traité de Maastricht et pour des partis eurobéats. C'est donc trop facile de pleurnicher sur les méchants politiques.

    Quand il s'agit de protester contre le CPE ou autre mesure touchant leurs enfants les Français sont dans la rue. Mais quand il s'agit de l'union européenne,on ne voit personne battre le pavé.

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    1. Assez d'accord avec vous sauf a considérer que les Français sont des idiots ce sont bien eux qui renvoient les copains coquins de l'umps a l'assemblé a chaque vote

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  10. N'y a-t-il pas une procédure qui permet au peuple de réclamer un référendum en constituant une demande émanant de plusieurs milliers de personnes?

    Genre, une pétition mais soutenue par tous les opposants à ces magouilles sans affichage ostentatoire des partis

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  11. @ Trubli

    Oui, mais nous avions voté "non" en 2005.

    @ Fred

    Oui, mais je crois que les décrets d'application ne sont pas passés et il faut de nombreux parlementaires pour permettre le lancement d'une telle procédure.

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    1. nous avons voté non en 2005 en avons en 2007 et 2012 envoyé les tenants du oui a la Presidence et l'Assemblée Nationale

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