dimanche 10 mars 2013

Jacques Sapir dénonce la tyrannie des experts et des juges


Après avoir décrit comment la montée de la dépossession de la démocratie, à travers un prisme néolibéral et montrer les dangers de la fétichisation du droit, Jacques Sapir montre que la souveraineté nationale est le moyen de lutter contre la tyrannie des experts et des juges.

Le danger supranational

La souveraineté s’exerce dans un espace réel, à travers le couple contrôle / responsabilité. Pour lui, « la négation des frontières est une démarche tentante. S’y retrouvent aussi bien les défenseurs les plus acharnés de la globalisation marchande que leurs contempteurs internationalistes les plus farouches. L’idée de frontière est a priori odieuse car ces dernières impliqueraient la séparation d’être que leur nature devrait unir ». Cependant, il souligne que « nier les frontières revient à nier ce qui rend possible la démocratie, soit l’existence d’un espace politique où l’on puisse vérifier et le contrôle et la responsabilité ». Dans une analyse similaire à celle de Frédéric Lordon, pour qui « en appeler au gouvernement mondial est le plus sûr moyen d’avoir la paix, entendre, pas de gouvernement du tout », Sapir soutient que « les frontières construisent en réalité les espaces politiques sans lesquels la démocratie ne saurait fonctionner ».

Pour lui, « les accords régissant les structures multinationales ou régionales, comme l’Union Européenne sont des éléments de droit international. Il s’’agit alors de règles de coopération et non de règles de subordination. Elles restent donc nécessairement limités et temporaires et peuvent être récusées à tout moment par l’un des partenaires. Elles ne sauraient fonder de légitimité propre. Tel est l’interprétation qu’en donne d’ailleurs la Cour Constitutionnel de Karslruhe ». En conclusion, pour lui, « prendre des décisions de l’ordre du politique au nom d’une légitimité technique institue le décideur en tyran. Dans le même sens, l’établissement d’un nouveau pouvoir à partir d’une décision entachée de cette forme de tyrannie fait émerger une dictature ». Il voit dans la non prise en compte des référendums français et néerlandais, un glissement vers la tyrannie, « un coup de force anti-démocratique ».

Les tyrannies techniciennes

Il reprend une définition de Carl Schmitt qui distingue deux formes de tyrannie : le dictateur, « qui arrive de manière injuste au pouvoir » et le tyran, « celui qui, arrivé de manière légale au pouvoir, en fait un usage injuste ». Il souligne que pour ceux qui sanctifient le droit en affirmant qu’« une procédure étant légale, elle devient par là même légitime », cela rejoint la thèse des partisans de Vichy. En revanche, dans une conception gaulliste, Vichy représente « une interruption de l’ordre démocratique, même si les formes de la légalité ont été respectées ». Pour lui, « la rébellion est donc légitime ; elle est même, pour reprendre la formule consacrée, le devoir de tout homme libre ».

Il dénonce les « tyrannies techniciennes », notamment dans le domaine monétaire. Pour lui « si le résultat des politiques monétaires ne peut être entièrement discuté dans le cadre de normes faisant l’unanimité de la population concernée, alors la politique monétaire relève du politique ». En ce cas, la décision de soustraire l’autorité monétaire à l’autorité politique a été un acte de tyrannie. Il souligne que « être réputé capable de prendre une bonne décision ne vous en donne pas nécessairement le droit ». En outre « pour affirmer que cette dernière appartienne au domaine du technique, il faudrait démontrer la parfaite lisibilité de la totalité de ses effets à travers une norme homogène, tâche qui est bien entendu impossible ». En outre, il note qu’il n’y a aucun mécanisme de sanction responsabilisant…

Il conclut en écrivant que « la tyrannie à laquelle nous conduisent ces institutions n’est certes pas celle des temps anciens. Elle ne prend pas actuellement la forme brutale et quasi-bestiale, des pouvoirs tyranniques issus de coups d’état ou du régime de Vichy. Mais ce sont bien, néanmoins, des tyrannies ». Pour lui, « l’ordre démocratique permet ainsi de réfuter les illusions d’une technicisation des choix politiques et de redonner toute son importance à la politique elle-même ».

13 commentaires:

  1. Sapir commence à soupirer!

    Sapir sera présent pour reconstruire derrière l'EURO.
    On peut compter sur lui.

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  2. Jacques Sapir est un esprit brillant. Il s'exprime clairement et il n'hésite pas à faire le lien entre l'économie et la politique. Il a parfaitement compris que les prétendues lois économiques derrière lesquelles s'abritent les partisans de la mondialisation ne sont qu'un masque destiné à faire accepter aux peuples la disparition de toute forme de souveraineté au profit d'individus mis en place par un système qui ne leur rendra jamais de comptes.

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  3. De Gaulle ne disait pas autre chose, et pour une démocratie renouvelée, nous rappelle l'état de guerre financière actuel.

    Je cite :
    Le terme de « démocratie » apparaît chez de Gaulle, pour la première fois, en 1941, dans un discours de Londres : « Et quand les démocraties devront refaire le monde sur les bases sacrées de la liberté humaine, de la souveraineté des peuples et de la coopération des nations, alors on pourra voir aussi ce qu'est et ce que vaut la France. » Le 2 octobre 1941, il précise : « La résistance française ... placera la démocratie française, renouvelée par ses épreuves, de plein-pied avec la victoire. » Le 27 mai 1942, lors d'une conférence de presse, il ajoute : « La démocratie se confond exactement pour moi avec la souveraineté nationale. La démocratie c'est le gouvernement du peuple par le peuple et la souveraineté nationale, c'est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. »
    http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1944-1946-la-liberation/reconstruire-une-france-nouvelle/analyses/de-gaulle-et-la-republique.php

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  4. Durant la Première Guerre mondiale, Clémenceau disait que la guerre était une affaire trop sérieuse pour être laissée aux militaires. Je le paraphraserai en disant que la politique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux technocrates... Les technocrates sont utiles pour élaborer des politiques, mais la décision doit être prise en dernier recours par le souverain, en l'occurrence le peuple.
    Le texte de J.Sapir, très dense, ne fait que développer l'intuition que P. Mendès-France a eue lorsqu'il avait dénoncé le traité de Rome en 1957, particulièrement à propos de l'abdication de la souveraineté. En effet, celle-ci qui ne pouvait se produire que de deux manières: soit remettre tous les pouvoirs à un homme providentiel (les deux derniers exemples récents en France étant Philippe Pétain pour le pire, et Charles De Gaulle pour le meilleur...), ou s'en remettre à des experts (on ne parlait pas de technocrates, à l'époque). Dans le dernier cas, Mendès-France affirmait que même si les décisions étaient d'ordres techniques, celles-ci aboutissaient toujours à définir une politique, façon de dire qu'on retombait bien dans le cadre d'une dictature au sens classique du terme...

    Le vrai problème selon moi, c'est moins l'abdication de la souveraineté nationale (la pratique de cette dernière est devenue problématique mais elle appartient toujours de jure à la France) que l'organisation de l'irresponsabilité de nos dirigeants, dont l'UE se rend complice (et non la responsable...). En fait, cela renvoie à un contournement du suffrage universel voulu par nos dirigeants, nos représentants!!!
    En effet, il semble que depuis la mort de Georges Pompidou, tous nos représentants (présidents de la République, ministres, parlementaires, etc...) veulent les attributs du pouvoir sans les responsabilités qui en incombent. Quel meilleur moyen que d'organiser son impuissance en renvoyant les torts causés par une politique qu'ils refusent d'assumer à la Commission de Bruxelles?
    D'autant que grâce à cette irresponsabilité, la démagogie est devenue la norme en politique: on considère que depuis 1992 et l'avènement de l'UE, les présidents de la République se font élire sur des politiques exactement contraires à celles qu'ils mettent en pratique (cf Chirac et sa fracture sociale, Sarkozy et la sécurité, Hollande et l'anti-austérité...).


    CVT

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  5. Plus de Sapir:entretien d'une heure avec lui

    http://www.youtube.com/watch?v=ddXjocM9-eY

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    1. Intéressant J Sapir déclare en clair que tous le monde y compris au gouvernement est persuadé de la fin de l'euro ; j'adore son coté historien sur la Saint Barthélemy .

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    2. @Patrice lamy,
      évidemment que tous politiciens savent que l'euro est mort! Paul Jorion a illustré ce qu'il se passait par une image très parlante: le Titanic est en train de couler, et l'équipage, avant de piquer toutes les chaloupes, est en train de vider les cales du bateau, des fois qu'il y aurait des fortunes à sauver...
      Si nous, qui sommes sur ce blog, savons à la lumière de ce qu'il se dit aux informations que l'euro est en perdition, alors il serait logique que d'autres mieux informés en tire les mêmes conclusions...


      CVT

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    3. Je ne connaissais pas la phrase de Jorion , l'image est excellente .

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    4. En dépit de sa lucidité, Jacques Sapir me semble surestimer le risque d’explosion sociale en France. Il pronostique dans son dernier papier de russeurope (http://russeurope.hypotheses.org/1007 : « Vers une crise de régime ? ») qu’une conjonction de colères (politique, sociale, identitaire) pourrait assez rapidement mener la France au bord de la guerre civile. Lorsqu’on constate la somme de souffrances que les peuples sont capables d’endurer, en Italie, au Portugal, en Espagne, en Grèce, en Irlande, et qu’on note par ailleurs qu’on est encore loin dans ces pays de situations insurrectionnelles, il y a motif à être sceptique sur la proximité du « Grand Soir » qui verra le système s’effondrer. Il y a encore beaucoup de chemin à faire, compte-tenu du degré d’intoxication idéologique des intelligentsias et des peuples.

      Je me demande si, au-delà de ses allures de Cassandre, Jacques Sapir n’est pas finalement un romantique. Peut-être est-ce son côté russe qui parle ici. Ou ce qui reste en lui de gauchisme. On le sent à l'œuvre dans son admiration pour Chavez. À vrai dire, bien que je ne sois ni russe d’origine ni gauchiste, je trouve cela plutôt sympathique. Et cela n’enlève rien à la qualité de ses analyses économiques. Sans doute notre époque a-t-elle aussi plus besoin de visionnaires capables de penser des ruptures que de froids calculateurs sans imagination.

      YPB

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  6. Que "la tyrannie ne prenne pas chez nous actuellement la forme brutale et quasi-bestiale" d'un régime comme celui de Vichy", c'est certain. Il n'empêche que le pouvoir actuel exerce une forte pression sur les citoyens français, dont il bafoue les droits, qu'il méprise et manipule. Quant à ceux qui proposent une alternative, ce seraient des "populistes" (beurk !). Ainsi sont qualifiés et "mis dans le même sac" MLP, Mélenchon et NDA.

    Nous, après avoir enduré cinq ans de boniments, de déclarations narcissiques et de promesses sans lendemain, nous devrions accepter les décisions toxiques et anti-démocratiques d'Hollandréou et des sociaux-libéraux. Cela ne saurait durer bien longtemps.

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  7. Sur un sujet connexe, voir les interviews du president de l"Islande sur le site de O. Berruyer.

    Independamment du pb de l'euro, etc.., on aimerait bien avoir des politiques de ce calibre. Son discours est un bol d'air frais et a cote les discours des politiciens de la zone euro sonnent vraiment comme des apparatchicks a la botte de la finance ou tout simplement de la mediocrite, sans imagination et dont le principal soucis est de ne pas contredire les "experts".

    Je pense que cela n'est pas un hasard si on ne trouve pas ces interviews (ou alors elles sont bien cachees) dans les medias dominants comme Le Monde...
    A contrario, les faire connaitre fait bien ressortir la nullite de nos dirigeants.
    Je ne connais pas assez ce President pour le juger, mais il suffit de voir qu'aucun de nos dirigeants n'aurait le courage ni meme l'idee de faire de telles declarations...

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  8. Si la tyrannie européenne n'est pas brutale c'est tout simplement, je pense, parce qu'elle n'en a pas besoin ! Les grands médias font parfaitement leur travail de sabotage tenace et quotidien de toute réflexion et toute idées alternatives.

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  9. @ Vilistia & Cliquet

    Pas mieux. La France aura besoin de lui.

    @ Wilfrid

    Merci pour ces rappels.

    @ CVT

    Très juste. Il y a un gros souci d’irresponsabilité, que l’on voit en France dans le discours de ceux qui réclament des euro obligations en oubliant que cela représenterait une charge supplémentaire de 4000 Mds pour le pays.

    Bonne image de Jorion.

    @ Anonyme

    Il faut que je regarde.

    @ YPB

    J’ai également tendance à penser que l’histoire prendra un peu plus de temps… En revanche, les élections indiquent que les électeurs en ont assez (cf Italie).

    @ Démos

    Je crois qu’un printemps européen bout dans les urnes…

    @ Anonyme

    Merci. Son dernier livre (O.Berruyer) est excellent.

    @ TeoNeo

    Médias sans doute, mais aussi circonstances historiques, élites et partis dominants…

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