dimanche 9 juin 2013

Une histoire des banques centrales, par Jean-Claude Werrebrouck


C’est un livre essentiel. La crise que nous traversons a démontré le rôle majeur des banques centrales. Dans la zone euro, elles sont totalement indépendantes. Dans d’autres (Japon), elles obéissent à l’Etat. Dans son livre « Banques centrales, indépendance ou soumission », Jean-Claude Werrebrouck décrypte l’évolution de leur rôle et de leur fonctionnement.



Les prêteurs de dernier ressort

Pour montrer leur importance, il souligne que, dans cette crise, nous avons bien vu que « sans elles tout s’écroulerait ». Mais il rappelle aussi que leur mode de fonctionnement a varié dans le temps, avec notre représentation de la monnaie, ce qui explique « cette immense boucle du 20ème siècle qui passe de banques centrales relativement autonomes à des banques centrales qui ne le seront plus du tout, pour voir réapparaître en fin de siècle des entités considérées comme complètement indépendantes ». Il rappelle qu’il existe deux excès à éviter : le manque de monnaie, qui plonge l’économie dans la récession, et son excès, qui érode la confiance et peut aboutir à l’hyperinflation.

Il rappelle que la monnaie est « un bien public sans lequel le retour à l’état de nature est assuré ». Il évoque la banque libre (où chaque banque émet sa monnaie, de manière concurrentielle, sans banque centrale). Cette école avait poussé les Etats-Unis à dissoudre en 1830 la Second Bank of the United States, mais la récurrence des crises financières poussa à créer la Federal Reserve en 1913. Il pose plusieurs questions. Tout d’abord, pourquoi les banques centrales sont devenues indépendantes à la fin du 20ème siècle ? Ensuite, il se demande si la création monétaire nécessaire à la croissance doit être le fruit des crédits faits par les banques, ou une création directe par les banques centrales.

En effet, la création de la monnaie telle qu’elle est faite aujourd’hui par le système financier est une sorte de délégation de service public donnée aux banques privées, sur un marché concurrentiel, pour leur seul profit. Il s’interroge également sur les bénéficiaires actuels des politiques des banques centrales. Enfin, il soutient que les banques centrales « sont créées pas les hommes, mais ces derniers en seraient dépossédés puisqu’ils n’ont juridiquement aucun pouvoir sur leurs dirigeants ». Dans une digression philosophique, il note qu’aujourd’hui, nous avons trop tendance à ne pas remettre en cause certains dogmes, comme l’indépendance des banques centrales ou le marché.

Banque de France : de la tutelle à la nationalisation

L’auteur fait un rappel utile de l’histoire des dettes publiques, jonchées de défaut, notant que les Etats avaient aussi le choix en 2008, d’annuler les dettes des banques (en totalité ou en partie, comme en Islande), plutôt que de les reprendre dans leur bilan. La première banque centrale (privée) a été créée en Angleterre en 1694 et les guerres ont souvent été des moments où l’Etat a repris le contrôle de la banque centrale pour financer son effort. Il note que « la monnaie ne peut être une brutale imposition comme la loi pourrait l’être : elle est à la fois imposée et acceptée ». Elle joue le double rôle de valeur universelle et de réserve de valeur. Pour lui, « les Etats modernes voient leur dette publique augmenter pour fait de mondialisation, qui, elle-même, glorifie le mieux-disant fiscal ».

Suite à une vague de défauts pendant la Révolution, la mise en place de la Banque de France en 1800 correspond à une volonté de s’inspirer du système anglais des consols qui permet à l’Etat d’emprunter sur les marchés (jusqu’à 228% du PIB pour Londres au 19ème siècle). Les déficits publics (seulement 7 années sont excédentaires de 1816 à 1899) permettent aux bons du Trésor de représenter la moitié de l’épargne nationale. Les marchés poussent à une défiscalisation des rentes sur l’Etat. Pour l’auteur, « la classe des rentiers dans son ensemble avait donc intérêt à un déficit ni trop important (pour risque de banqueroute) ni trop faible (pour limitation excessive de la rente) ».

La Banque de France telle qu’elle est créée en 1800 était une organisation privée « soumise aux injonctions publiques ». En 1806, l’Empereur prend le pouvoir de désigner le gouverneur et ses deux suppléants. Plusieurs lois permettent à l’Etat de récupérer une part de ses profits. En 1852, l’Etat rééchelonne sa dette et en diminue le taux d’intérêt. En 1870, la monétisation se développe, avec un rituel juridique précis : « le ministre des finances signe une convention avec le gouverneur, convention autorisée par une loi ». A partir de 1897, « les avances deviennent gratuites (sans intérêts) », et leur maturité augmente, jusqu’à 23 ans, « la durée de son privilège ». En 1908, une loi de 63 articles encadre son action. Pour l’auteur : « si la Banque émet de la monnaie, le pouvoir monétaire est entièrement aux mains de l’Etat, lequel fixe à intervalles réguliers le volume d’émission (…) taxée selon des procédures complexes, ce qui revient à dire que l’Etat est fiscalement intéressé à la croissance monétaire ».

La première guerre mondiale est l’occasion d’une « monétisation massive » et l’Etat récupère jusqu’à 85% des profits de la banque. L’auteur note que dans les années 1920, et notamment sous le cartel des gauches, « le gouverneur Robineau et les régents (prennent appui sur l’opinion et) se disent choqués par l’attitude du Trésor, déclarant ‘qu’il préfère se couper le poignet que de signer un nouveau billet’ (…) Curieusement, les entrepreneurs politique au pouvoir comprennent les remontrances des régents, et se déclarent farouchement opposés à la monétisation de la dette publique ». Le personnel politique de ces années utilise néanmoins le réescompte des bons auprès de la Banque de France pour assurer le financement du Trésor, que la Banque ne peut pas refuser. La loi de 1936 clarifiera cette possibilité pour les titres venant à échéance dans un délai de trois mois maximum.

La seconde guerre mondiale produit le même scénario et aboutit à une monétisation massive : « entre le déclenchement des hostilités et la Libération, ce n’est pas moins de vingt-cinq conventions, soit en moyenne une tous les soixante-dix jours, qui vont porter les avances, sans intérêt cette fois, à 411 milliards de francs. La Banque et ses propriétaires seront remboursés en monnaie fondante, la dépréciation monétaire annuelle moyenne se fixant à environ 45% entre 1945 et 1949 ». Pour l’auteur, « la loi de nationalisation du 2 décembre 1945 apporte de la clarification : la Banque de France était de fait publique depuis sa naissance, elle le devient en droit le 1er janvier 1946 ».

D’un instrument du Trésor à l’indépendance

Le pouvoir gaulliste étend le principe des avances aux entreprises et établissements publics. La loi du 2 janvier 1959, sans équivalent dans le monde, impose à tous les acteurs financiers d’avoir un compte auprès du Trésor Public, interdit de découvert, et contribuant ainsi à la liquidité du Trésor. Elle complète la loi du 2 décembre 1945 qui « impose aux quatres banques les plus importantes du pays un système de planchers de bons du Trésor (25% des exigibilités bancaires sont converties en bons du Trésor en 1948) ». En 1955, le Trésor est ainsi le premier collecteur de fond du pays avec 695 milliards de francs contre 617 pour le secteur bancaire ! Mais la relative extinction de la dette publique va faire baisser le taux, qui sera supprimé en 1967 et remplacé par un système de réserves obligatoires.

La loi de 1973 arrête officiellement la monétisation, mais « n’interdit pas encore – dans son article 19 – le jeu des avances et prêts qui assurent la liquidité du Trésor ». L’indépendance sera mise en place dans les années 1990, suite au traité de Maastricht. C’est la loi du 12 mai 1998 qui précise que les dirigeants de la banque « ne peuvent ni solliciter ni accepter d’instructions du gouvernement ou de toute autre personne ». Son article 5 précise « qu’il est interdit à la Banque de France d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics ». Pour l’auteur, les hommes politiques se sont expropriés eux-même !

En synthèse, « une banque centrale est une institution, logée dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique et chargée d’exprimer le rapport de force entre les deux, par des actions concernant la circulation monétaire, la monnaie elle-même et la dette. La position relative des deux pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation radicale / opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire ». Pour lui, aujourd’hui, « les banques centrales s’éloignent des Etats et se rapprochent de la finance. Les Etats ne disposent plus d’un prêteur en dernier ressort, lequel ne fonctionnera comme tel qu’au seul profit de la finance ».

Après ce rappel historique qui a le grand mérite de montrer qu’il existe bien d’autres types d’organisation que l’indépendance actuelle, l’auteur se demande quel statut donner aux banques centrales.

Source : « Banques centrales, indépendance ou soumission », JC Werrebrouck, éditions Yves Michel

25 commentaires:

  1. La dette.....la Finance .....
    Question de BON SENS !
    Je ne suis pas un analyste financier...., je ne suis expert en rien... mais, je crois être animé de bon sens, par la connaissance du terrain.
    La dette de la FRANCE existe à un niveau tel que la faillite nous guette.
    Ce n'est pas une fatalité, c'est le fait de "gestions politiciennes alternées gauche-droite depuis 40 ans"
    Ces gestions (dont le terme n'est pas approprié à nos gouvernants)au coup par coup ne sont que l'administration d'un pays.... sans prévision, sans prospectives, basée uniquement sur la dépense, le laxisme et la peur de mouvements sociaux profonds : on fait de la "bobologie"
    Que feraient les chefs d'entreprises, s'ils procédaient ainsi ?
    l"emprunt, donc la dette, n'est pas interdit, mais ces emprunts doivent être mesurés, contenus...
    La gestion de l'état ne répond pas à cette règle ? on ne peut pas dépenser plus qu'on ne gagne !!
    Une entreprise ne peut pas "continuer à fonctionner" sans équilibre, elle n'a pas le droit, ni la possibilité d'avoir des budgets en déséquilibre ? sinon, c'est la faillite.
    Un ménage, est soumis à la même règle, l'endettement oui, un endettement mesuré, les appâts financiers, les cartes de crédit, conduisent au "surendettement" sur le dos de qui ?
    En celà, ils sont à classer au même rang que l'état !!!
    UN état doit être géré en "bon père de famille"
    Les bons pères de famille font leur budget et ne dépensent que ce qu'ils reçoivent ils font des PREVISIONS...
    La FRANCE, EST MAL GEREE, Elle est totalement confiée à des "rêveurs" qui ne pensent qu'à soigner leur EGO..., qui ne font appel qu'à des "conseillers rêveurs", se reposant uniquement sur des idéologies, des théories, des suffisances....
    Toute méthode de gestion prévisionnelle, rencontre des "difficultés de parcours", des accidents dans l'activité, des clients défaillants etc....
    L'état sur les conseils de théoriciens n'incluent jamais ces "accidents de parcours" Pour y faire face, ils empruntent.... C'est le budget complémentaire (ajustement) en cours de parcours annuel et encaissement sur l'exercice suivant !!!!
    Ce raisonnement, bien loin d'être simpliste, est le reflet de la réalité :
    UN ETAT devrait suivre la logique de gestion des entreprises.
    Les FAMILLES devraient aussi suivre cette logique et ne pas répondre "aux sirènes de la finance", mais prévoir...
    Nous y parviendrons quant la FRANCE retrouvera sa souveraineté, qu'elle ne devra "plus se coucher" devant les fonctionnaires européens et qu'elle ne sera plus administrée "QUE" par des fonctionnaires français, mais par des professionnels et non exclusivement par des politiques et des théoriciens....
    Debout citoyens

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  2. @Gilco 56
    Vous comparez un Etat à un ménage ou a une entreprise; cette comparaison est fallacieuse pour de très nombreuses raisons (j'essayerai d'y revenir dans la journée)
    De plus, un "déficit zéro" nous emmène plus surement que les dettes, à la catastrophe : http://www.chomage-et-monnaie.org/2012/05/pourquoi-un-deficit-0-est-impraticable/

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  3. @A-J Hollebecq
    à chacun son point de vue mais, un état ne peut pas demander aux autres, ce qu'il ne s'impose pas à lui même ? e surtout qu'il peut dépenser à outrance sur le dos des contribuables.....et, de leurs petits enfants !!!!

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    1. Laissez donc vos petits enfants hors de ce débat, par pitié.
      C'est bien gentil de faire allusion à l'héritage des dettes en passant sous silence l'héritage des créances concomitantes... Pour mieux dissimuler la redistribution " a l'envers" qu'on défends becs et ongles...

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    2. @gilco56 un État, un ménage ou une entreprise sont vraiment des entités différentes.
      Un État qui aurait un budget en excédent cela n'a aucune logique économique: cela voudrait dire qu'il pourrait améliorer le sort de ses citoyens (construire des hôpitaux, des écoles...) mais qu'il s'y refuse.
      Comme vous le dites un État doit faire des prévisions: prévoir le développement du commerce (construire des routes, des voies navigables etc.), prévoir les problèmes énergétiques (hier investissement dans le nucléaire, aujourd'hui les énergies renouvelables), prévoir la formation de sa population de demain (investissement dans le capital humain) etc etc.
      Toutes ces prévisions ont un coup ce qui ne peut que correspondre à la formation d'une dette.

      Cette précision faite ce qu'il faut regarder ensuite c'est la gestion de l’État. Contrairement à ce que l'on nous rabâche, la part des dépenses publiques par rapport au PIB est stable depuis les années 1980. Ce qui a fondu considérablement, en revanche, ce sont les recettes. L'impôt a été la cible des trente dernières années sous le prétexte moins d'impôts = plus de croissance; équation complètement fausse fondée sur la courbe de Laffer qui n'a jamais été prouvée par les tests économétriques mais passons.
      Les riches ont été ainsi doublement gagnant:
      -d'un côté ils ont payé moins d'impôts
      - de l'autre, ayant plus d'argent disponibles, et dans le contexte de banques centrales indépendantes, (car en plus on a fait de l'inflation le principal danger économique), ils ont pu placer cet argent tranquillement (dont une partie en Bons du Trésor) et donc demander à l’État des intérêts
      Moins d'impôts et plus d'intérêts, double victoire.

      Cette dette n'est pas tombée du ciel, elle est venue, tranquillement grâce à des choix politiques (d'hommes ayant généralement des rapports étroits avec la finance, pensons à un Thierry Breton par exemple).

      Il fut un temps où les dirigeants politiques ne passaient pas leur temps à trembloter en voulant à tout prix rassurer les marchés qui leur faisaient quotidiennement du chantage à la dette. Le problème de la dette, qui est quelque chose de récurrent dans l'histoire de France, a vu de nombreuses solutions
      - Philippe le Bel va résoudre cela en piquant la vaisselle des riches et en brûlant les templiers
      - Sully effectue un véritable audit de la dette publique et décide qui rembourser ou non.
      - Colbert s’attaque à tous les rentiers du Royaume en décidant de racheter leurs créances à un prix dérisoire. Les bourgeois se révoltent. Les meneurs sont menottés et embastillés.
      -Poincaré, le sauveur du franc, effectuera une dévaluation de 80%
      - Après 1945 De Gaulle fera le choix de l'inflation et son corollaire: les dévaluations.

      Bref, à lire:"Vive la banqueroute" de Thomas Morel et François Ruffin http://livre.fnac.com/a5779788/Francois-Ruffin-Vive-la-banqueroute

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  4. Laurent,
    la lecture que j'avais faite de cet ouvrage il y a quelque mois avait représenté un choc intellectuel, car comme beaucoup de Français peu frottés aux évolutions de l'économie politique (et à mon avis tout est fait dans le système éducatif que je connais un peu de l'intérieur pour que les consciences soient le moins éclairées possible sur ces données centrales) et donc à la nature et la gestion de la monnaie, j'ignorais l'essentiel de ces questions.
    Le résumé que vous en livrez me paraît par conséquent hautement stratégique pour le mouvement politique que vous contribuez à construire. Il faut d'urgence diffuser les analyses de J.-C. Werrebrouk, qu'au moins les lecteurs et contributeurs du blog en discutent.
    Le rôle des guerres et des crises majeures, notamment économiques, dans l'élaboration et la justification du "circuit du Trésor" (c'est ainsi que l'auteur nomme le dispositif qui permet à la puissance publique d'imposer un contrôle total sur une banque centrale afin d'éviter de se faire dicter sa politique économique par les prêteurs privés sur les marchés financiers) doit être souligné, car il y a là la manifestation du principe de réalité totalement nié par les dogmes monétaristes actuels.
    Beaucoup s'imaginent par exemple aujourd'hui que les investissements, directement productifs mais pas seulement, ne sauraient être financés quand un Etat est endetté, alors que les seules limites à la réalisation de tels investissements sont les ressources matérielles et les capacités technologiques de la population sur lesquelles peuvent compter les dirigeants de ces Etats. La monnaie, avant tout convention politique, est considérée comme un obstacle, que précisément l'urgence dissipe immédiatement lorsqu'une guerre éclate. Or ne peut-on considérer que la France est plongée dans une guerre économique ? Les vaches sacrées de la stabilité monétaire à tout prix et de la nécessaire adaptation par les coûts du travail à la mondialisation prennent par la bande une volée de bois vert dans l'ouvrage de Werrebrouk.
    Francis Commarrieu.

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  5. "mais la récurrence des crises financières poussa à créer la Federal Reserve en 1913."
    Anthony Sutton, dans "Le complot de la Reserve Fédérale" décrit le mécanisme de ces crises qui étaient, selon lui, orchestrées par les banques qui allaient devenir les propriétaires de la FED.
    C'est justement pour pouvoir imposer la FED au peuple américain(et l'impot fédéral en même temps) qu'elles ont organisé l'assèchement de la monnaie en 1907 notamment.
    De fait, le projet de la FED était ficelé dès 1910 mais il a fallu attendre de faire accéder au pouvoir des hommes politiques qui y étaient favorables, ce qui fur réalisé le 23 décembre 1913.
    Cet article est par ailleurs remarquable mais il omet toutefois un aspect: qui posséde les banques centrales? On a l'impression que, si l'Etat ne possède pas sa banque centrale, elle s'appartient à elle-même....

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  6. S’agissant de la Banque Centrale Européenne, l’une des conséquences de ses prérogatives limitées du fait de caractéristiques institutionnelles particulières de la zone euro (union monétaire d’Etats souverains sans union de transferts et Etat Fédéral) est la surévaluation de l’euro (ou l’évaluation de l’euro en tenant compte surtout de l’économie le plus performante, c’est à dire l’économie allemande). La BCE ne fait pas car elle n’a pas le droit de le faire ce que font les japonais, les britanniques ou les américains pour déprécier leur monnaie. Voir ce texte de Patrick Artus « L'euro fort est-il une fatalité? » Citations: « Les marchés s'inquiètent de la très forte expansion monétaire des États-Unis et du Royaume-Uni » (il en va actuellement de même pour le Japon) « et des difficultés de ces deux pays pour réduire les déficits publics ».

    Ces politiques de très forte expansion monétaire consistent notamment à l’achat des bons du trésor par la Banque Centrale(ce qui revient à prêter à l'État), pratique interdite en zone euro, ont notamment pour objectif de déprécier la monnaie et améliorer la compétitivité. Selon Patrick Artus, il n’y a pas grand-chose à faire pour empêcher l’appréciation de l’euro :

    http://www.lepoint.fr/invites-du-point/patrick-artus/l-euro-fort-est-il-une-fatalite-22-04-2013-1657797_1448.php

    La conséquence est que l’euro surévalué pour les économies périphériques de la zone euro dont la France. Il s’agit de l’une des tares institutionnelles, de longue date, de la zone euro. Selon l’économiste Jean-Luc Gréau que l’on entend dans la vidéo ci-dessous, pour être viable l’euro aurait dû être évalué par les marchés financiers par rapport au maillon faible et non par rapport au maillon fort, citant le Portugal au lieu de l’Allemagne :

    http://www.youtube.com/watch?v=QUSIwerJYy4

    Maintenant si demain la France se met à être le bon élève qui est attendu d’elle par un grand nombre de gens dont les instances européennes qui le réclament à cor et à cri, en réduisant massivement les dépenses publiques et le coût du travail, en flexibilisant le marché du travail, que va-t-il se passer? On sait que les marchés financiers sont incapables de donner à l’euro une valorisation économiquement pertinente par rapport à la situation de récession que la zone euro connait actuellement. Ils vont prendre acte que la France se soucie d’être un bon élève de la zone euro et donc l’euro qui est déjà remonté récemment d’un plus bas de 1,20 à plus 1,32 dollar actuellement va s’apprécier encore plus, ce qui va annuler tous les efforts de compétitivité que la France aura faite. Quoi qu’elle fasse ou qu’elle ne fasse pas, la partie est perdue pour la France si elle ne sort pas de l’euro. L’Espagne a le même problème. Au Mois de mai dernier, un manifeste réclamant sa sortie de l’euro a été publié :

    http://www.solidariteetprogres.org/actualites-001/article/un-mouvement-anti-euro-emerge-en-espagne.html

    Le texte intutilé « Manifiesto Por la recuperación de la soberanía económica, monetaria y ciudadana » est excellent, notamment parce qu’il explique pourquoi l’Espagne, en entrant dans l’euro, est arrivée à une situation de crise :

    http://salirdeleuro.wordpress.com/

    Saul

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  7. Je me souviens des années 90 où des "crânes d'oeuf" comme VGE prônaient l'existence d'une banque centrale européenne indépendante et il était évident, pour moi qui ne suis pas un expert économique, qu'il s'agissait là d'une hérésie en plus d'une victoire de l'ultra libéralisme.

    D'abord, parce qu'une telle banque en devenant "indépendante" ne serait plus un outil au service de la politique, donc de l'intérêt général, bien au contraire, et ensuite par une banque de cette nature ne saurait être indépendante. Se posait plutôt la question de savoir de qui elle dépendrait. Et nous avons la réponse dans les propos de Jean-Claude Werrebrouck :"les Etats ne disposent plus d’un prêteur en dernier ressort, lequel ne fonctionnera comme tel qu’au seul profit de la finance". CQFD.

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    1. Lire "bien au contraire, et ensuite qu'une banque ..."

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  8. La lecture concomitante de quelques extraits du livre de Jean-Claude Werrebrouck et d'un article de Thomas rabino sur Marianne.net à propos de l'enseignement de l'histoire (thème du numéro 175 de Débat) rappelle combien "préparer l'avenir exige la maîtrise du passé". Un thème, ô combien intéressant, alors que nos droits démocratiques sont bafoués par des apprentis sorciers aussi incompétents que méprisants vis-à-vis des citoyens que nous sommes. Je parle bien entendu de nos CHERS dirigeants.

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  9. @ gilco56

    On ne peut comparer un Etat à un ménage ou à une entreprise:
    - Il est "immortel"
    - Il ne peut pas faire faillite (à ne pas confondre avec le défaut)
    - Il peut choisir le montant de ses ressources (augmenter les impôts)
    - Et surtout, s'il le veut (et s'il ne se l'interdit pas par des lois ou des traités idiots), il peut ne pas s'endetter et émettre la monnaie dont il a besoin (nous savons tous que trop de monnaie peut néanmoins - lorsque le chômage est faible et que les entreprises sont proches de leurs capacités maximum de production - être cause de bulles ou d'inflation.. ne pas me faire dire ce que je n'ai pas dit ;-) nb: c'est pas pour vous cette petite précision, Gilco).

    Les néochartalistes expliquent qu'un Etat (s'il est souverain, ce que la France n'est pas), puisque le Trésor Public (ou équivalent dans les autres pays) dispose de son compte en Banque Centrale, paye ses dépenses en émettant la monnaie dont il a besoin, via sa banque centrale ou directement, et perçoit les impôts qui sont en définitive une simple régulation de la masse monétaire. Si l’État n'avait pas d'abord émis la monnaie par ses dépenses, les contribuables ne pourraient tout simplement pas payer les impôts puisqu'ils ne disposeraient pas du type de monnaie acceptée par l’État (seulement monnaie centrale)

    Mais sans aller jusque là, on peut très bien comprendre le raisonnement suivant: l’État (c'est "nous tous") n'a en pratique pas besoin d'emprunter sur les marchés notre propre monnaie nationale, que ce soit pour payer son fonctionnement ou les investissements (les deux en principe au bénéfice de toute la population), car la monnaie qu'il va émettre lui (nous) reviendra en totalité sous certaines conditions (chapitre 3 de "les 10 plus gros mensonges sur l'économie" que vous trouvez ici http://tinyurl.com/lmjunb sous une forme un peu différente du livre)

    La seule monnaie que les différents agents économiques ont réellement besoin d'emprunter, ce sont les devises étrangères (dollars par exemple) lorsque les balances des échanges dans ces devises sont déficitaires.

    Donc, oubliez la similitude que vous croyez voir entre un ménage et l'Etat; c'est justement celle que veulent nous faire admettre les néo libéraux pour nous pousser à privatiser.

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  10. Pour un Etat ayant conservé la souveraineté monétaire il y a toujours le risque d’une crise d’hyperinflation. Il ne peut pas être en faillite par manque de liquidités comme ça peut être le cas d’un Etat de la zone euro qui ne peut plus se financer sur les marchés et qui doit faire appel à la «solidarité européenne» pour obtenir des prêts. Il y a des exemples historiques de crise d’hyperinflation :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Hyperinflation

    Néanmoins j’observe qu’il n’y a jamais eu de crise d’hyperinflation en France depuis que la banque de France a été créée, le 18 janvier 1800. Ce même lorsque l’Etat faisait largement appel à ses services pour répondre à des besoins de financement ayant parfois un caractère exceptionnel. Je lis dans ce lien Wikipédia :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Banque_de_France

    « Le concours de la Banque ne s'est pas limité à compléter le fonds de roulement du Trésor public. Il s'est manifesté avec ampleur lors d'événements exceptionnels où l'État devait faire appel à tous les moyens possibles de financement. Ce fut le cas pendant les guerres de l'Empire, celles de 1870 et 1914 et, plus récemment encore, de 1939 à 1945. La Banque a également été mise à contribution, en 1926, puis à de multiples reprises de 1936 à 1958, pour permettre à l'État de faire face à des difficultés de trésorerie nées du déséquilibre du Budget ».

    Saul

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  11. @ Gilco56

    Je souscris à la réponse d’André-Jacques. L’Etat n’est pas une entreprise ou un ménage. Il y a sans doute des défauts de gestion, des excès de dépenses (niches fiscales ou sociales, collectivités territoriales) mais il ne faut pas oublier que l’Etat laisse les banques privées créer la monnaie à leur profit. Si l’Etat se réappropiait ce droit légitime, l’équation serait différente.

    L’intérêt de l’Etat, c’est justement de pouvoir faire des investissements qui vont être rentables dans le temps mais qui peuvent nécessiter un déficit.

    @ Raphaël

    Merci de rappeler la redistribution à l’envers que représente cet état de fait. Et en plus, si on calculait le profit indu fait par les banques privées, qui est une forme de prise d’un profit collectif, la balance serait encore plus déséquilibrée.

    @ Francis

    Très bon livre en effet. Je vais en faire de la publicité car c’est un ouvrage majeur. Il est intéressant aussi de lire d’autres thèses monétaires (le 100% monnaie ou la banque libre), car cela permet de confronter des visions différentes qui remettent totalement en question la vision actuelle.

    @ Cliquet

    Complot ou simple constat de la limite du système monétaire de l’époque ? On peut avoir les deux visions. Très juste : l’indépendance des BC, c’est un peu comme si elles s’appartenaient à elle-même.

    @ Saul

    Très juste. Les efforts (vains) d’ajustement risquent de renforcer plus encore la valeur de l’euro et s’auto-annuler. Système décidemment complètement pervers.

    Merci pour ces précisions. Comme vous le soulignez, l’hyperinflation n’a pas été fréquente.

    @ Olaf

    Très juste, c’est un aspect préoccupant dans la construction de notre enseignement. Ce qui se passe en Lettonie est scandaleux : des dirigeants qui vont à ce point contre l’avis de leur peuple est révoltant.

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  12. @ Laurent
    Tu écris " L’intérêt de l’Etat, c’est justement de pouvoir faire des investissements qui vont être rentables dans le temps mais qui peuvent nécessiter un déficit. "

    Bien sur autant que les investissements soient rentables à long terme, mais à mon sens, avant la rentabilité, il me semble que ce qui importe dans les investissements de l'Etat c'est d'une part qu'ils satisfassent le bien être de la majorité des citoyens autant que faire se peut, et d'autre part qu'ils évitent la dépendance du pays vis à vis de l'extérieur.

    Je voulais préciser mais mais je suis bien certain que tu es d'accord ...

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  13. Bonjour à tous

    On comprend maintenant l'importance de la question monétaire à laquelle André Jacques Holbecq et d'autres ont contribué à expliciter.
    Il pourrait y avoir consensus sur le fait que la création monétaire par la BCE pour l'état soit réservée à des dépenses d'investissement et pas de fonctionnement.
    La difficulté qu'entend t-on par dépenses d'investissement à opposer aux dépenses de fonctionnement?
    A une époque où le savoir faire a une valeur de plus en plus importante, qu'en est-il de la recherche, de la formation des ingénieurs, etc...Si on compare à un bilan d'une société ces éléments seraient inscrits en immobilisations incorporelles.
    Je pense que se pencher sur cette frontière a un intérêt.
    En sachant que certaines dépenses ne peuvent se traduire par des recettes déterminées avec précision dans le futur.

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    1. @ André

      "Il pourrait y avoir consensus sur le fait que la création monétaire par la BCE pour l'état soit réservée à des dépenses d'investissement et pas de fonctionnement."

      Pour ma part, je ne suis pas d'accord avec cela. Le déficit public répond d'abord à la contraction monétaire lié aux crises, il doit compenser l'insuffisance conjoncturelle de la dépense privée. Il se forme en premier lieu par la poursuite, voir l'accroissement, des dépenses, quand les recettes fiscales diminuent. Il n'y a pas lieu dans ce cas de distinguer "investissement" et "fonctionnement".

      Le financement des investissements publics peut aussi relever de la monétisation, reste à définir à quelles conditions il serait préférable à l'impôt ou à l'emprunt..

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    2. D'accord avec Joël
      Mais dans l'organisation actuelle (dans l'euro, avec la BCE, sans liberté en ce qui concerne notre budget) ce serait déjà bien qu'il y ait dans la zone euro un financement direct BCE des investissements tels ceux nécessaires à la transition énergétique et écologique par exemple.

      A ce propos, il faut le savoir, la BPI - malgré son nom - ne dispose pas de la licence bancaire totale (elle ne peut donc prêter que ses fonds propres ou ce qu'elle emprunte sur les marchés financiers) ... c'est une société financière.

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  14. @ Laurent pinsolle @ A-J Hollebecq
    Je pense que nous ne sommes pas très loin de dire la même chose.
    Certes l'état, avec le laxisme de sa gestion que vous reconnaissez l'un et l'autre (dont le controle des établissements financies !), n'est bien sût pas une entreprise
    comme les entreprises privées...
    Mais ses entreprises nationalisées ne doivent elles pas être gérées avec la même rigueur que les entreprises privées, soumises comme les privées a un résultat ?
    Le budget de la FRANCE pourquoi est il présenté en déséquilibre ? (je préférerais le voir avec des "provisions) mais en équilibre !
    Pourquoi l'état dispose t'il de toutes libertés pour gérer nos (biens !!!) et pourquoi les "actionnaires" que nous sommes n'a t'il aucun pouvoir de controle ?
    Il est certainement difficile de contredire
    mes préoccupations ?
    ALORS, que pensez vous de ma proposition de CONTROLE de l'ETAT, par les citoyens ? nécessité qui n'a pas échappé à Nicolas !

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    1. Concernant les banques centrales et leur avenir je continue d'y réfléchir et invite les lecteurs à consulter mes deux derniers articles sur mon Blog.
      Jean Claude Werrebrouck

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  15. @Gilco
    Sur " les entreprises nationalisées ne doivent-elles... soumises comme les privées à un résultat" , je pense que concernant le terme "résultat" vous voulez dire "bénéfice".
    A mon sens non, il ne devrait pas y avoir d'obligation, justement parce que leur fonction est d'apporter du "bénéfice social ou sociétal" lequel n'est pas, pour le moment, comptabilisable (bien que de ombreuses propositions aient été faites, voir Gadrey par exemple); la gratuité peut être une de leur obligation, c'est dans ce cas la collectivité qui prends les coûts à sa charge par des "subventions".

    Sur le contrôle c'est en principe le rôle des élus; je reconnais que c'est loin d'être parfait.
    Il y aurait peut être une avancée possible en donnant aux préconisations de la Cour des Compte une "obligation légale" (sauf sur le budget) et en lui donnant le droit d'ester en justice directement.

    Mais il y a peut être d'autres méthodes (je pense par exemple au remplacement du Sénat par une Assemblée tirée au sort)

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  16. tirage au sort ?
    je ne suis pas convaincu, c'est au "petit bonheur la chance" et si, le tirage au sort était favorable à des pro-système, qui eux mêmes bénéficient du système etc...etc.... celà ressemblerait grandement à la cooptation, de fortes similitudes qu'il faut éviter...
    En se prononçant sur des candidatures non politiques, ni syndicales on aurait j'en suis convaincu davantage de chance de répondre au souci !!!!
    A J Hollebecq : le résultat que je donne c'est effectivement un résultat positif ou pour le moins équilibré. Celà implique chaque responsable à être sérieux dans ses propositions....
    Tout ne peut pas, effectivement être prévu : on "provisionne"
    Et on explique avec précision les "imprévus" ....
    c'est de la gestion, sortons de l'administration....

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  17. @ A-J H

    Bien sûr, la notion de rentabilité ne doit pas être uniquement financière. L’humain, l’avenir de la société sont des notions plus importantes. En outre, cela ne signifie pas que je pense qu’il faille forcément équilibrer le budget hors investissements. En période de forte récession économique, je soutiens des politiques contracycliques énergiques.

    @ André

    Très juste. Comme l’a expliqué Lordon, je crois qu’il est illusoire de penser que l’Allemagne acceptera de monétiser. Voir mon commentaire plus haut sur le déficit qui rejoint les points d’A-J et Joël.

    @ Gilco56

    L’Etat n’est pas une entreprise. Sur les entreprises nationalisées, elles le sont pour des raisons (monopole naturel pour le train ou l’électricité par exemple) qui font justement qu’on ne peut pas leur appliquer le même mode de fonctionnement que les entreprises privées (cf investissement dans le nucléaire). En outre, les critères habituels de rentabilité ne doivent pas forcément s’y appliquer. Les marchés veulent toujours plus de bénéfices, mais est-ce légitime pour une entreprise publique. Je ne suis pas sûr.

    Sur le budget de l’Etat, s’il est dans le rouge, c’est aussi parce que l’Etat a abandonné les bénéfices de la création monétaire aux banques privées. Sans cela, les déséquilibres auraient été bien plus limités (ce qui n’empêche pas d’avoir le souci de dépenser le mieux possible l’argent public).

    Il faut sans doute améliorer les contre-pouvoirs en effet. Moi aussi, je ne suis guère favorable au tirage au sort, que je trouve arbitraire quand la démocratie est pour moi le choix par une majorité d’aller dans une direction donnée.

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  18. @ laurent.
    oui je partage sur le rôle des entreprises publiques, de l'état, mais celà ne doit pas empécher la présentation de budgets en équilibre ???
    Quant au controle merci nous sommes sur les pas de NICOLAS

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  19. @ Glico56

    La question de l'équilibre du budget de l'Etat est perturbée par deux faits majeurs :
    - la désertion fiscale (qui nous coûterait 40 à 80 Mds par an) : dans l'hypothèse haute, nous sommes au niveau du déficit pour 2013...
    - le mécanisme de création monétaire actuel, dont le bénéfice va aux banques privées et pas à la collectivité, qui, s'il était utilisé au profit de l'Etat, pourrait générer quelques dizaines de milliards d'économie d'intérêts par an (20 Mds au bout de 5 ans à 5% du PIB / an)

    Une fois ces deux ajustements faits, la situation serait très différente, même s'il faut reconnaître des abus (notamment dans les collectivités locales, mais aussi dans les caisses de SS).

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