samedi 24 août 2013

François Lenglet, critique féroce de la finance


Avec Des Paroles et Des Actes, François Lenglet est sans doute devenu le journaliste économique de référence, remplaçant avantageusement Jean-Marc Sylvestre. La lecture de son livre « Qui va payer la crise ? » est l’occasion de porter un nouveau jugement sur le nouveau chroniqueur de RTL.



Des plans européens scandaleux

Ce livre est une bonne surprise et j’en partage la majorité des constats. J’ai été étonné par la virulence des propos contre les plans européens. Il parle de « hold up des rentiers » et de « contribuables rançonnés par les plans de rigueur au profit des épargnants et de la finance », une analyse que j’évoquais il y a trois ans et que j’avais développée en 2011 en parlant du « scandale du rachat des dettes souveraines ». Pour lui, ces plans consacrent « l’enrichissement des rentiers au détriment de la prospérité collective, précipitant l’euro et l’Europe vers la ruine ». Il note que la crise de l’euro n’est que la variante de la crise mondiale de la dette.

Encore mieux, il dénonce également les politiques d’austérité menées par les pays « aidés » en disant que l’on « approfondit la blessure », que le niveau du chômage et l’émigration d’une partie de la population est le signe d’un échec. Il affirme qu’en Espagne, « l’amélioration des comptes extérieurs (est) obtenue au moyen de l’effondrement de la demande intérieure, qui a créé le chômage de masse ». Il dénonce le cercle vicieux de l’austérité, dénoncé dès 2010 par NDA (à l’Assemblée Nationale), Jacques Sapir ou moi-même : les hausses d’impôts et les coupes dans les dépenses pèsent sur la croissance, et donc les recettes fiscales puis sur les déficits, ce qui impose toujours plus d’austérité. Il souligne que la dette des pays « aidés » s’envole. Il souligne les conséquences désastreuses pour l’économie réelle, les faillites et le chômage.

Comme je l’avais fait dès 2010, il critique de manière virulente les euro obligations, qui ne font que défendre les intérêts du monde financier. Il souligne également le paradoxe qui consiste à vouloir traiter une crise de la dette en créant de nouvelles dettes. Comme je l’avais fait également et comme NDA, il dénonce le prêt de 1000 milliards à 1% de la BCE aux banques qui permet aux banques de prêter à 5 ou 6% aux Etats, « une usine à gaz scandaleuse » au profit du monde financier. Il souligne justement le problème démocratique qui consiste à faire que « les contribuables vont payer pour des bêtises faites en dehors de leurs frontières ». Pour lui, « les créanciers ont réussi le tour de force de nationaliser les dettes privées irrécouvrables ».

Une crise du laisser-faire et de la finance

Il fait une lecture générationnelle de cette crise,  produit de la génération mai 68, libérale, qui, à la veille de sa retraite, cherche à défendre son patrimoine en faisant payer les jeunes générations. Dans une analyse originale il soutient que la finance s’est d’abord alliée au Nord, pour tondre le Sud, mais, voyant que l’austérité ne marchait pas, elle s’est alliée au Sud pour demander la caution et l’argent du Nord ! Il dénonce le fait que le FESF et la BCE ne soient plus des créanciers privilégiés, concession obtenue par les lobbys financiers. Pour lui « la finance internationale trouve un nouveau pigeon pour éviter d’avoir à payer la note » et « la zone euro est faite par les vieux, pour les vieux, et diriger par le Vieuxland, l’Allemagne ». Mais c’est un calcul à court terme car l’exil des jeunes menace le paiement des retraites.

En rappelant qu’en 2005, les marchés prêtaient à 3,6% à la Grèce, contre 3,4% à l’Allemagne, il souligne « la stupidité collective des marchés » qui préfèrent « avoir tort avec les autres que raison seul ». Cette crise est celle d’un libéralisme dévoyé, qui refuse toute limite (dette ou frontières) et « comme toujours, les périodes libérales se terminent par un krach », faisant le parallèle entre 2008 et 1929. Il anticipe un grand retournement idéologique, un retour de l’Etat, des frontières et des nations et souligne que les élites seront en retard sur le peuple à ce sujet.

Il dénonce le fait que rien n’ait été fait pour mieux réguler la finance, et que « jamais les marchés avaient été aussi peu régulés ». Il appelle même à une nationalisation de la finance, pas au sens du rachat par l’Etat des banques, mais d’une démondialisation financière pour remettre le secteur financier sous le contrôle des Etats, quand l’absence de frontière lui permet au contraire d’être partout et nul part, et donc hors de contrôle, tout en imposant à la collectivité de l’aider s’il est en difficulté. Il propose plusieurs solutions : un moratoire de 3 ans sur le remboursement de la dette pour permettre aux pays de se redresser, ou un étalement sur 20 ans (avec décote), un contrôle des changes et une politique de « répression financière ».

Cette analyse des racines de la crise financière et du mauvais traitement de la crise européenne est extrêmement proche des analyses que je développe. Mais il y apporte un vrai sens de la formule et sa crédibilité. J’étudierai demain sa vision très critique de l’unification monétaire de l’Europe.

Source : François Lenglet « Qui va payer la crise ? », éditions Pluriel

21 commentaires:

  1. "produit de la génération mai 68, libérale, qui, à la veille de sa retraite, cherche à défendre son patrimoine en faisant payer les jeunes générations"

    Un peu excessif .... un patrimoine sera à un moment revendu ou transféré par succession (à des jeunes générations)
    De plus un achat de patrimoine est bien un transfert monétaire et cette monnaie aboutie bien d'une manière ou d'une autre dans l'économie.

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  2. Bonjour Laurent,

    Je vous suis depuis pas mal de temps déjà et pour vous remercier de votre temps à écrire quotidiennement tous ces articles de qualité, je viens de vous verser une petite somme avec le site : http://tiptheweb.org/
    Longue vie à ce blog. Merci de votre travail. Vraiment.

    Flo

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  3. C'est sûr que ce n'est pas tout à fait Jean-Marc Sylvestre ! "Il anticipe un grand retournement idéologique, un retour de l’Etat, des frontières et des nations" : on ne demande qu'à y croire, mais combien de temps avant que les sexagénaires, la génération du baby boum, la masse qui supporte le système actuel, ne souffre suffisamment pour enfin ouvrir les yeux.
    @AJ Holbecq
    "un patrimoine sera à un moment revendu ou transféré par succession (à des jeunes générations)". Ah bon, depuis quand le patrimoine est transféré aux jeunes ? Il me semble que les bénéficiaires de successions ont souvent plus de 60 ans. Et pour le patrimoine vendu à des jeunes, ça fait quand même une dette pour les jeunes et de l'épargne pour les vieux. Après, tout dépend de la tolérance aux inégalités...

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    1. Il ne sont pas prêt de souffrir ils ont connu les chiottes au fond du jardin , la toilette a l'eau froide dans la bassine , 10 bornes a pied pour aller a l’école et les événements d'Algerie et cette vie je ne craindrai pas de la revivre

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    2. "Ah bon, depuis quand le patrimoine est transféré aux jeunes ? Il me semble que les bénéficiaires de successions ont souvent plus de 60 ans."

      Et cela n'est pas près de cesser. La génération précédant le baby-boom, celle qui est née pendant la Iere Guerre mondiale ou juste après, est une génération de quasi-immortels, où il est banal d'être centenaire.

      Sancelrien

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    3. @Rieux,
      Je pense qu'il faut être relativement optimiste: les idées libérales libertaires soixante-huitardes sont désormais sur la sellette! Par exemple, aussi bizarre que ça puisse paraître, le très-mai 68 mariage homosexuel, a jeté des millions de français dans la rue! Egalement, l'ouverture des frontières n'est plus du tout tolérée par les Français, et on pourrait encore étendre la liste des résistances.
      A première vue, on pourrait penser que ce n'est que de la réaction au sens classique du terme, mais avec le temps, j'ai de plus en plus la sensation qu'il y a eu une inversion des valeurs: les bobos sont désormais les tenants de l'ordre moral du XXIè siècle, et en tant que classe désormais dominante (puisqu'ils constituent depuis trente ans la guerre prétorienne des classes possédantes), ils font tout pour rétablir l'ordre. L'ennui, c'est que c'est antinomique: les bobos sont des libertaires, mais pourtant ils dirigent l'appareil de l'Etat! Cette contradiction insupportable, que les Français perçoivent d'abord confusément, puis de plus en plus clairement, fera exploser assez rapidement ce système idéologique 68-ard du fait des injustices qu'ils génère, mais surtout de son irresponsabilité. Injuste car générateur d'inégalités sociales (parce qu'ultra-libéral) et irresponsable car immoral ("jouir sans entraves").
      Non, franchement, ça prendra un peu de temps, mais on va être bientôt fixer: soit les tenants de l'ordre moral bobo, alias les anarchistes d'état (je ne sais plus qui a trouvé cette formule, elle est géniale!) triomphent, et on est parti pour liquider notre pays, soit les Français se soulèveront, comme ils l'ont faits assez souvent dans l'histoire...


      CVT

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  4. Oui vous l'avez dit en 2010 mais nous sommes en 2013 largement entamée ; ce genre d'individu a une seule crédibilité c'est celle du vent qui tourne . Ha mais non ce n'est pas le vent qui tourne mais la girouette ! Enfin voila il est recoiffé pour l'hiver .

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  5. Pourquoi se payait il la tête les opposants à l'Euro lors de la dernière campagne présidentielle ?
    La finance c'est des accapareurs, l'austerité c'est pas juste, les eurobligations c'est pas la solution, mais il faut garder l'euro ? Croit il à ce délire de fédéralisation ? C'est la seule solution restante si il tient à l'Euro.

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  6. Je ne suis pas sûr que le petit épargnant soit à fustiger dans cette histoire. Il me semble qu'il faille faire la différence entre les grosses fortunes et le possesseur d'une assurance vie qui peut être pauvre par ailleurs, n'ayant que cette assurance vie comme capital.

    Je pense que l'Allemagne finira par plier, se résoudre à une politique inflationniste et une restructuration des dettes, car il n'y a pas de porte de sortie.

    La vraie crise sur le long terme est celle du peak all, celle qui provoque les révoltes dans le monde arabe.

    olaf

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  7. En seulement huit mois, l’humanité consomme la totalité du budget écologique annuel de la Terre.

    http://www.footprintnetwork.org/fr/index.php/gfn/page/earth_overshoot_day/

    olaf

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  8. @Laurent Pinsolle,
    c'est un effort méritoire que fait François Langlet, et il fait preuve d'une honnêteté intellectuelle peu commune dans le lanterneau des économistes. Simplement, comme vous le signalez, tous les constats qu'il fait, vous les avez faits vous-même depuis beaucoup plus longtemps, et le tout, en prêchant dans le désert! Je vais être un poil goguenard: même Michael Moore, grand économiste s'il en est, avait dit dès 2008 que le sauvetage des banques par les états nations étaient le plus grand hold-up de l'histoire, du moins, depuis qu'on inventé la monnaie...
    Ceci dit, vous avez raison de dire que le fait qu'une personnalité connue du grand public reprenne l'essentiel de votre diagnostic va dans le bon sens, car cela fera réfléchir les électeurs qui ne vont pas toujours se palucher les études, oh combien précieuses mais austères, de gens comme vous, J.Sapir, F.Lordon, JL Gréau ou P.Jorion qui tous avaient averti bien avant 2007 des méfaits de l'ultra-libéralisme (j'ai failli écrire libéralisme, mais là, c'est plus discutable...).
    Je pense que si des gens "raisonnables" comme Langlet font le constat de l'échec de l'Euro, mais surtout de son caractère irréformable, et de la nécessité d'un retour aux monnaies nationales, alors une grande partie du chemin vers un retour à l'indépendance du pays sera faite...

    CVT

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  9. http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=transm04

    // Transmissions intergénérationnelles dans l'enquête Patrimoine 2004 : donations, héritages et aides
    Résumé

    En France, en 2004, parmi les ménages dont les enfants ont quitté le domicile familial, plus d'un sur huit leur a fait une donation et un sur deux leur a apporté une aide financière. Toutes générations confondues, un individu sur cinq a reçu un héritage, et cette proportion double pour les individus ayant perdu leurs deux parents. Le niveau de revenu, le niveau d'études, la taille de la famille ainsi que la catégorie sociale influencent les pratiques de transmission entre générations. Les indépendants recourent plus fréquemment aux donations, qu'ils utilisent notamment pour transmettre leur outil de travail. Les salariés, quant à eux sont plus nombreux à aider financièrement leurs enfants. De manière générale, plus les parents ont un diplôme élevé, plus ils versent des aides à leurs enfants pendant leurs études. //

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  10. Je me souviens du Sieur Lenglet pour ne pas dire l'Anglais, tançant, en bon chien de garde, la fausse opposante Marine Le Pen en 2012 quand elle faisait semblant de vitupérer contre l'euro sans en prôner la sortie sur sa profession de foi, tout comme un certain Nicolas Dupont Aignan....
    Un brave garçon cet Englet.
    Zi inneglichemanne

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    1. @Zi inneglichemanne,

      Votre remarque me rappelle un affrontement savoureux entre F.Lordon et L.Mauduit de Médiapart, où le premier nommé fustigeait le second comme faux-rebelle:

      http://blogs.mediapart.fr/blog/gam/080712/lordon-se-paie-mauduit-et-plenel

      L'attitude de Langlet me rappelle un peu celle de Mauduit...

      CVT

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  11. @ A-J H

    J’avoue avoir été très étonné par certaines de ses tirades…

    @ Florian

    Merci

    @ Rieux

    On s’en rapproche quand on voit la stagnation des retraites…

    @ CVT

    Je vais faire l’analyse inverse sur le mariage : je crois que le fait que les homosexuels souhaitent maintenant se marier est une négation complète de l’esprit de mai 1968, avec son refus du mariage bourgeois, le refus des contraintes du mariage. En cela, le mariage pour tous les couples est un recul de l’esprit de mai 68.

    Il me semble logique que certaines idées, qui vont dans le sens contraire de tout ce qui a été dit pendant longtemps, mettent du temps à s’imposer, malheureusement, sinon, nos démocraties manqueraient de stabilité.

    @ Patrice

    Lenglet tenait déjà ce genre de propos en 2011 sur BFM TV il me semble.

    @ TeoNeo

    Je vais en parler demain et lundi. Il reste malgré tout favorable à l’euro

    @ Olaf

    Bien d’accord. Sur l’Allemagne, d’accord sur le défaut (on a complètement oublié que c’est Merkel qui a poussé l’UE et Sarkozy à l’accepter alors qu’ils n’en voulaient pas à l’origine). Pas sûr sur la politique inflationniste : cela me semble tellement contraire aux idées allemandes.

    @ A-J H

    Merci pour les précisions

    @ Zi inneglichemanne

    Je vais y revenir dimanche et lundi. Mais je crois que les demi-rebelles sont utiles aux rebelles dans le sens où ils nous crédibilisent.

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    1. @ Laurent Pinsolle,

      Je suis d'accord avec vous sur ce point.
      Zi inneglichemanne

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    2. Évidement Lenglet a dit tout et son contraire dans ce cas icelui a toujours raison . C'est d’ailleurs ce qui permet a tous ces journaleux d’être toujours la a donner des leçons

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    3. @ Patrice

      Non, c'est plus compliqué. Il me semble que Lenglet a été cohérent dans ce qu'il dit depuis le début de la crise. Ce n'est pas un néolibéral ni un euro béat, ni un austéritaire borné. Il est malgré tout europhile et mondialiste.

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  12. En principe, j'aime bien LENGLET, il n'a pas en principe particulièrement la langue de bois ? Parce qu'il ne dit pas comme eux certains critiquent, c'est leur droit. D'autres (anonyme) critiquent les vieux comme d'habitude, celui là oublient très certainement qu'ils ont TRAVAILLE plus que lui ?
    Par ailleurs, les vieux de 60 ans qui vont hériter de leurs parents seront désormais, grâce aux mesures de votre cher ami François HOLLANDE sur les successions, sans doute de moins en moins nombreux et qui plus est de moins en moins heureux !!
    Travailler pour ses enfants serait selon certains immoral ?
    C'est bien la meilleure !, c'est bien ce qui explique la mentalité des soixante huitards et les résultats qu'ils ont engendrés....
    OUI, çà va mal depuis 68 !!!!, et depuis que les soixante huitards sont au pouvoir !!! en 68, déjà, vos amis voulaient m'enfermer !! je suis toujours là ?

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    1. Tous les commentaires ont été signés. J'ai vérifié : pas d'anonyme !

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  13. Rieux, je m'en fiche des anonymes... ils ne sont pas très courageux... ce sont des autruches

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