samedi 8 février 2014

Le monde selon les néolibéraux


Il y a quelques jours, L’œil de Brutus présentait une vision radicale de nos sociétés dans le futur. Bien sûr, cela est sans doute exagéré. Mais quand on va à la source de la pensée néolibérale, on se dit que, dans la durée, la tendance est bien celle d’une société extrêmement inégale et aux relents autoritaires.

Toujours plus d’inégalités

La montée des inégalités est spectaculaire. Les revenus réels moyens ont progressé de 17% depuis 1973 aux Etats-Unis, ce qui est déjà faible. Mais en réalité, les revenus des 90% les moins riches ont baissé de 13% sur la même période. Cela a été compensé par la forte hausse des 10% les plus riches, et plus encore, du 1% le plus riche (+187% !!!). Les revenus des 90% les moins riches sont aujourd’hui au même niveau qu’en 1965 ! Et la situation s’aggrave puisque 95% de la hausse des revenus depuis 2009 est allée au 1% le plus riche. La moyenne (+6,1% en 3 ans) ne veut rien dire puisque pour 90% de la population, les revenus baissent de 1,6% quand ils montent de 31% pour le 1% le plus riche…

Ces chiffres poussent les néolibéraux à s’interroger. The Economist a consacré un long papier au dernier livre de Thomas Piketty, « Le capital au 21ème siècle ». Mais le titre « tous les hommes sont créés inégaux » indique que l’hebdomadaire en tire la conclusion que la montée des inégalités est consubstancielle au capitalisme (on suppose qu’il exclut en effet les Trente Glorieuses, qui avaient vu une grande compression des inégalités, du fait de taux d’imposition marginaux – entre 60 et 80% - qu’il considère sans doute comme excessifs). Dans « La moyenne est finie », Tyler Cowen soutient que seule une élite de 10 à 15% de la population profitera de la croissance à l’avenir, laissant 85% sur le côté.

Expliquer les inégalités et non les combattre

Quelques semaines plus tard, suite à la publication de l’étude qui indiquait que 47% des emplois étaient menacés d’ici 2030 du fait du progrès technologique (évoquée par Thomas Schott il y a quelques jours), The Economist a fait un dossier intéressant sur « le futur des emplois ». Ce faisant, il affirme que « l’innovation technologique précédente a toujours produit plus d’emplois, et non moins, mais que les choses peuvent changer ». Il soutient que « les gains de productivité des prochaines automatisations seront réels, même s’ils risquent de principalement aller aux possesseurs  des machines » et pronostique que « l’inégalité pourrait augmenter dans un tel monde ». Pourtant, elle est déjà trop élevée…



The Economist explique que « le marasme actuel des salaires pourrait, comme celui des premiers temps de l’industrie, être temporaire, avec une amélioration à la suite ». Tout le problème vient du fait que le terme « temporaire » est trompeur. Dans un graphique, il montre que les salaires moyens (sachant en outre que la moyenne est trompeuse) ont stagné de 1770 à 1830 outre-Manche. En prenant comme point de départ 1970 auxpour les Etats-Unis, il n’y aurait plus « que » 20 ans de stagnation à attendre… Sauf que leur graphique indique que le bon point de départ est plutôt 1980, ce qui signifie que le climat de basse pression salariale pourrait se maintenir pendant encore trente ans, presque une génération de travail.

De la démocratie à l’oligarchie mondialisée

Tout ceci pose un problème démocratique car les citoyens pourraient remettre en question une société qui ne profite qu’à une infime minorité alors qu’une grande majorité se serre la ceinture. C’est ce qui a mené, non sans une certaine justice, à certaines révolutions démocratiques en Amérique du Sud, dont on se demande si cela ne pourrait pas finir par arriver ici. Et ce d’autant plus que les politiques d’ajustement sont parfois menées d’une manière peu démocratique, comme The Economist le reconnaît pour les pays de la zone euro : on pense au cas du référendum grec ou de la BCE à Chypre.


Plus choquant encore, le mode de fonctionnement actuel fait la part belle aux intérêts privés, comme le dénonçait justement Joseph Stiglitz dans son dernier livre. Un expert financier indépendant, Alexander Kloeck a réalisé une étude pour les eurodéputés écologistes qui affirme que les banques européennes bénéficient d’un avantage de 200 à 300 milliards d’euros par an du fait des garanties implicites des Etats ! Mieux, devant les risques de crise grandissants du fait de la mondialisation, Davos recommande… plus de gouvernance mondiale, et donc de mondialisation, ce qui semble le meilleur moyen pour les intérêts privés, qui y sont largement représentés, de maintenir le système en l’état.


Il est hallucinant que devant les problèmes posés par la mondialisation (hausse des inégalités et des crises), la solution présentée par Davos soit toujours plus de mondialisation, répliquant le discours des hiérarques soviétiques. La vraie solution, comprise par François Lenglet, c’est moins de mondialisation…

7 commentaires:

  1. Extrapoler ce qui va venir à partir de ce qui s'est passé en 1770, faut vraiment être totalement idiot... L'histoire ne repasse pas les plats. Les conditions actuelles, ne serait ce que sur le plan des ressources naturelles, de la démographie, de l'évolution du climat... ne sont absolument pas comparables et c'est pas la techno qui va changer le tableau.

    Le fait est qu'il y a une mondialisation incontournable dans les organisations comme le FMI, la BRI, l'ONU, la BM... Qu'on le veuille ou non, les enjeux écologiques nécessitent des accords mondiaux, le climat n'a pas de frontières ni le reste de l'écosystème.

    En parallèle, il y a la nécessité de créer les conditions de certaines formes de relocalisation.

    Il est évident que nombre d'emplois vont disparaitre partout dans le monde et que les emplois bien payés vont se restreindre progressivement vers 5% de la population. Ca aussi c'est partout dans le monde.

    Ceci dit dans les 5% des meilleures rémunérations, il y a une grande hétérogénéité. Je fais partie de ces 5 voire 3%, mais le peu de patrimoine que j'ai, je ne me le suis constitué que depuis 6 ans que je travaille en Allemagne.

    Avant, c'était déménagements, location de logement, périodes de chômage, salaires pas terribles...

    Donc dans ces 10, 5, 3, 1% il y a de grandes disparités de parcours, de rémunérations et de patrimoine accumulé.

    C'est dans ces constats qui tôt ou tard s'imposeront partout sur la planète qu'on peut trouver la base des problèmes.

    Peu importe le chemin pris, capitalisme, communisme, socialisme, libéralisme... c'est l'évolution technique des moyens de production matérielle qui est le déterminant aboutissant à quelques pour-cents bien à très bien payés et une forme de nivellement plus ou moins "égalitariste" pour le reste.

    olaf

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    1. Il faudrait mettre un microscope sur les 2%, qui sont ils ?

      Quelques professions libérales haut de gamme comme certains juristes, médecins, puis quelques cadres sups, hauts fonctionnaires et politiciens, financiers...quelques stars du spectacle, puis quelques geeks en Californie par exemple.

      Ça c'est la tête de la comète, le reste des 98% constitue la queue de plus en plus indifférenciée.

      olaf

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  2. Vous dites : "Davos recommande… plus de gouvernance mondiale, ... et donc de mondialisation". Je suis au regret de constater que la conclusion est erronée.
    Plus de gouvernance ne signifie pas plus de mondialisation ; une bonne gouvernance - qui n'existe pas aujourd'hui - permettrait justement de réguler et de pacifier la mondialisation en dehors des polémiques simplificatrices. La mondialisation n'est ni bonne, ni mauvaise en elle-même !
    Une bonne gouvernance au contraire permettrait de développer une vision et un leadership pour faire des choix correspondant à l'intérêt général des hommes et de la planète. Car il n'existe pas un chemin unique pour la mondialisation.

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    1. Gouvernance, leadership, sont des mots idéologiques qui ne veulent pas dire grand chose si ce n'est dérégulation à la schlague. On devient citoyen, homme libre, en lisant les sentences morales de La Bruyère, La Rochefoucauld, La Fontaine, Chamfort, et bien rarement en lisant le Wall Street journal - enfin il me semble. Gouvernance et leadership font très rarement bon ménage avec intérêt général. Il existe un chemin unique pour la mondialisation, et c'est une impasse.

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    2. La mondialisation mène à une impasse nous dit ce dernier commentateur, alors que les précédents nous disent que la mondialisation n’est qu’une réalité et c’est cette analyse qui est la plus réaliste.

      L’opinion de LP et celle de ce dernier commentateur consiste de dénoncer la mondialisation sans apporter des arguments. A la recherche de solution fiables et consensuelles ils préfèrent des affrontements proposant des solutions dont les effets secondaires sont au moins pire que le mal.

      S’ils regardaient la réalité en face ils observeraient que notre Nation est une des nations qui cohabitent sur notre planète. Ces nations échangent entre elles une partie de leurs productions nationales. Résultat chaque nation dispose pour sa population d’une partie de ses productions nationales et une partie de production importé remplaçant les productions nationales exportée et si ces échanges sont équilibrés (solution retenue): Il peut être dit que dans la nation la population se partage les productions produites par les actifs nationaux et ceci est une réalité de notre vie sociétale, et se sont les effets de la mondialisation.

      Cependant depuis prés de 40 ans nos élus, créatifs d’équations idéologiques, sur les recettes, les dépenses, les prélèvements, les redistributions : des entreprises, de l’Etat, de la Sécu des collectivités et cent et un organismes, ont donné un prix fantaisiste à nos productions ayant pour effet à nous faire payer respectivement entre nation notre modèle social. C’est absurde.

      Le réalisme relatif à nos échanges internationaux consiste donc à ce que chacune des nations échange ses productions en valeur de production (revenus des actifs). Dans ces conditions aucune nation n’impose sont modèle social à l’autre qui à pour finalité de prévoir un % pour tous types d’inactifs, un % pour nos usages mutuels et un % pour nos usages collectifs.

      Fini le dumping social, et revoilà l’équité compétitive. En cas de mauvaises parités de monnaies il doit y avoir négociation entre nations pour faire des échanges de biens et services équitables et intelligents, que nos monnaie soit identiques ou différentes ces principes ne changent pas.
      Unci TOÏ-YEN

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    3. @Lorrain54 Après guerre la charte de la Havane devait organiser le commerce international de façon juste en laissant les Etats au centre du jeu. Les USA avaient signé l'accord mais ne l'ont pas ratifié pour des raisons un peu obscures à mes yeux.

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  3. @ Olaf

    Pas totalement d’accord. Quand on voit la crise de 2008 et celle de 1929, il y a quand même beaucoup de proximités. Et cela a permis justement d’en tirer quelques leçons. Après, il est vrai que dire que le progrès technique de la fin XXème / début XXIème va se dérouler de la même manière que celle d’il y a deux siècles avant, c’est abusif.

    D’accord en revanche sur la segmentation des plus riches. C’est exactement la thèse de Todd dans « Après la démocratie », où il insistait sur les 1% et plus encore les 0,1%.

    Alternatives économiques avait fait une étude intéressante il me semble : beaucoup de financiers, des cadres supérieurs, des sportifs, des professions de santé.

    @ Lorrain54

    Pas totalement faux sur le principe. On pourrait faire plus de gouvernance mondiale et moins de mondialisation, mais je crois que c’est un exercice assez théorique. Sans mondialisation, il n’y a pas besoin de gouvernance mondiale. Et on voit bien depuis 1945 que gouvernance mondiale et mondialisation avancent main dans la main.

    En outre, sur le principe, je reste opposé à la gouvernance mondiale car cette gouvernance tend logiquement à ne pas être démocratique, et même à empêcher l’exercice de la démocratie, tout en ne servant que les intérêts d’une petite minorité, notamment les multinationales.

    @ Anaximandre

    D’accord

    @ Un citoyen

    Dire que la mondialisation est seulement une réalité, c’est refuser le débat. Nous pouvons revenir en arrière, comme cela a été le cas après 1929. Nous pouvons parfaitement revenir dessus, pas totalement, mais significativement, pour reprendre la maîtrise de notre destin collectif.

    D’accord en revanche sur le financement de notre modèle social (cf papiers que je vous avais indiqué en lien : c’est un discours que je tiens depuis longtemps).

    Il n’y a pas que le dumping social, il y a le dumping salarial, monétaire, normatif ou environnemental.

    @ TeoNeo

    Bien d’accord. La puissance dominante a imposé ses intérêts

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