lundi 2 juin 2014

Accepter les négociations du traité transatlantique par dogmatisme serait une faute (billet invité)



Comment peut-on se prétendre être gaulliste et défendre le principe même du traité transatlantique (TTIP[i]) ? A lire sa tribune sur le site du Monde (Rejeter le traité transatlantique par dogmatisme serait une erreur, 23/05/2014), cette question, Mme Nora Berra (ancienne eurodéputée et élue UMP de la région lyonnaise) ne se l’est manifestement pas posée. Ou alors, c’est qu’elle est dans la plus grande ignorance sur les tenants et les aboutissants du TTIP[ii].


Car il faut bien de l’un ou l’autre (ou des deux) pour pouvoir s’émouvoir que ce traité infâme cristallise les oppositions alors même qu’il s’agit « d'un accord dont ni le contenu, ni même les contours n'ont pour le moment été mis sur le papier et nourrissent ainsi la résurgence d'un certain anti-américanisme ». C’est justement là tout le problème : on ne sait rien, ou presque, de ce que la Commission européenne négocie dans notre dos alors qu’il s’agit pourtant d’éléments fondamentaux de notre avenir ! Et les quelques fuites sur ces négociations ne sont guère rassurantes, ni pour les citoyens, ni pour la démocratie, ni pour la France[iii].

Qu’importe ! Mme Berra poursuit : « la Commission s'efforce pourtant de faire montre de la plus grande transparence possible pour des négociations de ce type ». Justement, on demande à voir ! Un petit tour sur la page d’accueil internet de la Commission européenne : pas un mot sur le TTIP. Lançons donc « traité transatlantique » sur le moteur de recherche du même site. Résultat : 3 pages qui évoquent le terme, et toutes trois sur des sujets largement connexes à notre recherche. Tapons alors TTIP. Et là, ô joie, l’on découvre une page internet spécialement dédiées au TTIP. On y trouve même un lien « public consultation ». Mais la joie est de courte durée : il ne s’agit pas de consulter les documents relatifs au dit-traité mais simplement de donner réponse à un questionnaire dans un anglais imbuvable (c’est dommage, il me semblait pourtant que le Français demeurait langue officielle de l’UE …). Rabattons-nous alors sur le communiqué de presse. Raté : un bel exercice de novlangue dont la technocratie européenne a le secret, mais sur le contenu réel des travaux et accords, rien. Reste alors la page « qu’est-ce que le TTIP ? ». Et là, on y bat tous les records de propagande, jusqu’à apprendre (sans aucune source à l’appui !) que le TTIP augmentera nos revenus de 545€ par an (sur quelle base ?) et stimulera le PIB de 0,5%. Mouais, on nous a déjà le coup avec l’euro, le libre-échange, le grand Marché commun, tout ça, tout ça. Et on a vu le résultat. Et puis, surtout toujours rien sur le contenu. Nous prendrait-on vraiment pour des caves ? En tout état de cause, on ne peut guère prétendre que la Commission développe des trésors des communications pour nous faire comprendre ce qu’est le TTIP. Ça ressemble bien plus à ces charlatans du far West qui vendaient des remèdes miracles aux premiers gogos venus, ceux-ci s’en sortant, au mieux, avec une bonne migraine. Et il faut dire qu’à coups d’overdoses de politiques néolibérales, les peuples européens commencent à avoir sacrément mal aux cheveux.  

Ceci dit, si l’on en croit Mme Berra, on peut être rassuré : la Commission organise des rencontres avec la « société civile ». Il est pour le moins étrange qu’une ancienne membre du dit Parlement siégeant à Strasbourg ne sache point que dans la novlangue de la technocratie européenne, société civile = lobbys. Car c’est bien de cela dont il s’agit[iv]. Et pour preuve : la Commission a bien mandaté un groupe d’ « experts » représentant la « société civile » pour la conseiller. Comme le relève Médiapart, sa composition vaut le détour[v]… En pratique, pendant que les multinationales marquent de leur emprise les négociations[vi] et que la Commission outrepasse outrageusement son mandat[vii], les gouvernements sont privés d’accès aux documents[viii]. Mais ce n’est qu’une triste habitude dans l’univers anti-démocratique de l’UE : il est déjà de notoriété publique que les lobbys de Bruxelles fournissent des textes « clés en main » aux commissaires, quand ceux-ci ne tardent guère à se recaser auprès d’eux ou de leurs mandataires une fois leur temps passé[ix].

Mme Berra finit bien par se poser une question juste, mais dont le sous-entendu sonne faux : « Qui défendrait un accord pouvant permettre à une entreprise américaine de remettre en cause notre souveraineté et notre droit à légiférer (mécanisme d'arbitrage investisseur/Etat)  ? Car, de par sa tribune, elle fait bien partie de ceux qui participent à ce « qui ? », et le mécanisme que prévoit l’accord est bien de ceux qui permettent aux multinationales de poursuivre les Etats dès lors que les législations – notamment fiscales, sociales ou environnementales – ne vont pas dans le sens des intérêts. Les Etats, comme l’Australie, la Canada et l’Uruguay, qui ont déjà signé le même type d’accords avec les Etats-Unis, prévoyant le même type de mécanisme de règlements des différentes, en ont déjà été pour leurs frais[x].

Il faut en outre une sacré dose d’aveuglement ou de méconnaissance pour estimer que le TTIP permettra d’obtenir une « vraie réciprocité bilatérale ». Quelqu’un a-t-il donc entendu évoquer une éventuelle remise en cause, à travers cet accord, du Buy American Act et du Small American Act[xi]  pour les entreprises européennes ? A ma connaissance personne. Et pour cause : pour les multinationales américaines, c’est très certainement une ligne rouge que nul ne s’aviserait de franchir sans faire tomber à plat le traité transatlantique. Mais à part ça, l’accord est équilibré et réciproque … ?
Le (faux) pragmatisme qui semble guider Mme Berra lorsqu’elle nous demande d’attendre « de connaître le contenu de cet accord avant de nous prononcer » n’a d’égal que sa méconnaissance des mécanismes européens lorsqu’elle affirme qu’ « il reviendra ensuite au parlement de le ratifier » (le TTIP). Or, justement, le traité de Lisbonne confirmant la compétence exclusive de la Commission européenne dans la négociation des traités commerciaux, les parlements nationaux ne seront nullement consultés sur la ratification du TTIP[xii] ! Comment une ancienne eurodéputée peut-elle ignorer un élément aussi fondamental du fonctionnement des institutions européennes[xiii] ? Quand l’accord sera prononcé, il sera bel et bien trop tard !

On passera sur la pathétique conclusion et son inévitable chantage à « l’économie », la « croissance » et « l’emploi » (déjà évoqué supra). Ça fait trente ans qu’on nous fait le coup et on connaît le résultat.
En tout état de cause, de la même manière qu’on ne peut certes pas se prétendre « de gauche » et soutenir le parti socialiste (qui lui aussi soutien le TTIP, autre élément de convergence forte avec l’UMP, soit dit en passant), on ne peut à la fois être gaulliste et soutenir un tel traité infâme[xiv], bâti dans le dos des peuples pour le plus grand profit de l’oligarchie mondialiste tout en bafouant la souveraineté de la France et sa démocratie. De toute façon, s’il y avait encore quelques doutes sur le sujet, on ne peut aujourd’hui que constater qu’il est strictement impossible d’être gaulliste tout en militant à l’UMP.



[i] Transatlantic Trade and Investment Partnership.
[ii] Pour mettre fin à toute ignorance sur le sujet, on ne saurait conseiller mieux que l’excellent blog de Magali Pernin : Contre la cour.
[iv] Sur le sujet, lire, entres autres, Pierre Souchon, Une directive trop cruciale pour être débattue publiquement, Le Monde diplomatique, avril 2014 ; Magali Pernin, Janvier 2014 : des nouvelles du traité transatlantique, Contre la Cour, 06/02/2014.
[ix] Lire Christophe Deloire, Christophe Dubois, Circus  Politicus, Albin Michel 2012. Notamment la partie sur les commissaires européens à la concurrence et les conflits d’intérêts.
[x] Lire Laurent Pinsolle,  Le RDIE : la bombe à retardement démocratique du traité transatlantique , Gaulliste libre, 26-avr-14.
[xi] Lois très protectionnistes que les Etats-Unis imposent – à raison – à toutes leurs administrations pour qu’elles passent en priorité leurs contrats avec des entreprises américaines. De notre côté de l’Atlantique on attend toujours (et on va attendre longtemps étant le haut degré d’idéologie libre-échangiste qui imprègne la technocratie européenne) note European Business Act.
[xiii] Pour mémoire, la Commission européenne a déjà passé une centaine d’accords internationaux sur les questions commerciales. Quelqu’un a-t-il déjà vu la ratification d’un de ces accords par l’Assemblé nationale ?
[xiv] Pour mémoire, le général de Gaulle avait pratiqué la fameuse « politique de la chaise vide » afin de refuser que les décisions prises par la CEE (communauté économique européenne, ancêtre de l’UE) ne puisse se faire autrement qu’à l’unanimité, autrement dit que des décisions prises par d’autres s’imposent de facto à la France …

2 commentaires:

  1. On a monté un petit site d'interpellation des politiques.... http://pacte-transatlantique.org/ Si on est nombreux à écrire, ils sentiront peut-être le boulet de notre future désaffection vis-à-vis d'eux aux prochaines élections...
    Anne

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    1. Plutôt que d'éduquer nos politiques, ce serait plus simple de les remplacer... encore faudrait-il pouvoir faire émerger une véritable alternative.

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