mercredi 25 juin 2014

Réforme de la carte territoriale : et si on cherchait à répondre aux vrais enjeux de la décentralisation ? 2/4 (billet invité)


Billet invité de Vincent M

2/4 Pourquoi la décentralisation ?

Paris et le désert français

C’est le titre d’un livre, et d’un film, de l’immédiat après-guerre, qui constatait que Paris prenait une place bien trop prédominante dans le paysage national. Toutes les décisions étaient prises à Paris, l’économie et la population s’y concentrait, alors que les campagnes se vidaient. Il était urgent de lutter contre ce phénomène, et la solution politique à ce phénomène a été la décentralisation, avec la création des régions, et des transferts de compétence vers des élus locaux… Déjà à l’époque, pour suivre le modèle allemand…

Plus de 60 ans après, force est de constater l’échec total de ce plan : la région parisienne a cru bien davantage que ne le craignaient les auteurs de l’ouvrage, et que la campagne s’est effectivement désertifiée. Paradoxalement, les campagnes qui résistent à la désertification sont celles qui réussissent à jouer de leur proximité avec une agglomération dynamique pour attirer des personnes travaillant en ville (c’est le fameux péri-urbain). C’est l’inverse de ce que préconisaient les auteurs du livre ; pour eux, la richesse devait être créée dans les campagnes, et aller vers la ville qui jouerait un simple lieu d’échange… Mais, si cette nostalgie du 19ème siècle a quelque chose de sympathique, il faut bien reconnaitre que cette conception de l’aménagement du territoire est morte.

De ce point de vue-là, il faut admettre que la politique de décentralisation n’a joué le rôle qu’on attendait d’elle.

Certes, des métropoles de province se sont développées, créant de grands bassins d’emploi, qui font heureusement de la concurrence à Paris. Mais il est probable que ceux-ci se sont développés essentiellement suite à des initiatives d’entreprises privées, ou de maires de ces communes. Ainsi, des villes ayant connu un très fort développement, comme Nice, Grenoble, ou Tours ne sont pas des capitales régionales, quand des capitales de régions, comme Limoges, Poitiers, Châlons-en-Champagne, ou Amiens, n’ont pas connu le développement qu’on aurait pu espérer…

Des régions, pour quoi faire ?


Commençons par le commencement : quelle étaient les idées qui avaient guidé les premières étapes de  la décentralisation territoriale ?


Outre la volonté de limiter le rôle de la capitale, comme évoqué précédemment, l’idée principale est que les décisions sont mieux prises quand elles sont prises au plus proche du terrain, et que l’Etat doit donc déléguer les décisions prises à Paris, afin qu’elles puissent l’être localement. Schématiquement, le fait que les décisions soient prises au plus près de ceux qui en sont les destinataires devrait permettre de limiter les rouages et les dépenses de fonctionnement inutiles, tout en offrant une réponse mieux adaptée.

Ce principe semble de bon sens. Il est commun aux processus de décentralisation (confier des missions à des élus locaux) et de déconcentration (déplacer dans les territoires les services en charge de celui-ci).

En plus de cet objectif, la décentralisation vise à favoriser l’émergence d’une démocratie de proximité, c’est-à-dire à associer, via des élus locaux, la population aux choix et aux orientations décidées localement. Cette idée est également loin d’être aberrante.

Une organisation efficace du pays, qui évite les doublons, les lourdeurs administratives, et facilite la prise de décision doit donc pour chaque compétence, décider clairement si elle relève d’une compétence nationale, d’une compétence locale d’ordre technique ou administratif, ou d’une compétence locale nécessitant une participation des citoyens.

Vers une autonomie financière des collectivités locales ?

L’argent étant le nerf de la guerre, la question du financement des politiques ne peut pas être séparée de celle de la participation citoyenne à la décision politique.

En effet, tout citoyen doit pouvoir demander des comptes sur l’utilisation de ses impôts. Le principe est que celui qui finance a un droit de regard sur l’utilisation qui est faite de son argent.

Concrètement, ceux qui dépensent les impôts locaux doivent être responsables de ces dépenses devant les électeurs de la circonscription ; c’est le cas des élus locaux. Ceux qui dépensent de l’argent collecté nationalement devraient être responsables devant la représentation nationale ; c’est le cas du gouvernement  et de son administration (y compris déconcentrée).

Du point de vue des élus locaux, cela signifie que, s’ils veulent mener une politique à l’échelle de leur circonscription, en étant responsable de cette politique devant les citoyens, il faut également qu’ils soient responsables devant les citoyens du coût de cette politique. La situation aberrante où certains élus locaux réclament des moyens à l’Etat pour mener des politiques dont ils veulent conserver la responsabilité a quelque chose d’aberrant…

Les missions des régions correspondent-elles à des compétences locales ?

Regardons, dans la pratique, quelles sont les « compétences » des régions : les transports, l’enseignement, la formation professionnelle, et l’action économique.
-        Les transports (5 milliards)
 
Le rôle des régions en matière de transport consiste, en gros, à toucher de l’argent de l’Etat, et à le donner à la SNCF afin de faire fonctionner les TER. C’est ainsi que sur chaque TER est inscrit le nom de la région qui l’a financée… avec l’argent de l’Etat.
 
Et après, c’est à la SNCF de les utiliser. C’est ainsi que j’ai déjà vu des « TER Pays de Loire » en gare de Dijon, ou des « TER Rhône-Alpes » en gare de Nantes… Pourquoi ? A l’évidence, parce que le transport ferroviaire (en dehors des métros, tramways…) est, en France, intrinsèquement un réseau national. Et quel que soit le découpage que l’on adopte, l’efficacité économique commande que le parc matériel ne soit pas géré au niveau des régions…
 
On voit mal en quoi la décentralisation joue ici un rôle important, l’argent passant par les régions pour revenir à une gestion nationale. Ici, clairement, il serait plus rationnel et plus économe de confier ces activités à une instance nationale.
-        L’enseignement (5 milliards)
 
Les régions assurent la maitrise d’ouvrage des lycées, c’est-à-dire l’entretien, les réparations, et la construction des bâtiments. Les départements font la même chose pour les collèges. Et dans les deux cas, il s’agit ici encore d’une simple redistribution de l’argent fournit par l’Etat. Il s’agit ici à l’évidence de tâches d’administration et de gestion courante, qui ne nécessitent pas la présence de politiques. Mais de plus, cela introduit une complexité incroyable : la gestion d’un collège / lycée doit faire l’objet de conventions entre le Conseil Général, le Conseil Régional, et l’Académie, qui est l’utilisateur du bâtiment. Il semblerait bien plus sage de confier l’ensemble de ces taches à une académie, dont l’autonomie pourrait sans doute être renforcée vis-à-vis de son ministère de tutelle…
 
-        La formation professionnelle (4 milliards)
La seule chose dont on soit certains, c’est que la formation professionnelle en France a un fonctionnement incompréhensible, extrêmement onéreux et inefficace… Si le fait de confier ce poste à des politiciens régionaux était la bonne solution, la situation de la formation professionnelle en France serait bien meilleure. Si on retirait cette compétence aux régions, on a tout lieu de penser que cela ne pourrait qu’en améliorer la gestion…
 
-        L’action économique (3 milliards)
Dans une France où l’économie était historiquement planifiée par l’Etat, cela avait  à l’évidence de confier la planification économique d’un échelon territorial à des élus de ce territoire. Mais, qu’on s’en félicite ou qu’on le regrette, l’Etat s’est désengagé de toute planification, et le tissu industriel est composé d’entreprises tellement grandes qu’elles sont devenues multinationales, et qu’on nous explique que la France, voire même l’Europe, sont trop petites pour mettre en place une quelconque planification.
 
Quel est donc réellement le rôle d’action économique des régions ? En matière économique, les missions décentralisées concernent essentiellement le tourisme, l’image des territoires, et les aménagements locaux. Mais, s’agissant du tourisme ou de l’image des territoires, comme on l’a vu, les régions ne correspondent à aucune réalité historique ou géographique, et ne sont donc pas adaptées. Elles sont de plus trop grosses pour traiter des questions d’aménagements locaux.
 
N’est-il pas aberrant, avec des régions actuelles, que le tourisme dans les Hautes-Alpes soit géré à Marseille, le tourisme dans les Cévennes cogéré entre Lyon et Montpellier, etc. On contrevient clairement au principe de proximité, qui veut que les décisions concernant un territoire soient prises dans celui-ci.
Et cette situation va s’aggraver avec le nouveau découpage. Tours pourrait ainsi devoir développer aussi bien l’attractivité de la cathédrale de Chartres, que le port de la Rochelle, ou la vallée de la Dordogne !
A l’évidence, vis-à-vis de l’action économique, les régions ne sont pas à la bonne échelle : trop petites pour des politiques industrielles, et trop grosses pour des politiques locales…

Bref, aujourd’hui, sur les 4 domaines de compétence des régions, les 3 principaux ne relèvent clairement pas de compétences locales, et, pour le dernier, l’échelle régionale semble mal adaptée.
 
Les vrais partisans de la décentralisation objecteront qu’on pourrait parfaitement dissoudre l’essentiel du ministère de l’éducation nationale, pour régionaliser les programmes d’enseignement, ainsi que le recrutement et les carrières des enseignants… En finançant cela par des impôts locaux. Idem pour la formation professionnelle.
 
Mais est-ce cela que les français attendent ? Des collèges et lycées richement dotés en Ile de France, mais sans-le-sou dans le centre de la France ? Des programmes différents, qui seront nécessairement, à moyen terme, plus ou moins prestigieux, entre les différentes régions ? Non, clairement, une telle politique heurte trop de front le profond sentiment égalitaire des français. Et c’est peut être ici aussi que se trouve une réelle différence entre la France et l’Allemagne. Une telle politique, inconcevable en France, est à l’œuvre de l’autre côté du Rhin, pour le plus grand bonheur des allemands…
Si aucun des domaines de compétence des régions n’apporte d’intérêt

Une décentralisation qui n’est pas sans coûts !

Comme toujours quand on crée des assemblées d’élus, cela implique de nombreuses dépenses : outre les salaires des élus, il y a ceux de leurs collaborateurs. Et il y a aussi toutes les dépenses auxquelles poussent ces élus, pour pouvoir montrer à leurs électeurs à quoi ils ont servi. C’est ce qu’on appelle l’électoralisme, et la France est assez spécialiste de la question.
 
Mais, au-delà de ces sources d’inefficacité, les ouvrages ont été nombreux à être publiés ces dernières années, pour dénoncer les gaspillages des collectivités locales. Qu’il s’agisse de fonctionnaires territoriaux contractuels recrutés par copinage, de services très mal gérés, souffrant d’inactivité chronique, etc. les collectivités locales ne brillent pas par leur bonne gestion. Au contraire, elles semblent même bien plus dispendieuses que la fonction publique d’Etat !
 
Je ne résumerai pas ici ces nombreux ouvrages. Mais je me permettrais d’ajouter un exemple de ce qui me semble être un gaspillage, insuffisamment critiqué :
Régulièrement, au titre de l’attractivité économique de leur territoire, des régions font de la publicité pour leur région dans une autre région de France. Outre que, si toutes les régions jouent ce jeu, c’est un jeu à somme nulle… Mais à coût important pour le contribuable, au seul profit des annonceurs et sociétés de publicité. De plus, on ne peut pas ne pas penser dans certains cas à de pures opérations électoralistes, visant à promotion personnelle de certains présidents de région à forte personnalité médiatique…

Bref, supprimer les régions, purement et simplement, serait une grosse source d’économie. La formation professionnelle, les transports, et la gestion des lycées seraient avantageusement traitée par des administrations d’Etat, notamment déconcentrées. La seule fonction réellement pertinente à déléguer à des élus locaux est la politique de valorisation des territoires et de développement du tourisme.

Les conseils généraux font-ils mieux ?

Du point de vue du clientélisme, de l’inefficacité de l’administration, et des gaspillages, il semblerait qu’ils fassent aussi bien que les régions !
 
Mais pour ce qui est de l’adéquation entre leurs fonctions et le besoin de faire appel à une administration décentralisée… Regardons un peu. Les compétences des conseils généraux sont :
-        L’aide sociale, qui consiste à prendre des décisions d’ordre administratif, et à distribuer aux personnes qui en ont besoin les allocations sociales auxquelles elles ont droit. L’Etat fournissant l’argent aux conseils généraux, et fixant le montant de ces prestations, et décidant des critères devant conduire à l’action des conseils généraux, on voit mal où est le rôle de l’élu,
-        L’entretien de la voirie (ex-DDE, qui était un service déconcentré de l’Etat) ; là encore, il s’agit de redistribuer de l’argent de l’Etat à d’anciens services de l’Etat, pour entretenir les routes… Cela ne nécessite sans doute pas non plus de décision politique majeure !
-        Les transports locaux, notamment les transports par autocar, et transports scolaires : ici, l’aspect local est évident, et la pertinence de confier cette mission à des élus se justifier beaucoup plus facilement…
 
-        La gestion administrative des collèges, de même que les régions s’occupent des lycées… Même réponse : une administration regroupant l’ensemble des compétences des lycées et collèges serait sans doute bien plus efficace !
-        Subventions culturelles (bibliothèques, musées, valorisation du patrimoine…) : ici, le rôle d’élus local semble se justifier totalement,
-        Le développement du tourisme : idem
-        Le « développement local », qui consiste à subventionner des communes ou des associations… Derrière ce poste se trouve pour beaucoup des dépenses clientélistes, visant à aider ceux qui ont aidé lors des élections… Le supprimer ne serait que source d’économies salutaire !
 
En résumé, les compétences qui relèvent pertinemment d’élus locaux sont :
-        La gestion des transports publics locaux, par autocar, bus, métro, ou tramway,
-        La politique de développement culturel et touristique.
On note au passage que le tourisme est un doublon entre département et région…
Bref, cette liste peut naturellement être discutée, complétée. Mais le principe doit rester  qu’il faut se poser la question fondamentale suivante : quelles sont réellement les compétences qui nécessitent une décision politique prise au plus près des citoyens, par des élus locaux, responsable devant les citoyens locaux qui financeront ces politiques ?
Si cette question est posée honnêtement aux français, il y a fort à parier qu’ils auront bien plus tendance à retirer des compétences aux régions et conseils régionaux qu’à leur en confier davantage…

Mais détruire ne fait pas une politique. Si la décentralisation des dernières décennies a été un échec –tout le monde s’accorde à peu près dessus- peut-on simplement la balayer d’un revers de main, en disant, il suffit de revenir en arrière ? Non, car les raisons fondamentales qui avaient poussé à cette décentralisation demeurent. Et il faut pouvoir y trouver une solution.
 
Et, pour trouver cette solution, on essayait de raisonner autrement ; de prendre le problème à l’envers ?
 
Et si on se demandait : quelles sont réellement les compétences qui nécessitent une décision politique prise au plus près des citoyens ? Quels sont les choix stratégiques pour les territoires, pour lesquels Paris n’a aucune légitimité à décider ?
 
Et, une fois d’accord sur les compétences à déléguer localement, on envisageait d’en déduire un découpage cohérent avec ces compétences, qui permettre réellement aux élus locaux d’exercer leur rôle au plus près des citoyens, dans un périmètre ayant réellement un sens du point de vue des compétences qu’on veut lui confier ?
C’est ce que je me propose d’examiner, en partant sur des hypothèses qui me semblent raisonnables, en termes de compétences à décentraliser.
 
Et il ne faudra pas oublier de regarder ce qui peut être fait pour répondre à la légitime demande des français, qui a été à l’origine des politiques de décentralisations, à savoir : comment éviter que tout soit décidé à Paris, et que tout tourne toujours autour de Paris ?

Suite demain

1 commentaire:

  1. Gilbert Perrin Je ne crierai jamais assez fort "BRAVO les TONDUS".... Depuis des années et des années, bien avant HOLLANDE, j'ai dit et répété que le seul moyen pour obtenir justice et égalité entre tous les travailleurs : c'était la GREVE des CHARGES et IMPOTS .... Vous y êtes je m'en réjouis, TENEZ LE COUP, allez jusqu'au bout, l'ETAT ne peut rien faire SI CE N'EST DE CEDER .... IL CEDERA !!! FELICITATIONS

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