mardi 4 août 2015

Pourquoi les théories du complot existent-elles ? – 3ème partie (billet invité)

Billet invité de Marc Rameaux, qui vient de publier « Portrait de l’homme moderne », suite de la 1ère partie, et de la  2ème partie


3.  Synthèse des contre-arguments aux théories du complot


Les contre-arguments aux théories du complot apparaissent de façon claire, une fois que les éléments précédents ont été compris :

  • Les jeux d’influence sont multiples, tandis que les complotistes voient toujours la main d’un groupe unique et tout puissant derrière de soi-disant « décisions » à l’échelle mondiale. Il n’y a pas de « décision » prise à l’échelle planétaire, mais des influences opposées qui se combattent et cherchent chacune à pousser leur point de vue.

  •  Il est absurde de dénoncer des « connivences » en tant que telles entre des groupes d’individus, le vivant étant constitué de connivences permanentes, qui sont au fondement des réseaux de relations. En réalité, nous ne nous indignons des connivences que lorsqu’elles sont contraires à nos intérêts ou à nos opinions, mais il nous paraît parfaitement normal et naturel d’établir nous-mêmes des connivences pour la poursuite de nos propres buts. Lorsque la connivence nous dérange, elle est complot machiavélique, lorsqu’elle nous convient, elle est association de gentlemen. Plutôt donc que de pointer les connivences avec force indignation, il faut plutôt se demander pour chacune d’entre elles si : 1. Elles sont bénéfiques à la société. 2. Elles se dévoilent de façon suffisamment explicite pour qu’un contrôle démocratique s’exerce sur elles. 3. Elles sont suffisamment équilibrées par des contre-pouvoirs pour ne pas dégénérer en abus de position dominante. Si une association d’intérêt ne respecte pas ces trois critères, il faut effectivement la combattre, non pas parce qu’elle est une association d’intérêt mais parce qu’elle peut être nuisible à l’ensemble du réseau de relations qu’est une  société humaine.
  •  Les associations humaines, les meilleures comme les pires, sont le fruit d’une génération spontanée, qui n’a rien de miraculeux mais qui suit les règles de renforcement progressif des relations entre des individus multiples. Ceux-ci communiquent par des signaux de reconnaissance simples entre eux, montrant qu’ils poursuivent des objectifs similaires, ou partagent des convictions communes sur les comportements qu’ils estiment gagnants dans le jeu social. La meilleure preuve en est que même dans les pires jeux d’association, celui d’une mafia, les « parrains » ne sont pas des maîtres tous puissants mais des rouages pouvant être facilement remplacés. Il y a bien un « système » au sens logique et physique du terme, mais personne ne l’a conçu, élaboré et mis en place, tout comme la fourmilière est la résultante d’une série d’interactions entre individus. L’on pourrait nous objecter que dans le cas où l’intelligence collective dérape vers de mauvaises associations, une telle logique systémique dédouane les individus de toute responsabilité personnelle. L’argument a été réfuté par Michel Crozier : s’il n’y a pas de « grands responsables » de telle ou telle association humaine, le choix de rentrer dans le jeu de telle ou telle reste une responsabilité morale. Rentrer dans le jeu d’une mafia fait de nous un mafieux, même si la compréhension globale d’une mafia dépasse largement celle des intérêts individuels qui la constituent.
  • Les réponses ultra-coordonnées des logiques collectives font croire au complot, alors qu’elles sont précisément la meilleure preuve d’une absence de complot et au contraire d’une forme de « résonance sociale ». Il peut y avoir de véritables complots dans l’histoire, comme par exemple la conjuration de Catilina. Mais précisément, leur maladresse, leurs erreurs parfois béantes gardent l’empreinte des intentions humaines. Seuls les phénomènes d’intelligence collective permettent d’expliquer des réponses aussi précises, rapides et implacables. Tous les phénomènes d’engouement de société en sont la meilleure illustration. Lorsque ces « résonances » s’effectuent au sein de cercles du pouvoir, la suspicion de complot est encore plus importante. Pourtant les dirigeants sont simplement des hommes, qui obéissent aussi à des engouements, qui s’avèrent parfois d’ailleurs être des illusions. Les réponses très coordonnées d’une certaine classe sont seulement la preuve qu’aucun groupe humain n’échappe aux phénomènes d’intelligence collective, avec sa part d’aveuglement et d’idéologie, non d’un quelconque complot.
  •  Même les phénomènes d’oligarchie, de cliques, de castes défendant leurs intérêts propres au détriment de la collectivité trouvent une bien meilleure explication par l’intelligence collective que par les théories du complot. Nous ne nions pas ces phénomènes d’ententes illicites ou de conflits d’intérêt : il suffit de lire les ouvrages de Sophie Coignard – qui sont factuels – pour s’en convaincre. Mais ils obéissent aux règles de formation de toute association d’intérêts humains, tout comme les bonnes associations. Il s’agit encore une fois de ne pas se tromper de combat : il est inopérant de dénoncer les connivences en tant que telles, mais celles qui sont nuisibles et opaques. Elles ne font partie que de la multitude des jeux croisés des intérêts humains. La formation d’oligarchies, voire de mafias dans des cas extrêmes, s’explique non par un quelconque complot, mais par le fait que suffisamment d’individus peu regardants éthiquement envoient suffisamment de signes de reconnaissance entre eux et bénéficient d’une opportunité pour s’engouffrer dans l’aubaine. « Qui se ressemble s’assemble » dit le vieux proverbe, résumant en un trait les lois d’association humaines, sans besoin d’être un expert en sciences cognitives. Ces oligarchies naissent généralement dans des situations où les contre-pouvoirs sont insuffisants. « Tout pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Un groupe humain détenant un pouvoir important dérapera fatalement vers l’entente illicite s’il s’aperçoit qu’il n’a pas de contre-pouvoir, c’est-à-dire qu’il bénéficie d’une totale impunité. Et il ne s’agit pas là de complot, mais des lois de la dynamique des groupes.

Si nous représentons la société comme une immense collectivité d’individus appliquant chacun des stratégies d’association, de rupture, ou de trahison, il existera des stratégies plus ou moins gagnantes ou perdantes. La société se moule sur les stratégies gagnantes, indépendamment des buts, de la morale ou des intentions de chaque individu. Une morale personnelle permettra peut-être à un individu isolé de refuser sciemment certaines stratégies gagnantes pour des raisons éthiques : il lui reste toujours le choix de rentrer ou non dans les jeux offerts par la société. Mais si trop de stratégies gagnantes sont douteuses sur le plan éthique, la société deviendra fatalement elle-même douteuse. C’est la raison pour laquelle « à quel jeu joue-t-on ? » est la question structurante de compréhension d’une société. Les règles du jeu sont rarement explicites. Elles peuvent être enfouies dans l’inconscient collectif d’une société, dans ses valeurs sous-jacentes. Mais elles déterminent les comportements qui seront encouragés ou découragés, et par voie de conséquence les types d’homme qui émergeront des jeux sociaux collectifs, qui seront à l’image des valeurs que cette société véhicule.

Aussi, lorsqu’une caste malhonnête émerge parmi la classe dirigeante d’une société, et qu’elle se met à détourner les leviers de l’action collective à ses fins personnelles, ou encore lorsque ceux qui sont censés représenter l’élite politique et économique d’un pays sont devenus de toute évidence des usurpateurs, récupérant aux postes de commandement intermédiaire le travail d’hommes bien meilleurs qu’eux, il est tentant mais faux d’y voir la marque d’un complot. Une telle situation signifie seulement que l’on a laissé s’installer des logiques collectives malsaines, des jeux d’acteurs dans lesquels des comportements non méritocratiques s’avèrent être des stratégies gagnantes.


Lorsqu’un réseau de connivence s’est suffisamment renforcé par les lois de l’interaction biologique, il peut représenter un véritable noyau dur au sein de la société. En particulier, en l’absence de contre-pouvoirs, les jeux d’influence adverse ne parviennent même pas à équilibrer de tels noyaux durs, leur conférant une puissance hors-normes. D’où les comportements de caste renforcés décrits par Sophie Coignard, allant du sentiment d’impunité à celui de trouver toute malversation normale. L’on pourra nous demander dans ce cas pourquoi aller chercher une explication adverse aux théories du complot, si le résultat est le même, à savoir un pouvoir démesuré conféré à une petite minorité, qui ne tardera pas à se livrer à toutes les formes d’abus de pouvoir. Lorsque de tels noyaux durs se sont constitués, le résultat est effectivement le même, mais la différence dans l’origine du problème a des répercussions considérables : quelqu’un qui considérera qu’il s’agit d’un complot ex-ante, préalable à la constitution du noyau, cherchera des boucs-émissaires au sein d’un groupe d’hommes chargé d’incarner le mal. Celui qui verra dans la formation de ces noyaux durs la résultante ex-post des jeux collectifs se dira simplement que les règles de fonctionnement de la société sont défaillantes, et qu’elles permettent à un comportement de profiteur d’être une stratégie gagnante. L’action menée en conséquence sera très différente : elle ne consistera pas en la recherche de boucs émissaires, mais en la réforme des règles du jeu de la société, de façon à équilibrer à nouveau les pouvoirs par des contre-pouvoirs, et favoriser à nouveau le mérite. Bien évidemment, un acteur ayant tiré profit de façon outrancière des mauvaises stratégies sera sanctionné pénalement, non parce qu’il en a tiré les ficelles mais parce qu’il est rentré dans ce jeu.

7 commentaires:

  1. Partie la plus intéressante des trois pour ma part.

    Mais bon, le mot "complot", apparemment, on ne peut plus l'utiliser, c'est mal et ça fait de vous un complotiste et un adepte de la théorie du complot (c'est plus politiquement correct de parler d'alliance, de coup monté, de ligue, d'association, de conspiration (mal aussi certainement ?), de réunions, menées par des réseaux de connivence, d'intérêts ???...).

    Si on reprend la définition de "complot" du Littré : "Résolution concertée secrètement et pour un but le plus souvent coupable." ; du Larousse : "Par extension, projet plus ou moins répréhensible d'une action menée en commun et secrètement".

    Cet article ne met pas du tout l'accent sur l'une des composantes essentielles du mot qui est le "secret" :
    - fruit de tous les fantasmes (parfois délirants, OK)
    - MAIS AUSSI de toutes les manipulations et désinformations.

    Bien souvent, quand on se pose des questions sur le système et/ou que l'on essaie de dénoncer les décisions et comportements de certains acteurs (bien souvent en haut de la pyramide), sans même jamais soi-même parler de complot, on se voit traité de complotiste par eux-mêmes ou par des chevaliers blancs (de bonne ou de mauvaise foi) et le mot complot revient sur la table, bien pratique car permettant facilement d'utiliser les bonnes vieilles techniques de désinformation et d'évitement du débat (indignation, rumeur, confusion, division, diversion, dénigrement, ridiculisation...).

    J'ai l'impression que cet arme de "théorie du complot" est bien souvent également utilisée par les forts pour :
    - brouiller les cartes
    - caricaturer, ridiculiser, voire menacer certains "déviants" de la thèse officielle
    - promouvoir l'auto-censure
    - éviter toute tentative de travail d'investigation
    - bannir à jamais le début d'une tentative de sens critique

    ***Jacko***

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    1. Attendez les deux dernières parties de l'article, elles devraient répondre à certaines de vos interrogations.

      Car l'objet de l'article entier est de montrer que le véritable problème n'est pas de dénoncer les théories complotistes - souvent ridicules - mais les comportements qui les nourrissent : ceux de classes dirigeantes qui se pensent intelligentes en se montrant cyniques, mais qui sont tout autant aveuglées par leur propre suffisance. La question du complotisme comme prétexte et couverture à toutes les malversations est abordée dans les deux derniers chapitres.

      Si vous souhaitez anticiper, l'article est présent in extenso sur mon blog ainsi que dans "l'oeil de Brutus" :

      http://le-troisieme-homme.blogspot.fr/2015/07/pourquoi-les-theories-du-complot.html

      http://loeildebrutus.over-blog.com/2015/07/pourquoi-les-theories-du-complot-existent-elles.html

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    2. J'attends donc les 2 derniers articles, merci :)
      même si ce ne sont pas des interrogations, mais plutôt des constatations, intuitions.

      Une analyse détaillée et nominative des réseaux d'influence actuels et classes dirigeantes diverses et variées (niveau Monde) m'intéresseraient également, avec leur lot de motivations, d'outils (manipulations, médias...), d'interférences, voire de contradictions.

      ***Jacko***

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  2. S'il y avait vraiment auto-organisation ou intelligence collective véritable, le monde n'en serait pas où il est actuellement!

    Il n'y aurait pas de cycle création-destruction! Toute création serait permanente ou du moins tendrait vers la permanence!

    L'intelligence, la vraie, d'inspiration spirituelle, s'occupe de l'ensemble de l'humanité, du Tout, sans en exclure une partie.

    Il n'y aurait pas de riches, de pauvres, de maîtres, de valets..., tous serait considérés également sur un monde d'intelligence.

    L'intelligence de l'ego, la raison, lorsqu'elle déraisonne nous démontre sa limite et son imperfection. À partir de là, nous ne pouvons plus parler d'intelligence véritable, ni d'intelligence collective, mais plutôt d'un fac-similé d'intelligence avorté, d'un substitutif d'intelligence qui n'a rien d'Intelligent; se traduisant par un collectif d'egos se croyant intelligents qui, tirant la couverture chacun sur son bord détruisent ou déchirent le tissus social, à la place de le souder de le fondre en Harmonie et en Paix.

    Autrement dit, l'intelligence collective véritable n'existe pas sur ce monde!

    Le Christ en chacun de nous rétablira l'Intelligence, la seule authentique, car contrairement à l'ego de nature satanique et Luciférien, lui, agit dans l'intérêt de l'ensemble et non d'une communauté d'egos tissant des liens fragiles entre eux afin d'exploiter, d'asservir, la majorité de l'humanité.

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  3. Il y a des évolutions de convergences d'intérêt de classes dominantes.
    Les états nations ne sont qu'une portion de l'histoire, mais ayant entrainé le principe de guerre totale depuis les Assyriens.

    L'erreur des promoteurs de l'Europe c'est de prétendre que l'UE se justifie du fait d'éviter 14-18 et 39-45 de se reproduire, alors que c'est la dissuasion nucléaire et l'union des nations occidentales dans l'OTAN contre l'URSS qui a pacifié l'Europe. Donc, c'est tout de même une union d'états contre l'URSS qui a prédominé et pas des états nation isolés et libertaires souverainistes.

    La constitution d'états nations étudiée sur des millénaires montre le degré d'accroissement de la violence guerrière qui en est issu, c'est indéniable. Les états ne sont pas l'origine de la civilisation sur le temps anthropologique long.

    http://lavoiedelepee.blogspot.de/2015/08/les-epees-la-guerre-premiere-de-la.html?spref=tw

    https://www.facebook.com/dupillageaudon?fref=nf

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  4. Votre électricien à Chelles est prêt a votre disposition 7/7j et 24/24h , Une intervention dans l'heure . alors n’hésitez pas de nous contacter sur 0140460354
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