samedi 24 février 2018

Anne Nivat et la tentation communautariste

Le livre d’Anne Nivat représente sans doute l’un des meilleurs documentaires sur la France périphérique, trop souvent absente des média. La bienveillance et l’investissement de cette grande journaliste permettent d’approcher très près de cette réalité que l’on peut ignorer. Elle consacre une grande partie du livre aux tensions communautaires, avec un regard assez engagé.


Des individus et du projet de société

Anne Nivat note plusieurs fois que la conception française de la laïcité est mal comprise par les étrangers, notamment musulmans et elle essaie de l’expliquer. Sa bienveillance et son humanisme semblent la pousser vers le multiculturalisme : « notre capacité d’aveuglement et de surdité, cette propension à vivre les uns à côté des autres sans vouloir vraiment se connaître me paraissent immenses (…) Serions-nous résignés à vivre séparés et irrités ? Pour l’heure, il semblait plus raisonnable et réaliste d’accepter l’idée que notre société, par essence ‘multiculturelle’, soit de facto ‘une société sous tension’, ainsi que l’analysait avec pertinence Christophe Guilluy (…) Les Occidentaux, c’est bien connu, sont toujours prompts à célébrer la différence, mais, ils ne s’intéressent pas beaucoup à ce qui n’est pas eux ».

Dans la lignée de Guilluy, elle évoque Christophe, qui « détaille cette peur saisissant le petit Blanc vivant au quartier, tout simplement parce qu’il s’y trouve en minorité » et ceux qui envisagent de devenir musulman « tout simplement pour ne pas être différent : ils pensent que parce qu’ils seront musulmans, rien ne pourra leur arriver ». Pour elle « ce phénomène de conversions, qui reflète une soif d’encadrement de la jeunesse, devrait être analysé en profondeur ». Pour elle, la religion remplit un vide en notant que les convertis ou born again sont plus extrêmes. Elle poursuit : « je me fais la réflexion que les plus alcoolisés, les plus en détresse, les moins en bonne santé sont ‘les nôtres’, des Blancs » alors que les immigrés sont « encore emplis d’une force qui pourrait déplacer des montagnes ».

La question du voile occupe une place importante. Elle évoque Leïla, une Tchétchène enceinte de son quatrième enfant pour qui « ce que les gens ne saisissent pas, c’est que mon voile, c’est ma différence. Il est mon identité. Donc j’y tiens. C’est tout ce qui me reste ! ». A Evreux une femme lui dit, au sujet du voile : « ces femmes sont libres et choisissent de s’enfermer ! Elles ont la possibilité de s’épanouir et elles se ferment ». Contrairement à d’autres épisodes, l’auteur prend leur défense en lui demandant si « ces jeunes filles se sentaient plus libres en portant le voile ? », soulignant que les femmes voilées des pays étrangers « sont parfois heureuses dans leur mariage, en tout cas, autant qu’on puisse l’être ». Au global, elle donne largement la parole à des femmes qui défendent le port du voile, au nom de leur liberté, évoquant une assistante scolaire qui « se voile au sortir de l’établissement, parce qu’elle assume son choix et en est fière. Ce voile l’aide à vivre ».

Elle évoque ces quartiers où bien des femmes portent le hijab ou le niqâb, et cette jeune fille convertie en terminale, venant d’un milieu catholique, qui porte un hijab gris, qui, par le fait que cela lui donne une identité musulmane, la protège de la convoitise, la « libérant » (sic). Pour l’auteur « son discours, majoritaire parmi les femmes voilées, n’est quasiment jamais relayé dans les média ». Elle note cependant que « s’il est un sujet qui fâche en France, et dont la complexité n’est pas comprise par les migrants musulmans, c’est bien celui-là ! » et note « qu’ils peinent à accepter les lois françaises sur le sujet ».

Pour l’auteur, « on aurait jamais dû mettre les immigrés entre eux ». Mais elle dénonce aussi les propos de Valls sur « l’asservissement de la femme qui porte un burkini », s’appuyant sur la critique du New York Times, qui y voit un paternalisme et un moyen de détourner d’autres débats plus importants : chômage, croissance, terrorisme. Elle s’indigne : « comme Manuel Valls avait-il pu asséner de telles affirmations ? Comment pouvait-il se permettre de telles généralisations ? Qu’en savait-il ? ». Mais elle évoque aussi cette femme, française de souche, militante de gauche, qui dit avoir peur que ses filles tombent amoureuses d’un musulman qui leur impose une nouvelle vie. Et à Ajaccio, elle rapporte la crispation provoquée par le voile. Pour elle, « se questionner sur l’identité, c’est tester son degré d’ouverture, c’est montrer qu’on résiste à la tentation de la fermeture. En abordant l’identité corse, on s’approche du fantasme (…) L’identité française tend à se fondre dans un espace européen à faible identité, d’où cette sensation de dilution propre à générer des angoisses existentielles ».

Ce discours est connu, c’est celui de Macron, The Economist et du patronat. Réduire le débat public à un débat entre les ouverts et les fermés, par le jugement de valeur que cela représente, quand cela est fait par ceux qui se disent ouverts, n’est-ce pas montrer qu’ils sont fermés et non ouverts aux opinions des autres, qu’ils rejettent par principe, dogmatiquement ? En outre, ce discours, probablement porté par une vision assez mondialiste de l’humanité, oppose de manière superficielle l’identité à l’ouverture. Pourquoi avoir conscience et être fier de son identité rendrait-il fermé ? Il me semble au contraire que ce sont ceux qui se sont éloignés de leur identité qui sont bien plus fermés à l’égard de l’autre, cherchant justement à l’éviter le plus possible. Dommage qu’elle n’ait pas noté ces paradoxes. En somme, son livre, s’il présente sans doute un portrait très juste de la France périphérique, reste peut être trop angélique et conformiste dans sa dimension politique, quand celui de Gérald Andrieu savait aller beaucoup plus loin.

Et même si elle saisit bien les interrogations des uns et des autres sur la religion musulmane, je ne partage pas du tout son point de vue sur le voile. Je crois que sa bienveillance et son humanisme la poussent dans les bras du multiculturalisme et de l’acceptation de pratiques pourtant contraires à nos valeurs, et qui remettent pourtant profondément en cause l’évolution du statut de la femme dans la société française. Car comment penser que le port du voile se fait d’abord pour de bonnes raisons. Entre les femmes qui sont contraintes de le porter (mais qui ne l’avoueront pas facilement) et celles qui le portent pour leur sécurité (ce qu’elles ne devraient pas avoir à faire), le jugement d’Anne Nivat me semble trop influencé par ses rencontres individuelles : même Libération avait montré les limites de l’angélisme… Il en va de même pour la question des migrants, où elle penche clairement vers un accueil dont on voit mal les limites, ignorant les effets économiques (coût pour la société, et déséquilibre du marché du travail en faveur des entreprises), alors même qu’elle pointe une partie des tensions que cela produit dans la société.

Même si j’ai de profonds désaccords avec elle, je tiens à remercier Anne Nivat pour ce remarquable travail en profondeur de description d’une réalité trop souvent ignorée, quand elle n’est pas effleurée de manière totalement superficielle. Je suis convaincu qu’elle a sans doute dressé l’un des meilleurs portraits de cette France périphérique, du point de vue des individus, à défaut de l’avoir fait du point de vue de notre corps politique, comme l’avait si bien fait Gérald Andrieu.


Source : « Dans quelle France on vit », Anne Nivat, Fayard

10 commentaires:

  1. "Entre les femmes qui sont contraintes de le porter (mais qui ne l’avoueront pas facilement) et celles qui le portent pour leur sécurité (ce qu’elles ne devraient pas avoir à faire)"

    Et il ne vous vient pas un seul instant à l'esprit que certaines portent le voile pour aucune de ces 2 raisons, qu'elles le portent car ça correspond à leur conception de la pudeur.

    Vous vous prenez pour qui de vouloir interdire le voile en raison de votre petit esprit étroit et borné ?

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  2. Pendant que vous y êtes, dans votre rôle de petit dictateur censeur et arbitre des bienséances, pourquoi vous ne proposez d'interdire la barbe et le petit chapeau de certains musulmans ou juifs qui les porteraient pour raison de sécurité ou de soumission à un ordre religieux.

    Il est tout de même surprenant que vous ne voulez interdire certains accoutrements qu'aux femmes musulmanes forcément irresponsables et pas aux hommes musulmans ou juifs. Ça sent bon son petit parfum patriarcal machiste que votre point de vue biaisé.

    Vous avez l'esprit très encrassé par votre infinie minuscule suffisance de bas de plafond plouc.

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    1. Beaucoup de tartufferie progressiste à deux balles pour juste insulter Laurent une fois de plus. Parce que c'était bien ton seul but, n'est-ce pas ?

      Ton numéro hypocrite de défense des femmes musulmanes est grotesque, stupide, et aussi dégradant pour l'intelligence que pour la morale. Tu es le type qui s'est appuyé sur les travaux d'Olivier Galland pour dénoncer Guilluy comme un usurpateur incompétent. OK, désignons Galland comme une référence. C'est le même auteur qui signale que 43 % des jeunes d’origine maghrébine (et seulement 30 % des garçons de cette origine) ne sont « pas du tout d’accord » avec l’idée que « le rôle principal des femmes est de s’occuper de la maison et des enfants », contre 67 % des jeunes d’origine française (43 % des jeunes d’origine maghrébine (et seulement 30 % des garçons de cette origine) ne sont « pas du tout d’accord » avec l’idée que « le rôle principal des femmes est de s’occuper de la maison et des enfants », contre 67 % des jeunes d’origine française : http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/11/23/olivier-galland-une-sociologie-qui-se-focalise-trop-sur-les-discriminations_5219253_3232.html#ov5yuKJsHVBMp6rw.99).

      Il est où exactement le petit parfum patriarcal machiste ? Ne serait-il pas dans ta défense du droit des femmes musulmanes à porter le voile, parce qu'au fond ce serait soi-disant avant tout une manifestation de pudeur et pas du tout une contrainte patriarcale ?

      Pour le port de la kippa en public, que tu oses évoquer, c'est déjà fortement compromis dans beaucoup d'endroits. Et pas parce qu'on envisagerait de l'interdire. Non, juste parce que cela déplaît à certains ou certaines de ceux que tu prétends faire passer pour des victimes sous prétexte qu'on interdirait le port du voile en public. Par contre, aucun juif ne se fait casser la gueule en France par un coreligionnaire pour refus de porter la kippa, de manger kasher ou de respecter le shabbat. Au pire, les plus coincés des juifs ultra-orthodoxes leur font la gueule. De même, les musulmans et musulmanes ne sont pas victimes en France des croyances religieuses des juifs et du fanatisme éventuel qu'il pourrait engendrer. La réciproque n'est malheureusement pas toujours vraie. Une fois de plus, tu as perdu une occasion de te taire, bête que tu es.

      Il est en fait parfaitement possible d'argumenter intelligemment sur le rapport particulier à la pudeur qu'exprimerait, pour certaines femmes, la revendication du droit au voile : http://www.liberation.fr/societe/2014/03/14/le-voile-qui-rend-quasi-invisible-est-devenu-l-image-de-l-islam_987166. Donc, le point de vue de Laurent est effectivement discutable. Il aurait fallu dialoguer sur ce point avec lui. Mais argumenter intelligemment et toi ça fait deux. D'abord, parce qu'il faut argumenter. Ensuite, parce qu'il faut être intelligent. Forcément, tu cales !

      Vas-y, Dutroll, fais ta Madame Irma et prédis-moi dans le marc de café ou le vol des oiseaux un avenir sombre où moi et ma crétinerie se "fera" (sic) "écrasée" (re-sic), pour reprendre ta formule immortelle. Régale-moi avec tes foutaises : la pseudo-règle de l'accord du participe passé imaginaire avec le COD inexistant placé avant l'auxiliaire absent… Le Magicien d'Oz ou le cycle martien d'Edgar Rice Burroughs, c'est de la littérature naturaliste à côté de la puissance imaginative de ton inventivité grammaticale.

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  3. Cet idiot d'herblay la cloche ne laisse place qu'aux commentaires de débiles mentaux, pauvre type, minus insignifiant, petit asticot gluant...

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    1. Mais non, c'est juste que les posts qu'il a censurés (j'ai eu le temps de les lire) était vraiment trop bêtes. Tu t'y enferrais dans tes délires et tes mensonges… Comme dit la Bible, "Comme un chien qui retourne à ce qu'il a vomi, ainsi est un insensé qui revient à sa folie" (Proverbes, 26:11).

      Ce qui est dommage est qu'on ne lira pas ta conclusion hilarante de sottise à moi adressée : "Aller, dégage". On écrit "Allez, dégage", nigaud que tu es ! Avec un Z comme Zorro ! Pas avec un R comme Rastaquouère ! Comme on écrit "Allez, viens".

      Et ça prétend me donner des leçons de grammaire… Tu es incurable. Mais continue. Tu m'amuses.

      À la prochaine de tes bourdes, l'illettré.

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  4. Avoir abandonné les filles dans certains quartiers, villes et autres cités est une des racines de la situation actuelle. L'Histoire nous a montré à plusieurs reprises que l'éducation, l'émancipation et le respect de la femme au sein des sociétés ont été un des piliers du développement desdites sociétés. En France, l'arrivée de F.Mitterand au pouvoir a sonné le glas de l’ascension sociale des filles dans certains quartiers, villes et autres cités. L'introduction du droit à la différence, de la politique dite des "grands frères" sans compter une revisite culpabilisante de l'Histoire de France ont conduits à laisser tomber les files, leurs causes, leurs espoirs etc...Je me rappelle de ces animateurs et animatrices de quartier, ou des ces professeurs au collège et lycée, de certains dans les mairies et autres administrations etc...etc...défendre ce droit à la différence au nom de la lutte contre le racisme. Je revois certains de mes professeurs prendre fait et cause pour les jeunes filles se voilant lorsque la 1ère affaire du voile est sortie. Et asséner des"vous n'êtes qu'un raciste" ou encore "vous n'avez aucune psychologie" etc...aux parents, à certains de leurs collègues voire au directeur de l'établissement qui eux demandaient le respect de la laïcité dans tous les établissements français. Je revois certaines de mes copines qui voulaient tout simplement qu'on leur foute la paix et qu'on les laisse étudier. Bah non...dès les 90's le mal était fait.
    Bon WE
    Sylvie

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  5. "Contrairement à d’autres épisodes, l’auteur prend leur défence"

    OOOhhhh Laurent ! DéfenSe et non DéfenCe ;-)!
    Sylvie

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  6. @ Anonyme 8h35

    Je n’ai jamais dit qu’il n’y avait aucune femme qui porte le voile en dehors de ces deux raisons. Mais de toutes les façons, même s’il y a des femmes qui le portent pour des raisons autres que mauvaises, comme le montre bien le papier de Libération, cela n’est pas neutre pour les autres, ce qui le rend difficilement acceptable.

    Le voile pose des problèmes différents car ce n’est ni la liberté (car son port n’est pas toujours fait de manière pleinement volontaire), ni l’égalité (un signe extérieur de l’infériorité des femmes), ni la fraternité par l’image inférieure que cela véhicule des femmes.

    @ Anonyme 17h57

    Merci

    @ Sylvie

    Merci de m’avoir indiqué le raté orthographique. Je viens d’entamer le livre de Fatiha Boudjahlat qui traite de ces sujets

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  7. "Le voile pose des problèmes différents car ce n’est ni la liberté (car son port n’est pas toujours fait de manière pleinement volontaire), ni l’égalité (un signe extérieur de l’infériorité des femmes), ni la fraternité par l’image inférieure que cela véhicule des femmes."

    Sur le plan des principes philosophico-politiques qui fondent la République, le port du voile est indéfendable. Ce qui ne signifie cependant pas qu'il faille l'interdire en pratique.

    De toute manière, même dans le cas où le port du voile se ferait de manière totalement volontaire et sans contrainte, nul n'a le droit d'aliéner sa propre liberté.

    Quant à l'autre raison avancée qui serait la "pudeur", il faut alors tenir compte du message implicite envoyé aux autres femmes (les "non-voilées") : vous êtes impudiques ou, pire encore, vous êtes des putes occidentalisées qui trahissez votre communauté.



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  8. "Pourquoi avoir conscience et être fier de son identité rendrait-il fermé ?"
    On pourra noter au passage que les musulmanes qui portent leur voile en étendard ont conscience de leur identité religieuse et en sont fieres...Curieusement, nos chers libéraux ne s'en offusquent guère...

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