dimanche 8 juin 2025

Crise budgétaire (2/3) : le bouc-émissaire trop commode des retraités

C’est la tarte à la crème des oligarchistes, « la préférence française pour la retraite ». La France serait une gérontocratie, où nos dirigeants seraient à la solde de ces retraités qui votent en masse, protégeant leur pouvoir d’achat excessif, au détriment des jeunes, discours repris par Nicolas Granié, dans un papier du nouveau numéro de Front Populaire, « La guerre des retraites »… Mais pour qui se penchent sur les faits, les retraités sont et vont déjà largement assez être mis à contribution.

 


La bataille des pensions a eu lieu : les retraités l’ont perdu

 

Il faut dire qu’avec un bloc central soutenu par les retraités face à des partis plus radicaux, et certaines statistiques bien choisies, le discours semble crédible. Le problème, c’est que l’on peut faire dire à peu près tout et n’importe quoi aux chiffres en les choisissant bien. Une méthode obscure du BIT annonce à peine plus de 2 millions de chômeurs en France, quand le décompte des demandeurs d’emploi par France Travail dépasse les 3 millions pour la seule catégorie A, et même 5,5 pour les catégories A à C (sachant que l’on va jusqu’à G…)… Idem sur la compétitivité : notre première place n’existe que pour le nombre de projets : nous sommes bien plus loin en nombre d’emplois créés ou montants investis. Et le vote des retraités pour le bloc central ne préjuge pas d’un traitement de faveur : il suffit de voir l’appauvrissement des enseignants orchestré par un PS qui a pourtant longtemps été leur premier vote…

 

Bref, le sujet du niveau des pensions de retraite est bien trop complexe pour s’en tenir à quelques chiffres ou de simples sondages. Hexagone a cru apporter de l’eau au moulin de cette démonstration en montrant une infographie sur les revenus des plus de 65 ans par rapport au revenu moyen. La France est en 3ème position, avec un indice de 100 (égalité entre les deux moyennes), devancée par l’Italie (103), et devant l’Espagne (99), l’Allemagne (88) ou la Grande-Bretagne (86). Mais ces chiffres, loin de démontrer que les retraités Français seraient particulièrement bien traités, tempèrent plutôt le discours oligarchiste ambiant qui semble vouloir faire des retraités les prochaines victimes sacrificielles de l’austérité, quand il ne s’agit pas d’en faire les bouc-émissaires de tous nos problèmes. En effet, la France est dans la même position que l’Espagne et l’Italie et on peut expliquer l’écart avec l’Allemagne et la Grande-Bretagne pour une raison très simple : le marché du travail, bien plus tendu, y est moins défavorable aux salaires…

 


En outre, comme toujours avec les moyennes, cette analyse devrait être complétée par une analyse plus fine du niveau des revenus décile par décile, et de leur évolution, pour bien comprendre la réalité des revenus des retraités, et leur évolution. N’oublions pas qu’une moyenne peut être déformée : les revenus aux USA ont progressé de 6,1% de 73 à 2012 en baissant de 1,6% pour les 90% les moins riches... Un raisonnement à la médiane est plus précis. En outre, la question de l’évolution de ces revenus est un peu trop souvent éludée pour que cela ne soit pas suspect. En effet, le pouvoir d’achat des pensions a baissé de près de 10% depuis 2014, du fait de leur fréquente non revalorisation et de la hausse de la CSG. Bref, les retraités ont déjà été largement mis à contribution par nos dirigeants depuis une dizaine d’années. C’est parce que les revenus des actifs ont baissé (le salaire médian a reculé de plus de 20% depuis 2000), que les revenus des retraités semblent élevés alors qu’ils ont juste moins baissé que ceux des actifs.

 

En outre, en France, on peut rétorquer que les innombrables allégements de cotisations sociales (heures supplémentaires, bas salaires, primes des fonctionnaires) rendent forcément mécaniquement le poids des pensions plus lourd pour ceux qui ne sont pas exonérés. Moins d’allègements, ce serait un poids mieux réparti. Il est frappant que ceux qui défendent la baisse des retraites soient aussi à la manœuvre pour les exonérations, comme s’ils souhaitaient détruire le système par répartition français. Pire, notre pays souffre aussi d’un chômage de masse largement responsable de la tension actuelle. Avec 2 à 3 points de taux d’emploi supplémentaire (par la forte réduction de notre déficit commercial), le financement des retraites à leur niveau actuel ne serait plus un problème. Le problème principal est surtout un problème de montant trop faible de cotisations (du fait du déficit commercial et des exonérations).

 

Bien sûr, certains agiteront les montants des déficits prévus dans le futur pour convaincre de l’urgence de dépouiller à nouveau les retraités. Mais pour qui étudie le rapport du COR, la conclusion est loin d’être aussi claire. D’abord, il est frappant de constater que le poids des dépenses de retraites dans le PIB doit légèrement baisser dans le futur, et non augmenter, passant de 13,7 à 13,2%. C’est la chute projetée des recettes qui accentue un déficit, bien moins important en proportion que celui du budget hors Sécurité Sociale… La raison est simple : l’effet des différentes réformes passées va encore considérablement peser sur le niveau de vie des retraités puisque le COR projette un recul de 10% de leurs revenus d’ici à 20 ans par rapport aux revenus des actifs (et 15% d’ici à 40 ans). Bref, les retraités doivent déjà fortement contribuer à la rigueur dans les prochaines années, et il serait injuste d’aller plus loin. D’ailleurs, le système français est loin d’être si généreux, l’arbre des 64 ans cachant une durée de cotisation plus longue (42 contre 40 au Portugal et en Grèce et moins de 38 ans en Espagne), comme le pointait Philippe Duval.

 


Bref, aujourd’hui le niveau des pensions de retraite en France n’est pas si élevé que cela, d’autant plus qu’elles ont déjà baissé de près de 10% depuis 10 ans du fait des non revalorisation et de certains choix fiscaux. Si le niveau des retraites apparaît relativement plus élevé que la moyenne européenne, c’est parce que les revenus des actifs ont reculé de 21% depuis 2000, du fait du maintien d’un chômage de masse et du détricotage du droit des travailleurs. En outre, avec l’application des réformes Touraine et Borne, les retraités vont à nouveau être mis fortement à contribution dans les prochaines décennies, avec un revenu des retraités qui devrait passer de 100 à 90 du revenu des actifs d’ici à 2045, et même seulement 85 en 2065. Bref, les retraités ont déjà été largement mis assez à contribution et vouloir ajouter de nouvelles mesures serait excessif pour qui prend le temps d’examiner un peu précisément la situation. En outre, l’INSEE montre que le rapport entre nombre de cotisants et retraités remonte, à 1,77 en 2022.

 


Mieux, pour qui étudie le rapport du COR, plusieurs hypothèses amènent à questionner les prévisions d’un solde légèrement négatif. D’abord, le recul des recettes, justifié par un recul des prélèvements obligatoires. Plus contestable encore, les hypothèses démographiques du COR. Le scénario central prévoit encore une forte augmentation de l’espérance de vie à 65 ans, de l’ordre de 3 à 4 ans de plus d’ici à 2070. Ce point semble très discutable pour qui constate le plateau qui semble se former pour l’espérance de vie globale depuis une dizaine d’années : 85,4 ans pour les femmes en 2014 contre 85,6 en 2024 (les hommes passant de 79,2 à 80), d’autant plus que l’espérance de vie a commencé à reculer dans quelques pays occidentaux. Ainsi, on peut se demande si l’hypothèse basse n’est pas beaucoup réaliste que l’hypothèse centrale. Mais ce faisant, le poids des dépenses de retraite reculerait fortement (de près de 14% du PIB à 12%, au point de présenter un solde positif avant 2060 et légèrement négatif avant).

 


Pour conclure, il y a aussi un problème d’agenda caché dans la déconstruction de notre système de retraite par répartition : le secteur financier est avide des frais de gestion que permet un système par capitalisation. Les 15% de capitalisation évoqué par Édouard Philippe, c’est 60 milliards d’actifs de plus à gérer tous les ans, une manne considérable. Pourtant, si cela était mis en place, cela imposerait une baisse additionnelle de 15% des pensions pour dégager un volant de capitalisation. De plus, on peut fortement questionner le moment choisi pour le faire, alors que les marchés financiers sont au plus haut. Outre une opposition de principe, on peut y apporter une opposition conjoncturelle tant cela reviendrait à prendre le risque de voir le capital profondément se dévaloriser en cas de krach financier dans les années à venir… Enfin, les mesures d’âge sont injustes pour ceux qui ont fait des études courtes.

 

Bref, l’austérité a déjà frappé les retraités, et ils doivent encore apporter une grande contribution à la crise budgétaire du fait des réformes passées. Il serait profondément injuste de les mettre encore davantage à contribution, comme le montre le simple examen des chiffres du COR. Pire, on peut se demander si la présentation biaisée du débat ne sert pas surtout des intérêts privés…

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