Habituellement, je fais plutôt partie de ceux qui se méfient de l’emploi de produits chimiques dans l’agriculture, ou des pratiques de pêches qui détruisent l’océan. On pourrait donc s’attendre à ce que je fasse partie des opposants à la loi Duplomb. Mais, du fait du travail de Géraldine Woesner, j’ai l’impression que l’emballement médiatique est plutôt du côté des opposants à l’acétamipride, qui ont malheureusement eu le renfort de la plus haute instance juridictionnelle du pays jeudi 7 août.
Arrangements politiciens avec la réalité
Géraldine Woessner, une journaliste engagée du Point, a fait un très long papier, extrêmement documenté, qui fait la synthèse de ce que la science dit de l’acétamipride. Ce papier, que le Point a le grand mérite de mettre en accès libre, ébranle à lui seul toutes les oppositions à ce néonicotinoïde, même pour une personne très méfiante à l’égard des dérives de l’agrochimie. Plusieurs raisons à cela. D’abord, pour avoir lu plusieurs autres papiers à la tonalité hostile à l’acétamipride, il apparaît beaucoup plus détaillé et documenté. Et de plus, il présente et étudie les thèses hostiles au produit (y compris la présence de son métabolite de dégradation dans le liquide céphalorachidien d’enfant). A contrario, les papiers opposés apparaissent bien superficiels, pour ne pas dire bâclés, ressassant les quelques mêmes arguments.
La journaliste rappelle que le produit est autorisé dans le reste de l’UE, et qu’il est présent dans 95 produits biocides utilisés par les particuliers, au point que plus d’acétamipride est davantage utilisé en usage domestique qu’en usage agricole… Elle détaille le mode de fonctionnement de la molécule, qui élimine les insectes ravageurs en s’attaquant à leur système nerveux, comme les néonicotinoïdes. Mais la journaliste rappelle que la toxicité de cette molécule pour les abeilles n’a rien à voir avec celle des fameux néonicotinoïdes, « le clothianidine, interdit en Europe en 2018, (étant) 2300 fois plus toxique par ingestion (…) et 330 fois plus toxique par contact ». Une écotoxicologue de l’Efsa précise qu’il ne s’agit pas d’un tueur d’abeilles. En outre, il ne persiste pas dans l’environnement : « sa demi-vie dans le sol est inférieure à 8 jours, et de 1 à 4 jours dans les cours d’eau ». La journaliste note néanmoins que le chef de l’équipe toxicologique de l’Efsa, Marco Binaglia, souligne que « les données actuelles sont insuffisantes pour conclure à l’absence de risques », du fait d’évolution des méthodes de recherche.
Géraldine Woesner pointe cependant que cette absence de certitude n’est pas la certitude d’un risque, d’autant plus que la Dose Journalière Admissible a été fixée à un niveau 5 fois plus bas qu’habituellement. Des études indépendantes ont été prises en compte pour réviser les seuils à la baisse. Elle revient sur l’étude suisse qui pointe la présence du principal métabolite de dégradation de l’acétamipride dans le liquide céphalorachidien de 13 enfants sur 14 traités pour leucémie et lymphomes en Suisse, mais cette étude, outre son échantillon limité, présente de nombreux biais, comme l’absence d’étude de la source du métabolite : les insecticides domestiques ou l’usage agricole. Elle pointe enfin que la présence de résidus d’acétamipride dans l’alimentation est très limitée et largement en-dessous de seuils réglementaires pourtant prudents. Elle note également le maintien de l’autorisation de mise sur marché de la molécule par l’Anses en France. Enfin, elle note que la loi Duplomb ne prévoit même pas une réintroduction pure et simple de l’acétamipride, mais permet des autorisations « dérogatoires » pour une durée limitée et sous conditions strictes et que la molécule n’a pas d’alternative solide pour certains parasites de la betterave ou des noisettes et que son interdiction met à mal nos producteurs face à des concurrents qui peuvent tous l’utiliser …
En comparaison, même l’article de Reporterre, un site que j’apprécie, semble bien léger. Sur les pollinisateurs, Reporterre renvoie au danger global des néonicotinoïdes par l’entremise de Jean-Marc Bonmatin, sans la moindre précision spécifique à cette molécule. L’absence de certitude d’une absence de risques de l’Efsa, qui a justifié des doses journalières plus basses, est utilisée par Jean-Marc Bonmatin pour évoquer le principe de précaution. Ce dernier répond à l’argument de la concurrence déloyale en proposant de « niveler par le haut et pas par le bas en empoisonnant les gens ». Si je suis d’accord sur le principe, cette allégation pose un double problème dans le cas présent. D’abord, il ne me semble pas qu’il y ait de preuves sérieuses d’empoissonnement et les autorités semblent plutôt prudentes. Ensuite, ceux-là même qui veulent maintenir l’interdiction sont généralement des partisans de cette UE qui instaure cette concurrence déloyale, et qui a autorisé la molécule. Autant dire que leur volonté de maintenir l’interdiction de la molécule dans notre seul pays signifie un arrêt de mort pour certains agriculteurs, et donc un approvisionnement auprès de pays dont les normes sanitaires seront probablement plus laxistes que les nôtres…
C’est tout le problème de ces opposants, qui occultent de nombreux points du sujet, ou les traitent à la façon d’un influenceur, tel Hugo Clément, dont la dernière vidéo sur Instagram pour attaquer François-Xavier Bellamy est absolument navrante. Navrante sur la forme avec une manière de parler au député européen qui a plus à voir avec ce que fait un candidat de télé-réalité par caméra interposée qu’un vrai journaliste. D’ailleurs, sa conclusion « il n’y a qu’à interdire les importations de produits agricoles qui ont utilisé la molécule » est bien du niveau d’un candidat de télé-réalité bas de plafond : dans l’UE, la France n’a pas cette compétence, et de toutes les façons, nous n’avons pas de frontières avec nos voisins. Il serait totalement impossible d’empêcher l’arrivée des betteraves allemandes ou des noisettes italiennes.
Et entre Reporterre et Hugo Clément, ce sont toujours les deux mêmes scientifiques qui sont évoqués par les opposants. Le discours de Jean-Marc Bonmatin, qui mélange souvent les risques globaux des néonicotinoïdes avec le cas spécifique de l’acétamipride, est-il si solide ? Et ce que dit Philippe Grandcolas est trop peu contextualisé pour ne pas être soupçonnable d’un gros biais de présentation dans l’argumentaire des opposants à la loi. Bref, aujourd’hui, à titre personnel, si je suis heureux que la France se soit engagée dans l’interdiction des néonicotinoïdes, je tends à croire que l’interdiction conjointe de l’acétamipride a été une erreur, un produit de trop interdit, parce qu’il appartenait à une famille de produits dangereux, sans pleinement prendre en compte ses spécificités, telles que la science nous l’indique.
Là-dessus, le Conseil Constitutionnel semble offrir une porte de sortie à l’exécutif face à la pétition contre la loi Duplomb, qui a rassemblé plus de 2 millions de citoyens. En refusant la levée d’interdiction partielle de l’acétamipride, le Conseil semble se placer dans l’arrangement entre amis. Ainsi, il justifie l’interdiction antérieure, et pourrait calmer la révolte contre la loi Duplomb. Mais pour ce faire, son discours est d’une faiblesse effarante pour une telle institution. De manière révélatrice, nos prétendus sages ne mentionnent pas une seule fois le terme d’acétamipride, ni dans le communiqué de presse, ni dans le document de 32 pages qui détaille la décision (page 15 à 18 pour la partie concernant le refus de la réintroduction de l’acétamipride). Ils se content de parler des néonicotinoïdes en général (points 75 et 83)…
Le point 79 affirme, sans même utiliser le conditionnel, « les produits en cause ont des effets sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux, ainsi que des conséquences sur la qualité de l’eau et des sols et induisent des risques pour la santé huamine ». Non seulement le Conseil Constitutionnel utilise le présent, mais ne daigne pas citer la moindre source pour justifier cette affirmation. Le besoin politique de refuser la ré-autorisation de l’acétamipride ne s’embarrasse pas du moindre fait scientifique. Le plus ridicule étant que ce Conseil Constitutionnel d’ordinaire si révèrent à l’égard des règles européennes, contredit les conclusions de l’Efsa (« ce n’est pas un tueur d’abeilles ») sans même se référer à la moindre étude, même biaisée. Les « sages » se comportent comme des autocrates.
Ce faisant, la séquence semble claire : l’acétamipride a été interdit par erreur, nos législateurs amateurs et trop prompts au buzz ayant choisi la solution de facilité de bannir tous les néonicotinoïdes sans se soucier, ni des profils différents des molécules, ni des conséquences pour nos agriculteurs. Pour cette raison, ils ont laissé passer la loi Duplomb, pour se rattraper après la révolte des agriculteurs cet hiver. Mais devant le succès de la pétition, ces girouettes sans raison ni colonne vertébrale sont prêts à s’offrir un répit politique relatif sur le dos de nos producteurs de betterave et de noisettes. En effet, parce que tous les autres pays de l’UE autorisent l’acétamipride, meilleur traitement contre certains parasites, ils risquent d’être balayés et l’acétamipride non utilisé en France pourrait revenir par les importations, potentiellement dans des doses plus importantes, et avec d’autres substances autorisées ailleurs…
Bref, cette interdiction me semble excessive, même s’il faut veiller à la dangerosité des substances chimiques que nous autorisons. Et l’avis même du Conseil Constitutionnel, qui ne cite pas le moindre fait ou la moindre étude continue de montrer que ce Conseil tord le droit et les faits au service du pouvoir qui l’a nommé et d’une certaine idéologie. Encore une fois, c’est ce bloc central si prompt à donner des leçons, qui cède si facilement à des manœuvres contraires à toute rationalité, et plus encore à une démocratie fonctionnelle.
Vous oubliez un point important
RépondreSupprimerIl est possible que l'insecticide en question présente moins de risque que d'autres pour la santé humaine.
Mais vous affirmez que "élimine les insectes ravageurs en s’attaquant à leur système nerveux".
Or, la cause du succès de la pétition, plébiscitée par les jeunes, est bien là.
Voulons-nous continuer sur le chemin de l'extermination progressive des insectes, donc par conséquent des oiseaux qui s'en nourrissent, et de la pollinisation?
L' utilisation des insecticides en agriculture obéit à une logique de court terme, liée au profit des agriculteurs et à la poursuite de volumes de production largement supérieurs aux besoins du pays.
Nous le payons par de dangereux déséquilibres de notre écosystème, insoutenables à long terme.
Voilà le sens d'une sacrosainte pétition qui réclame pour le peuple français le droit de s'exprimer pour les choix qui concernent sa propre survie.
Exactement! La seule chose qui intéresse les agriculteurs français c’est le fric, le fric et le fric!
SupprimerSi ce n'était que cela, nous n'aurions quasiment plus d'agriculteurs. Ils ne gagnent pas assez leur vie. Il serait légitime qu'ils gagnent bien leur vie du fait de leur rôle essentiel dans la société
Supprimer@ Anonyme
RépondreSupprimerCe que semblent indiquer les études, c’est que cet insecticide présente beaucoup moins de risques. Après, c’est vrai qu’il s’attaque au système nerveux de certains insectes, mais pas à ceux des abeilles. Qu’il supprime les parasites de deux cultures (betterave et noisette) pour lesquelles il n’y a pas de véritable alternative, même avec une utilisation très modérée, et a priori sans risque pour les pollinisateurs et l’homme, n’est-ce pas finalement acceptable, même pour un partisan de l’usage le plus modéré possible des insecticides, comme je le suis ?
Là, il ne s’agit pas de produire beaucoup plus que nous avons besoin : nous importons beaucoup de noisettes par exemple, mais de permettre à nos agriculteurs de continuer à produire ce qu’ils produisent, en n’étant pas les seuls de toute l’UE à ne plus pouvoir utiliser cet insecticide. Il me semble avoir été interdit par erreur, par les amateurs qui nous gouvernent, qui pourraient bien l’avoir interdit parce qu’il s’agit d’un néocotinoïde, sans tenir compte des spécificités de cette molécule, qui semble sensiblement différente des autres.
Si nous interdisons l’acétamipride, le résultat, c’est que nous importerons plus de betteraves et de noisettes, produites avec de l’acétamipride (et potentielement d’autres substances interdites en France). Bref, je crains que sur cette histoire, nous jouions forcément perdant avec l’interdiction.
juste mes dix centimes pour combattre le fake news propagées par les grands betteraviers français
RépondreSupprimerAcétamipride est un insecticide de la famille des néonicotinoïdes.
Les néonicotinoïdes agissent sur le système nerveux des insectes, ce qui peut affecter les abeilles.
Toxicité pour les abeilles :
L’acétamipride a une toxicité modérée à élevée, selon les études.
Il peut provoquer des troubles du comportement, réduire leur capacité de butinage, et affecter la survie des colonies.
Par comparaison, il est souvent moins toxique que la clothianidine ou le thiaméthoxam, mais reste dangereux.
Son usage est réglementé dans l’Union européenne, avec des restrictions dans certains cas pour protéger les pollinisateurs.
"les agriculteurs ne gagnent pas assez leur vie"
RépondreSupprimerL'INSEE n'est pas du même avis. Ses données de 2018 pour le patrimoine médian net selon les catégories:
Agriculteurs exploitants ~438 000 €
Cadres et professions intellectuelles supérieures ~290 000 €
Retraités (toutes catégories confondues) ~200 000 €
Professions intermédiaires ~180 000 €
Artisans, commerçants, chefs d’entreprise ~175 000 €
Employés ~90 000 €
Ouvriers ~80 000 €
@ Anonyme 22h26
RépondreSupprimerUn peu courts comme arguments. Il ne s’agit pas de parler des néocotinoïdes en général, mais de l’acétamipride en particulier, 2300 fois moins toxique par ingestion qu’une autre molécule, interdite depuis, et dont les doses d’utilisation semblent strictement fixées. Ce n’est pas juste « moins toxique ». Et comme je le rapporte, l’Efsa affirme que « ce n’est pas un tueur d’abeilles ».
@ Anonyme 22h41
Un patrimoine (l’agriculture impose des actifs important), n’est pas un revenu.
En réalité, leur revenu moyen est proche de la moyenne, mais cela est trompeur car l’amplitude et la dispersion est plus forte que la moyenne : au final, le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne, ce qui est révoltant pour des personnes qui nous nourrissent. La moyenne est déformée par une petite minorité.
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/db02ff6c-d3b7-4cf1-8997-1c36105e3ebe/files/e335f7f5-96fe-4de9-94d4-0a37f5834254