lundi 14 mai 2012

Les trois gauches


Le retour à la présidence de la République de la gauche, après 17 ans, est l’occasion de se pencher sur le paysage politique de l’autre côté de l’hémisphère politique, malgré toutes les limites de ce clivage.

La gauche social-libérale

C’est celle qui a gagné le 6 mai, sans nulle doute possible, tant François Hollande en est le parfait héritier, en fils politique de Jacques Delors et Lionel Jospin, deux figures du Parti Socialiste bien éloignés du gauchisme. Cette gauche social-libérale a fait de l’Europe son graal, du fait de son internationalisme et de sa méfiance (pour ne pas dire plus) à l’égard de la nation et des frontières. C’est cette famille qui domine largement dans les grands médias classés à gauche.

Son rejet instinctif et viscéral des frontières lui a fait embrasser la liberté de circulation des capitaux, des biens et des personnes qui met aujourd’hui en danger l’État providence. Si elle reste attachée à la solidarité, son refus de remettre véritablement en cause la libéralisation économique par des frontières nationales lui fait proposer une régulation économique à l’échelle mondiale ou continentale qui est pourtant restée un vœu pieu dans les vingt dernières années.

Cette gauche est volontiers résignée face aux délocalisations qu’elle ne s’imagine pas capable de freiner, comme l’avait admis Lionel Jospin en 2002. En effet, son refus des frontières et son libertarisme ne lui permettent pas d’envisager les moyens de remettre en cause l’anarchie financière et monétaire, qu’elle a elle-même mise en place. Ce sont ces socialistes que le Général de Gaulle disait ne pas aimer « parce qu’ils ne sont pas socialistes ».

La gauche républicaine et populaire

En face de cette gauche sociale-démocrate, il existe une autre famille, plus dirigiste économiquement, mais également attachée à l’idée nationale, outil pour dompter l’anarchie économique. Cette famille est incarnée depuis trente ans par Jean-Pierre Chevènement. Cette famille est intimement liée au Parti Socialiste, qu’elle a contribué à créer et malgré les désaccords majeurs de fond, qui ont créé de multiples ruptures, elle finit toujours par rejoindre le PS jusqu’à présent.

Cette famille s’est trouvée une nouvelle figure en la personne d’Arnaud Montebourg lors des primaires socialistes. Elle connaît un grand mouvement intellectuel avec le collectif Gauche Populaire, qui veut réconcilier la gauche avec le peuple, à un moment où Terra Nova propose carrément au PS de l’oublier. Elle compte également plusieurs intellectuels comme Laurent Bouvet. Marianne est le média de choix de cette gauche moins dogmatique et plus ouverte.

La gauche radicale

La France a toujours conservé un fort vote d’extrême gauche avec un parti comme le Parti Communiste Lutte Ouvrière ou le NPA. Mais les élections du 22 avril ont confirmé l’émergence d’un courant de gauche radicale avec le succès de Mélenchon. Ce vote traduit bien sûr la déception à l’égard d’une gauche de gouvernement profondément social-démocrate et qui ne croit plus qu’à l’assistance pour essayer de compenser en partie les ravages de la mondialisation.

Mais il est aussi la conséquence du manque de réussite de la gauche républicaine à véritablement influencer le Parti Socialiste ou à émerger comme une force politique capable de peser sur le débat. Dès lors, l’insatisfaction à l’égard de cette mondialisation et de cette Europe peut se diriger vers le Front de Gauche, même si ce dernier n’est pas exempt de contradictions, du fait d’un internationalisme qui le pousse souvent à rejeter les solutions nationales.

Partout en Europe, à force d’accepter la libéralisation économique, les socio-libéraux tendent à perdre le contact avec le peuple. Du coup, faute d’une gauche républicaine forte et indépendante, il se tourne de plus en plus vers la gauche radicale.



De manière totalement exceptionnelle, j'ai modifié le texte publié ce matin en remplaçant le terme "sociale-démocrate" par "sociale libérale", qui reflète mieux ce que je pense. On peut considérer que la gauche sociale-libérale et la gauche républicaine sont des descendantes de la sociale-démocratie.

19 commentaires:

  1. La gauche social démocrate devenue la gauche social libéral. Je ne peux que vous renvoyer au livre de JP Chevènement la France est-elle finie ? pour apprécier le mal que Delors et Mitterand ont fait à la France.

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  2. Les gauches social-démocrates scandinaves sont-elles fanatiquement internationnalistes? Vomissent-elles leur pays? Il s'ajoute en France la lutte des Jacobins et des Girondins. Et c'est cela qui explique cette haine déchaînée vis-à-vis de la France. Ils n'ont toujours pas digéré la révolution française et font l'Europe pour se débarrasser du jacobinisme. Très minoritaires, l'arrimage à l'Allemagne est leur seule stratégie victorieuse possible.
    Jard

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  3. Intéressante analyse, mais je reste sceptique quant à l'existence, en-dehors d'une simple image évanescente, de la "gauche républicaine et populaire". C'est d'ailleurs son malheur : elle n'existe qu'en tant que "pression d'imaginaire politique" sur les deux gauches qui ont une existence concrète.
    Mon pari personnel est que la gauche radicale fournit, avec le Front de Gauche, un terreau plus favorable au développement de ses idées.

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  4. D'abord un compliment sur le ton mesuré dz vos propos.
    Ensuite je pense que votre analyse souffre de ne pas prendre en compte influence mutuelle de ces courants d'idée, et le fait que le rassemblement opéré par François Hollande l'a amené à se rapprocher quelque peu de ce que vous défendez.
    Je fais le pari qu'il va arriver à concilier l'ouverture sur le monde et la mise en place d'une plus grande réciprocité dans les échanges économiques. En ce sens le ralliement de Montebourg à FH est un signal positif

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  5. Très bonne description.

    Concernant l'analyse, il convient de s'interroger sur le fait que la "gauche républicaine et populaire" ne soit jamais parvenu à s'imposer (même provisoirement) sur les deux autres mouvances.

    En effet, force est de constater que ce courant de pensée est toujours marginalisé par les deux autres. Il suffit de voir le comportement du PS vis à vis de Jean-Pierre Chevènement après 2002 ou plus récemment les critiques adressées à Arnaud Montebourg concernant sa "démondialisation".

    En fait la "gauche républicaine et populaire" souffre de défendre des valeurs qui ne sont pas partagées par les autres gauches, notamment en ce qui concerne les références à la Nation.

    La "gauche républicaine et populaire" paye également son ralliement systématique au PS pour s'imposer comme force alternative à gauche. De plus ces ralliements ne sont guère efficaces sur les politiques conduites.

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  6. pas d'accord avec le terme de "socio-démocrate" : démago-libérale serait plus juste non ?
    tiens d'ailleurs c'est un peu le principe de l'UMP aussi ... comme quoi ...

    age

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  7. Bonjour,

    Description peut-être un peu simpliste mais globalement juste.

    Je me joints aux remarques ci dessus pour regretter que le terme de social-démocratie soit utilisé pour caractériser en fait la gauche sociale-libérale.

    Important aussi que laurent pinsolle ait mis en avant les contradictions de la gauche radicale en ce qui concerne la place de la nation.

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  8. @ Anonyme

    Très juste. J'aurais sans doute du appeler la première famille la famille social-libérale, en considérant que cette famille et la gauche républicaine sont toutes les deux des enfants de la social-démocratie, qui ne peut se réduire uniquement à cette gauche social-libérale.

    @ Jard

    C'était uniquement pour la France, mais il est vrai qu'il y a un internationalisme volontiers anti-national chez les socio-libéraux (c'est ce qui les distingue de la gauche républicaine, en général attachée à la nation).

    @ Brath-Z

    Pas complètement d'accord. Le Che avait réuni plus de 5% des suffrages en 2002 et ce courant est présent au sein du PS mais les socio-libéraux dominent largement et les étouffent. Du coup, il est juste de dire qu'aujourd'hui la gauche radicale semble avoir un gros potentiel.

    @ Politizen

    Merci. J'ai une opinion différente de vous. S'il n'est pas totalement fermé à la gauche républicaine (il a toujours entretenu de bons rapports avec elle), je crains qu'il ne gouverne essentiellement dans la lignée des socio-libéraux. Royal me semblait beaucoup plus proche de la gauche républicaine a contrario. Mais je peux me tromper. De toutes les façons, nous allons vite voir.

    @ DAF

    Merci. Je crois que l'ADN du PS est finalement clairement celui de la gauche social-libérale et que la gauche républicaine pense influencer en étant au PS ou en s'alliant, mais elle ne fait que marginalement changer le centre de gravité du PS. Cela semble indiquer qu'il faut qu'elle envisage d'autres alliances pour peser...

    @ Age

    Social-libérale me semble en effet plus juste.

    @ Coma81

    Très juste également. J'hésite à changer le texte...

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    1. La social-démocratie est tout à fait autre chose que le social-libéralisme du parti socialiste actuel.

      - La sociale-démocratie fait partie de la famille socialiste (dont ne fait plus parti le PS)
      - Contrairement au PS actuel (et ancien d'ailleurs), la social-démocratie préfère le paritarisme à l'étatisme

      La social démocratie n'est malheureusement pas assez représentée dans le monde politique. Seul le front de gauche l'est vaguement (exple : en refusant la fiscalisation de la protection sociale)


      Texte de Marcel Gauchet que je vous invite à lire sur les trois familles politiques : conservatisme, socialisme, libéralisme :

      http://www.scribd.com/doc/73105064/gauchet-EHESS-seance-inaugurale-2008-2009

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    2. Complément :

      La sociale démocratie peut être assimilée à "la deuxième gauche" en france.
      Le parti communiste de l'époque, par sa proximité avec les syndicats, a développé une sensibilité par certains égard non étatiste (méfiance envers la fiscalité type CSG...)

      L'héritage peut être revendiqué par une partie de la gauche sociale libérale (la décentralisatrice, proche du milieu syndicale et associatif) et par le front de gauche, qui est fidèle à l'anticapitalisme constitutif de la social démocratie, fut-il réformiste.

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    3. Complètement d'accord, c'est pour cela que j'ai changé le texte pour dire qu'il y a d'une part des sociaux-libéraux, de l'autre une gauche républicaine et populaire, les deux étant issus de la sociale-démocratie.

      Merci pour le texte. Je vais lire cela.

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  9. Je suis pleinement d'accord avec cette excellente analyse et cette très bonne typologie.
    La gauche comporte des sensibilités qui divergent de plus en plus sous l'effet de la mondialisation. En effet, ce que l'on a appelé dans les années 1970, la seconde gauche rocardienne, puis par la suite la gauche socio-démocrate, s'est résignée devant les marchés financiers et l'Europe. Cette sensibilité se construit à mon sens en rupture avec toute la tradition de la gauche française depuis la Révolution, et, bien évidemment, du socialisme. Cette gauche girondine, à la fois mondialiste et décentralisatrice, a philosophiquement une conception des rapports entre le peuple et les gouvernants d'essence anglo-saxonne, inspirée par la philosophie libérale de Locke et par la pensée utilitariste de Bentham du XIXème siècle. Pour les sociaux-démocrates, il doit y avoir une série de corps intermédiaires (syndicats, conseils régionaux, conseils techniques) qui assurent le fonctionnement d'une démocratie complexe, et qui permettent à la fois, selon eux, le bon fonctionnement des institutions, ainsi que l'extinction de tout risque de dérive "populiste". En effet, selon eux, tout rapport direct d'ordre charismatique entre le peuple et les représentants est populiste. On le voit donc le lien entre social-démocratie et technocratie est souvent ténu. Souvent, les sociaux-démocrates prennnent des décisions allant à l'encontre des acquis démocratiques élémentaires. Leur place est donc davantage dans le camp des libéraux, que des socialistes.
    Pour ce qui est de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon a réussi le tour de force durant cette présidentielle de l'unifier. Cette gauche radicale a été beaucoup modifiée après 1968. Les communistes, à l'origine patriotes bien qu'internationalistes, ont fini par céder sous la pression des soixante-huitard, et ont, après Marchais, adopté un discours libetarien, communautariste, immigrationniste. Reste cependant l'étatisme hérité du jacobinisme qui n'a pas disparu chez Jean-Luc Mélenchon. Voilà pourquoi je pense que ce dernier, que je crois profondément attaché aux valeurs de la République, tente de concilier ces deux discours politiques: le discours libertarien de la gauche soixante-huitarde et le discours jacobin de la gauche républicaine. Cependant, je ne vous fait pas dire que la tendance libertarienne l'emporte largement au sein du Front de Gauche.
    Ce succès du Front de Gauche porte d'ailleurs préjudice à la gauche républicaine et populaire, qui est la véritable héritière des principes de la Révolution ainsi que du socialisme de Jaurès et Blum ou du radicalisme de Clemenceau. Je suis d'accord avec vous quand vous dites qu'Arnaud Montebourg apparaît comme le successeur de J-P Chevènement, cependant, il me semble que Montebourg ne va pas assez loin dans son discours, puisque, s'il prône du protectionnisme ainsi qu'un retour en force de l'Etat, il n'en demeure pas moins qu'il ne souhaite pas la sortie de l'Euro. De plus, il est, tout comme M. Chevènement, un partenaire privilégié du Parti Socialiste et donc des sociaux-démocrates. Voilà pourquoi, la clé d'une percée de la gauche républicaine réside dans une émancipation par rapport au PS. De plus, il me semble qu'une alliance avec la droite républicaine et gaulliste devra être un jour envisagée afin de créer une dynamique autour d'un mouvement républicain. En effet, les libéraux de l'UMP et du MODEM et les sociaux-démocrates votent ensemble les principaux européens qui nous dépossèdent de notre souveraineté. Face à eux il y a des voix qui s'opposent, mais de façon trop éparpillée. A mon sens, une alliance entre les gaullistes et les jacobins sur un socle de valeurs communes devra être nécessaire afin de servir de contrepoids aux libéraux et sociaux-démocrates ainsi qu'aux deux populismes. Il faudra alors travailler à un programme commun, afin de faire la synthèse entre les républicains des deux bords.

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    1. Merci pour ce commentaire très riche et éclairant. Je note particulièrement la tension au sein du FG entre souverainisme / internationalisme et un libertarisme qui peut être contradictoire avec les objectifs économiques du parti.

      Montebourg reste en partie une énigme pour moi.

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  10. L'incapacité de la gauche à penser la nation comme cadre protecteur de la classe ouvrière reste, à mes yeux, un des grands mystères de l'histoire politique. C'est curieux ce dogme. La nation est pourtant une idée révolutionnaire - c'est même une des expressions les plus hautes de droits de l'homme. Quel dommage ! Il y a pourtant de bonnes choses chez ces gens là.

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  11. diego maradona15 mai 2012 à 08:14

    Cette gauche se méfie des frontières pour éviter de verser dans le national-socialisme. Pour autant, la pratique de la dictature de la pensée unique ne lui fait pas peur...

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  12. @Laurent Pinsolle
    D'accord avec l'article. Autrement dit, la gauche PS devenue europhile ne serait plus synonyme ni d'étatisme (ex: abandon des services publics) ni de justice sociale (emploi, pouvoir d'achat). Cette gauche PS, depuis le virage pris par M. Mitterand au début de son 1er mandat, est en effet libérale compatible par cohérence avec son positionnement fédéraliste européen. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle est libérale par doctrine... mais plutôt contrainte à l'être puisque le libéralisme est fourni par défaut dans le "pack SFR" des traités européens.
    A propos de la gauche radicale, il faut souligner que le bon résultat obtenu par Mélenchon au 1er tour représente un réservoir de voix instables eurosceptiques/souverainistes*, des millions de mécontents saignés par l'arrivée de l'euro malgré avoir voté "Non" lors du traité de Maastricht en 1992 et re-voté "Non" lors du référendum en 2005. Le score de Mélenchon est donc une sorte de mirage électoral, une illusion comparable à la soit disante progression de l'électorat écologiste lors des dernières europénnes.

    (*) Sur les 11% de Mélenchon, la vraie gauche radicale est constituée des sympatisants PCF et syndicalistes soit 3% au maximum (Cf score PCF depuis 10 ans).

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  13. @ Santufayan

    Je crois que le libertarisme de la gauche la pousse vers le libéralisme.

    Sur Mélenchon, si la crise s'approfondit et que Hollande échoue, on peut se poser la question de son potentiel électoral (il suscite un peu moins de rejet que MLP...)

    @ Léonard

    Le livre d'Eric Juillot est très intéressant sur ce sujet. Les guerres mondiales ont sans doute joué un rôle dans leur rejet de l'idée de nation.

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  14. Jean-Marc with big Casoar16 mai 2012 à 01:07

    La dichotomie gauche/droite, que vous ne définissez pas d'ailleurs - les notions ont évolué selon les époques évidemment - n'est plus pertinente. La gauche dont vous parlez, eu égard au corpus classique en la matière - à gauche - depuis un siècle, voire un peu moins, n'a plus rien à voir avec la Gauche. Le courant qui permet une redéfinition des positions eu égard aux forces en présence est le républicanisme - lequel est traversé de divers courants.

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  15. Excellente analyse, étant moi même de gauche "populaire républicaine" je ne peut que regretter le chemin pris par le PS ,en cela le FdG me seduit mais l'idée de protectionisme et de patriotisme n'y est pas assez forte en rapport au courant internationaliste.

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