lundi 13 août 2012

Les angles morts du rapport Stiglitz


Le rapport Stiglitz est une somme, parfois un peu austère, mais très riche, qui fourmille d’idées pour reformer notre système économique. Mais on note un grand décalage dans l’analyse de la mondialisation financière et de la globalisation commerciale, ainsi qu’un internationalisme parfois illusoire.

Haro sur la globalisation financière

Le rapport pointe que la globalisation financière, c’est aussi la globalisation des crises : « La libéralisation des marchés des capitaux et des marchés financiers a exposé les pays à des risques accrus et facilité la diffusion rapide de la crise en cours dans le monde entier (…) La crise actuelle a montré que la faiblesse de la réglementation d’un pays peut avoir des effets négatifs sur les autres ». Visant les Etats-Unis, il souligne que « les fautes commises dans un pays ont imposé des coûts accablants pour les autres » et conclut qu’« un système financier mondial pleinement intégré est exposé à plus d’instabilité ».

Face à ce constat, même s’il ne le dit pas clairement, le rapport semble envisager une démondialisation financière, pour reprendre le terme de Jacques Sapir : « S’ils ne peuvent pas faire confiance à la sécurité et à la solidité des institutions financières des autres pays, il leur faudra limiter les transactions avec elles pour ne pas mettre en danger leurs propres institutions (…) Les avantages d’un élargissement du marché financier peuvent être inférieurs, et de loin, aux coûts que leurs citoyens risquent d’avoir à payer, comme l’illustre le cas de l’Islande (…) Les économies bien réglementées doivent être protégées de celles qui le sont insuffisamment ou pas du tout ».

En outre, il met en évidence que cette globalisation tend à restreindre la capacité d’action des Etats et pousse à une harmonisation par le bas : « en l’absence d’harmonisation fiscale entre pays, la mobilité des capitaux a contribué à une mise en concurrence des fiscalités qui a compromis la capacité des Etats à taxer le capital (…) Pour élaborer les politiques réglementaires appropriées, une condition préalable est nécessaire : un espace de liberté pour agir ». Enfin il note de manière importante que « la responsabilité des renflouements reste nationale ».

Soutien à la globalisation commerciale

Si le rapport dénonce le fondamentalisme de marché (terme anglo-saxon qui désigne l’ultralibéralisme), il cède volontiers à un fondamentalisme libre-échangiste, multipliant les dénonciations du protectionnisme, qu’il faudrait absolument endiguer : «  si la communauté internationale ne prend pas rapidement des mesures strictes contre le protectionnisme, les pays en voie de développement vont souffrir des efforts des pays développés pour se protéger de la crise ».

Le rapport ne voit qu’un besoin des pays en voie de développement : celui de pouvoir vendre à l’extérieur leur production pour se procurer des devises et la crainte de voir ces marchés étrangers se fermer à leurs productions. Pourtant, les rapporteurs négligent malheureusement le fait que les modèles de développement asiatiques se sont appuyés sur de vigoureuses politiques protectionnistes pour faire émerger une industrie, voie suivie depuis par l’Amérique Latine.

D’ailleurs, les rapporteurs semblent toucher du doigt les limites de la globalisation commerciale, qui aggrave l’instabilité : « Le haut degré d’interdépendance économique internationale a pu contribuer aussi à aggraver la vulnérabilité du système économique mondial » et créé une course au moins disant social : « Trop souvent, on a pris prétexte de la mondialisation pour justifier des reculs de la protection sociale, au nom d’une prétendue compétitivité, ce qui a lancé la course planétaire à qui fera pire ». Mais il conclut : « Il faut aussi trouver moyen de renforcer la protection sociale sans protectionnisme ».

Un internationalisme inconditionnel

Le rapport est un festival de propositions d’action à l’échelle de la planète. Puisque la crise est mondiale, il faut la traiter à cette échelle : « Tous ces défis mondiaux (crise, inégalités, réchauffement climatique) menacent de défaire le tissu fragile de la mondialisation  (…) Il n’est ni possible ni souhaitable de laisser le débat sur la réglementation aux autorités nationales. Il doit y avoir une coordination mondiale (…) Il est difficile d’ériger des barrières hermétiquement closes entre des acteurs très réglementés, qui font peser des risques systémiques, et les autres, qui ne le font pas ». De même, ils appellent à une relance budgétaire coordonnée mondiale pour éviter les comportements de « passagers clandestins ».

Mais les rapporteurs vont plus loin car ils rejettent les forums de type G20 arguant que « n’excluant personne, cette réaction mondiale exigera la participation de la communauté internationale tout entière ; elle devra comprendre des représentants de toute la planète : c’est le G192 ». Pour ce faire, outre la réforme du Système Monétaire International et le Tribunal de restructuration des dettes souveraines, il propose également « un fonds mondial de garantie des dépôts » ainsi qu’un « Conseil de coordination économique mondial » au même niveau que le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

S’il y a beaucoup d’idées intéressantes (comme la critique du fait que l’institut chargé d’établir les normes comptables soit privé – les rapporteurs notant que cela relève du domaine public), il est difficile de ne pas voir les limites d’une démarche qui consiste à uniquement passer par l’échelon international le plus large possible. Le risque avec une telle démarche est de parvenir uniquement au plus petit dénominateur commun et donc de limiter le changement du fait d’intérêts trop différents. D’ailleurs, c’est ce que le rapport reconnaît en évoquant un groupe pionnier pour construire un nouveau système monétaire international.

Malgré ces angles morts importants (opposition dogmatique au protectionnisme, biais internationaliste), le rapport Stiglitz n’en demeure pas moins un document très important. Il apporte une contribution majeure à la réflexion sur la réorganisation du système financier et monétaire international.

13 commentaires:

  1. « Il faut aussi trouver un moyen de renforcer la protection sociale sans protectionnisme ».

    Il faudra sortir un jour de cette vision ringarde du protectionnisme qu’on agite souvent comme un fantôme malfaisant. L’histoire montre, au contraire, que le protectionnisme a souvent fonctionné comme un moteur de l’innovation, de la protection sociale et du progrès économique. L’histoire de la Chine au 19ème siècle en est un exemple manifeste. L’ouverture du marché chinois, à coups de canon, par les occidentaux a conduit à la disparition des systèmes de greniers impériaux, à la destruction des canaux intérieurs et, en définitive, aux guerres civiles (révolte des Taiping 1853 ou des Boxers 1900). A contrario, l’histoire de l’Allemagne de la fin du 19ème siècle est celle d’un pays mettant en place des protections douanières qui vont lui permettre d’accéder à la première place économique, tout en développant une science et une technologie de premier ordre.

    La notion clé pour démonter la théorie de la malfaisance du protectionnisme est celle de la part contributive globale. Toute production induisant un prélèvement destiné à la solidarité de la communauté (cela va des sacrifices pour le temple à l’époque sumérienne jusqu’au financement de la sécurité sociale aujourd’hui), le prix d’achat sur le marché induit donc une part contributive globale qui correspond à l’ensemble des prélèvements souscrits pour cette solidarité. Quand je paie une voiture, je paie aussi de l’éducation, de la défense, de la sécurité sociale.

    La particularité du système de libre-échange, tel qu’il existe aujourd’hui, c’est que la part contributive globale est plus importante sur les produits fabriqués sur place que sur celle des produits importés. Ce qui revient à subventionner les importations au détriment de la production locale.
    Ce n’est plus du libre-échange, c’est du protectionnisme inversé. Ce système favorise les plus riches au détriment des plus pauvres. Il favorise la destruction des systèmes de solidarité au profit de l’enrichissement d’une petite minorité.

    La notion de part contributive globale met en évidence que le protectionnisme n’est qu’une question de point de vue. Du point de vue du citoyen, la taxe sur les importations ne constitue pas une mesure de protectionnisme, elle est au contraire une mesure de justice sociale, puisqu’elle permet de mettre à niveau égal la part contributive globale de tous les produits.
    La question est de savoir si on met la focale sur l’économique ou sur la société, sur le consommateur ou sur le citoyen, si on se perçoit comme participant d’un marché ou participant d’une démocratie. A l’échelle d’un continent, le libre-échange produit de la concurrence, tandis que le protectionnisme induit de la coopération. C’est une toute autre manière de percevoir le monde.

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  2. Robert Lohengrien13 août 2012 à 14:13

    J'apprécie les publications et commentaires de Stiglitz, il a souvent raison, mais il ne faut pas oublier qu'il est américain avant tout. On rencontre ce phénomène dans tous les pays du monde: la vision et les analyses des économistes sont teintées par un certain nationalisme - ce qui me paraît humain.
    Le terrain de jeux des USA c'est le monde, surtout depuis 1945. La finalité du plan Marshall consistait non pas à faire de l'humanisme, mais à donner à l'Allemagne en particulier des moyens pour devenir un client des américains, et, last but not least, de gagner la confiance des allemands de l'ouest pour ériger une zone protéctrice contre le communisme. Ce qui fut une réalisation réussie. Depuis, la vision des américians est planétaire, en ce moment elle se concentre sur la région du Pacifique.
    Je pense que la planète est peuplée de tribus dont chacune doit conserver et soigner son identité - c'est ma conviction profonde. Je voyage en Europe, je pense bien connaitre les états d'esprit qui regnent dans les differents pays. Je devrais être un pro-européen fervent grâce à mon contexte professionnel, familial et éducatif - je ne le suis pas; par observation et par expérience. En l'exprimant en une seule formule: l'Europe est devenue une affaire financière, loin des peuples.

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  3. L'Allemagne épinglée pour un excédent commercial trop élevé ?

    http://www.lepoint.fr/economie/l-allemagne-epinglee-pour-un-excedent-commercial-trop-eleve-13-08-2012-1495642_28.php

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    1. Pour garder son calme, je conseille de ne pas lire les commentaires qui sont envahis de beaufs de droite qui glorifient cette compétition et croient résoudre tous les problèmes en écrasant les salariés (qui comme chacun sait, on un train de vie somptueux...) et sont incapables de comprendre l'absurdité d'un système de vases communicants ou les emplois des uns font le chomage des autres. C'est affligeant...

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    2. Robert Lohengrien13 août 2012 à 20:47

      Allemagne plus 5,7
      Chine plus 2,8
      USA moins 3,1
      L'Allemagne s'en sort grâce à sa grande faculté d'adaptation. De plus, elle n'a pas faite l'erreur de se désindustrialiser, elle a incité les capitaux à réinvestir en Allemagne au lieu de s'engouffrer dans des mirages. En revanche, cette force risque de souffler sur la braise, c'est-à-dire de susciter des frustrations voire ressentiments.

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    3. Quelque soit leur façon d'augmenter leurs exportations leur croissance recente est due aux deficits des autres. C'est pas une question de ressentiments ou de jalousie c'est juste que ce mode de croissance n'est pas reproductible au niveau européen. Si leur croissance se basait d'abord sur leur propre consommation j’applaudirai des deux mains. En passant, il faudrait pour cela faire une croix sur les lubies d'inflation a 2%. (C'est plus facile d'avoir une très basse inflation quand sa croissance est basée sur les dépenses étrangères).
      Est ce possible aujourd'hui d'imaginer une Europe basée sur la coopération ?

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    4. Je voulais dire "je signerais des deux mains" bien sur ;)

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    5. J'ai bossé dans la RD française et c'est souvent nul.

      Je me confronte avec la RD allemande ou US, c'est largement meilleur, désolé, mais c'est comme ça.

      Les brevets US ou DE sont bien plus nombreux et en avance.

      Ca peut ne pas plaire, mais c'est ainsi.

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    6. Nul ne doute de la qualité allemande. Mais ce n'est plus à cette échelle que cela se joue. Pour prendre une métaphore militaire, on peut très bien gagner des batailles sur le plan tactique, avoir le meilleur équipement et perdre sur le plan stratégique - l'histoire de l'Allemagne l'a prouvé amplement.
      Or c'est cela qui arrive actuellement.

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  4. @ Olaf & Robert

    Le modèle de développement allemand est insoutenable car tout le monde ne peut pas avoir un excédent grandissant en même temps. Tous les pays européens vont comprimer leur demande, ce qui va finir par peser sur la croissance allemand et en démontrer le caractère illusoire, par delà la stagnation des salaires depuis 20 ans, qui est déjà un constat d'échec. Une société incapable de produire du pouvoir d'achat supplémentaire (et où seuls les exportateurs gagnent) n'est pas une société qui fonctionne.

    @ Léonard

    Très juste. Cette phrase est affligeante. Malgré tout, quelques phrases montrent un début de compréhension que ce libre-échange produit un alignement vers le moins-disant. En outre, Stiglitz, dans son dernier livre, se montre moins dogmatique que ce rapport, qui, en rassemblant une vingtaine d'experts sous l'égide des Nations Unies pouvait difficilement produire un éloge du protectionnisme...

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    1. Robert Lohengrien14 août 2012 à 14:37

      Certes, il y a un revers de la médaille allemande. L'Allemagne ne pourra se déconnecter de l'état dans lequel se trouvent les pays européens. Le succès actuel (interprété comme tel) n'est que prêté, pas durablement acquis.

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    2. La grosse erreur de l'Europe c'est d'avoir perdu du temps à vouloir courir à marche forcée vers le fédéralisme et créer une monnaie unique dans un cadre pas adapter.

      Il aurait été plus productif de concevoir des projets thématiques permettant de valoriser les spécificités économiques de chaque pays. Un fonds européen pour la transition énergétique permettant des investissements contrôlés, et non pas soumis aux mafias politiques locales, des pays du Nord vers ceux du Sud pour y créer des emplois et des installations rentables au lieu de cette anarchie qui a créé des bulles immobilières ou autres... Une telle synergie des pays me parait bien plus faisable et constructive que ce que l'UE et la ZE on fait.

      Maintenant, il me parait aussi étrange de vouloir une balance excédentaire au détriment de sa population, mais la réunification a aussi poussé dans ce sens.

      D'un autre côté, l'Euro promu par les politiciens français lors de sa création en est une cause aggravante aussi.

      L'arroseur arrosé qui montre que les politiciens français ont été totalement incohérents, encore plus que ceux d'Allemagne.

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  5. @ Olaf

    Complètement d'accord. Le comportement de l'Allemagne s'explique. On a fait l'euro alors que les Allemands n'en voulaient pas vraiment. Ensuite, comme cela est venu après la réunification et l'explosion du SME, le pays avait perdu de sa compétitivité et avait vu son excédent commercial, élément fondateur de son succès économique, fondre. Du coup, ils ont pris des mesures pour s'adapter à ce contexte (l'Allemagne n'est pas rentré à un cours qui lui était très favorable), mais cela a profondément déséquilibré la zone.

    D'accord sur le fonds et les projets thématiques bien évidemment.

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