vendredi 2 novembre 2012

Patrick Artus : « Ne serait-il pas plus raisonnable de casser l’euro ? »


Le chef économiste de Natixis tient une position à part dans le paysage. Ses papiers nourrissent très largement et souvent les argumentaires des opposants à la monnaie unique. Pourtant, s’il flirte avec le Rubicon, il ne le passe toujours pas, comme l’illustre sa nouvelle note.

Un constat sévère pour la monnaie unique

Il y a quelques mois, Patrick Artus avait démontré que pour les pays de la périphérie de la zone euro, une sortie de la monnaie unique était sans doute nettement préférable au maintien dans ce carcan qui leur impose aujourd’hui des politiques de dévaluation interne extrêmement douloureuses d’un point de vue social. Il maintient son point de vue : « l’ajustement de la zone euro se fait par l’appauvrissement durable des pays déficitaires » en Espagne, au Portugal, en Grèce…

En outre, il souligne que « la perte de revenu et le chômage qui en résultent empêchent de plus que la correction des déficits publics puisse avoir lieu ». Il rapporte également que « le capital ne circule plus entre les pays de la zone euro, et ne finance donc plus les investissements, ce qui est pourtant le bénéfice attendu d’une Union Monétaire ; les marchés financiers et des crédits bancaires sont segmentés », comme Jacques Sapir l’a bien expliqué dans une série de notes récentes.

Il dénonce « l’ajustement par l’appauvrissement » en illustrant cette affirmation par des graphiques terrifiants qui montrent que la demande intérieure a déjà baissé d’environ 25% en Grèce, et 15% en Espagne et au Portugal depuis 2008 et que le salaire réel est partout en baisse dans l’Europe du Sud. Il souligne également la grande divergence du revenu par habitant, après une phase de convergence, l’Italie étant passé de 90 à 80% du niveau allemand, la Grèce de près de 70 à 55.

Mais ce n’est pas tout : il souligne que l’intégration financières s’est dissoute : « la crise a fait réapparaître une segmentation forte des marchés des capitaux et du crédit bancaire entre les pays de la zone euro ». Cela s’illustre par les grands différentiels de taux d’intérêts entre Etats mais aussi banques. On pourrait ajouter que les établissements financiers fuient la Grèce et équilibrent leur portefeuille au cas où. Pour lui « la poursuite de la situation présente semble impossible à imaginer ».

Exagérations des conséquences du démontage de l’euro

Malgré cette présentation très noire du mode de fonctionnement de la zone euro, il souhaite le maintien de la monnaie unique en « mettant en place un autre type d’ajustement (par le fédéralisme, le redressement des économies en difficulté), et de réunifier les marchés des capitaux des pays de la zone euro ». Mais surtout, pour lui, « les coûts (d’une sortie de l’euro) sont tellement énormes que le scénario de loin le plus probable est que l’euro va survivre à long terme ».

Cela est contestable. Le coût de la réintroduction des monnaies nationales est marginal par rapport aux sommes actuellement en jeu. Certes, les pays qui dévalueraient verraient se dégrader les termes de l’échange, mais c’est justement ainsi que cela a fonctionné, dans les années 1990 en Europe puis en Argentine. Bien sûr, l’Allemagne perdrait une partie de son excédent mais les dévaluations des années 1990 n’avaient pas mis son économie par terre. Bien sûr, il y aurait des défauts, mais les défauts, c’est déjà avec le maintien de l’euro, comme l’a montré la Grèce…

Bref, si Patrick Artus monte une critique très convaincante de la monnaie unique, comme Paul Krugman, il est moins convaincant quand il explique pourquoi il faudrait la conserver. Il faut dire qu’il existe une abondante littérature pour contester le coût de la sortie, comme je l’ai récemment résumé.

14 commentaires:

  1. Si pour lui « la poursuite de la situation présente semble impossible à imaginer ». c'est qu'il manque singulièrement d'imagination quoi de mieux qu'une crise a perpette pour faire tenir les peuples tranquilles ; une bonne guerre a la rigueur mais la tous le monde risque de trinquer

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  2. J'avais mis, sur la porte de mon bureau dans les années 1990, cette phrase: "Un économiste optimiste est un économiste qui manque singulièrement d'imagination".

    À l'époque, je pensais à la Russie....

    Jacques Sapir

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  3. C'est étrange, Artus semble optimiste quant à la possibilité d'une Europe fédérale.

    Pendant ce temps là en Allemagne, la défiance monte,

    http://www.huffingtonpost.fr/2012/10/31/bild-grece-france-presse-allemagne_n_2048450.html

    rapatriement de l'or et scepticisme accru vis à vis des chiffres de l'économie française et de la politique de Hollande qui semble croire en une cyclicité de 10 ans pour pronostiquer le retour de la croissance. Peut être consulte t il le zodiaque avec E.Tessier ou alors la voyante de Mitterand...

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    1. Le Royaume-Uni est en train de partir en silence également.

      Comme l'a dit Marie-France Garaud dans "Ce soir ou Jamais" : ❝Nous ne sommes plus un Etat, il va bien falloir que l'Europe éclate, ce système n'est pas viable, l'Allemagne quand elle en aura les moyens s'en désengagera.❞

      Nous ? Il ne faut pas y compter, la France et nos élites dirigeantes sont les plus soumises et pressés de donner les clés à l'Europe.

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    2. L'analyse de Garaud est intéressante, mais seulement partiellement. Elle participe d'une fascination de l'Allemagne dont le fond est assez archaïque : se laisser piéger pr les apparences...

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  4. Florent

    Hollande donne l'impression de faire semblant de négocier le traité, d'obtenir un budget de relance européenne, d'améliorer la compétitivité et autres redressements productifs, bref semblant d'être président. Le jour où la France verra ses taux obligataires décoller, il pourra plus faire semblant. Il fait un peu penser à Louis XVI, de même que la situation actuelle française rappelle
    celle de la période pré-révoltionnaire.

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    1. Oui, j'ai tout à fait cette impression de fin de règne, de fuite en avant dans des débats de plus en plus dérisoires. Comment au milieu de cette tempête économique une porte-parole du gouvernement peut-elle proposer d'indiquer l'orientation sexuelle des personnages historiques dans les manuels scolaires? Et bien sûr cette fuite n'affecte pas que les débats mais surtout les actions... Peut-être nos gouvernants ont-ils envoyé un rouleau de scotch pour réparer le car-ferry Napoléon Bonaparte dans le port de Marseille ? C'est cette incurie qui restera dans les manuels d'histoire, comme l'a été celle d'Hoover durant la crise de 29, qui a fait rigoler des générations de lycéens et d'étudiants.

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  5. @ Laurent Pinsolle

    Oui les Flashs éco de Patrick Artus/Natixis restent une référence.
    Je partage votre opinion sur ce papier, mais justement concernant son avis sur la sortie de l'euro qui serait trop lourde pensez-vous qu'il écrit réellement ce qu'il pense ?

    Je m'explique :
    le service de la recherche éco de Natixis - aussi bon soit-il (et il n'y a pas de doute pour moi à ce sujet) - est-il indépendant de la ligne "officielle" du groupe BPCE ?

    Enfin P Artus est un économiste, est tout l'intérêt de cette discipline c'est que se n'est pas une science exacte, on peut se tromper et surtout on reste influencé par une idéologie...
    De toute évidence il a été contaminé commme beaucoup par "l'eurobéatitude". Même si c'est vrai il se montre très critique (et c'est que qu'on attend d'un économiste, surtout de renon comme lui)

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  6. Au terme des quatre ans sur lesquels table la Grèce pour assainir ses comptes – si elle obtient le sursis demandé – les estimations de dette sont encore plus inquiétantes, la Grèce voyant son ardoise culminer à 220,4% du PIB en 2016, selon le « cadre de stratégie des finances publiques à moyen terme 2013-2016 » introduit parallèlement au parlement mercredi.

    http://www.boursorama.com/actualites/la-grece-de-nouveau-sous-pression-de-l-europe-79837ab43be348b862e91518f5d1673b

    Dette publique de la Grèce :

    2007 : dette publique de 107,4 % du PIB.
    2008 : dette publique de 112,6 % du PIB.
    2009 : dette publique de 129 % du PIB.
    2010 : dette publique de 144,5 % du PIB.
    2011 : dette publique de 170,6 % du PIB.
    2012 : dette publique de 175,6 % du PIB, selon la prévision du gouvernement grec. La dette augmente, augmente encore, augmente toujours, alors que le premier défaut de paiement de la Grèce a effacé 107 milliards d'euros de dettes.

    2013 : dette publique de 189,1 % du PIB, selon la prévision du gouvernement grec.

    2015 : dette publique de 207,7 % du PIB, selon la prévision du gouvernement grec.

    2016 : dette publique de 220,4 % du PIB, selon la prévision du gouvernement grec.

    La question n'est plus de savoir si le deuxième défaut de paiement de la Grèce va avoir lieu.

    La question est de savoir quand le deuxième défaut de paiement de la Grèce aura lieu.

    En zone euro, il va y avoir des défauts de paiement en cascade.

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  7. Le jour où nous nous débarrasserons de l'euro sera un jour de Libération, de Délivrance d'une monnaie profondément malfaisante parce que conçue comme un DM bis par des élites névrosées par l'Allemagne comme le dit Emmanuel Todd.

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  8. Excusez-moi, c'est là que je ne vous comprend plus. Le rève de la convergence s'est effectivement évanoui et pour longtemps. Pourquoi, vous ne chantez pas victoire tout simplement.
    Sans l'Euro, la Grèce ou l'Espagne n'avaient aucune chance de converger et seraient aller de dévaluation en dévaluation. Idem pour nous. N'était-ce pas le but politique, empécher toute convergence pouvant mener au fédéralisme ???

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  9. @ Patrice

    Il n’a pas tort. Cette construction monétaire bancale est destinée à s’effondrer. Le fédéralisme lui permettrait peut-être de tenir quelques années de plus. Mais là où il se trompe, c’est qu’elle s’effondrera quand même dans cette deuxième option.

    @ Olaf

    Optimiste ? Pas si sûr. Il a fait des papiers sur les montants en jeu qui ne laissent guère de place à l’optimisme vu l’état du débat en Allemagne.

    Très bon la comparaison avec Louis XVI. Cela lui va très bien !

    @ Florent

    Bien vu. L’édifice européen se fissure malgré les emplâtres…

    @ JYB

    Très juste. NVB est terrible.

    @ RomainC

    Complètement d’accord. Je me demande s’il ne pense pas déjà que l’euro est condamné mais que sa position professionnelle lui impose de ne pas le dire, d’où ce discours toujours ambigu…

    @ BA

    Merci pour ce rappel

    @ Cording

    Très juste

    @ Anonyme

    Chanter victoire quand il y a autant de chômage, ce serait un peu indécent, non ?

    Paradoxalement, une certaine convergence (mais insuffisante pour une union politique et monétaire) pouvait plus facilement avoir lieu sans l’euro.

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  10. Tous ces experts ont compris que la monnaie unique est aberrante, mais par la suite il raisonne de manière purement froide, sans s'appuyer sur une réalités qui sont les Patries. Effectivement, si nous créons les Etats-Unis d'Europe sur un modèle américain, ou un modèle hybride, ça réglerai beaucoup de chose. Nous deviendrions du jour au lendemain un Etat Européen unique, sauf qu'ils oublient que le peuple européen n'existe pas et que jamais nous n'accepterons ça. En tout cas pas longtemps si jamais ils arrivaient à l'instaurer, dès les premières coupes et réformes prônées par un gouvernement Europe, dictées par un Ministre Allemand ou autres au peuple français, italiens, espagnoles, on aurait des gens dans la rue pour reprendre leur Etat ! J'ose l’espérer (j'ose même espèrer que l'armée française, du moins certains chefs et bataillons bougeraient comme Le Général l'a fait jadis. Je n'ose pas croire que tout les militaires soient près a ne rien faire, à voir leur patrie se fondre dans une Europe).

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  11. L'article sur l'opinion de Patrick Artus, est de qualité certes je suis en contradiction avec ces propos, mais il faut dire qu'il n'a pas tout à fait raison, notamment à travers : « Ne serait-il pas plus raisonnable de casser l’euro ? » Un constat sévère pour la monnaie unique.
    Et quand il maintient son point de vue : « l’ajustement de la zone euro se fait par l’appauvrissement durable des pays déficitaires » en Espagne, au Portugal, en Grèce…

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