jeudi 3 janvier 2013

Les principes d’une remise en ordre de la finance


Avant d’étudier plus concrètement les mesures à prendre pour remettre en ordre le système financier, il faut poser les grands principes et les grandes directions de cette réforme, sur la base du constat sur les problèmes posés par l’organisation actuelle du système monétaire et financier (partie 1 et partie 2).

Reprise en main démocratique

C’est sans doute la première des priorités pour aboutir à une réforme juste. Il revient aux gouvernements de s’emparer de ces questions, et de proposer aux électeurs une véritable réflexion sur la crise financière ainsi que des solutions et ne pas laisser faire les banquiers dans les cénacles du type Bâle 3, qui accordent généreusement huit années aux banques pour s’ajuster. Assez logiquement vient la question fondamentale de l’indépendance des banques centrales. Elle n’allait pas de soit il y a 25 ans. Elle s’est imposée dans la zone euro car c’était le prix qu’imposait l’Allemagne à ceux qui voulaient partager leur monnaie avec elle et que tous les pays ont accepté sans bien y réfléchir.

Pourtant, l’indépendance d’une banque centrale ne va pas de soit. Au contraire même, elle représente une immense remise en question des principes démocratiques. Car on ne voit pas bien pourquoi, s’il faut confier la gestion de la monnaie à des technocrates indépendants de tout contrôle du peuple, il ne faudrait pas le faire demain pour les budgets (ce que l’UE commence à instaurer d’ailleurs). Bref, comme le note très justement Joseph Stiglitz dans son dernier livre « nous devons reconnaître que les décisions d’une banque centrale sont essentiellement politiques ; elles ne doivent pas être déléguées à des technocrates ». C’est au ministre de l’économie et au gouvernement de trancher.

Pour aller plus loin, il faut également que les gouvernements se réapproprient plus fortement l’ensemble de la réglementation du secteur financier, instaurent des normes nationales s’ils le jugent nécessaire et qu’ils ont obtenu un mandat démocratique pour le faire. Cela suppose bien sûr une fragmentation de la sphère financière dont l’intégration mondiale, pour paraphraser Frédéric Lordon, est le meilleur moyen d’empêcher tout gouvernement… Enfin, devant les abus des banques que les banques centrales ont laissé faire, il convient de se demander si le contrôle de la création de la monnaie ne doit pas revenir dans sa totalité dans le giron public, comme le proposent les partisans du 100% monnaie.

Mettre fin au laisser-faire

Aujourd’hui, c’est la loi de la jungle qui règne dans le monde financier. Les plus gros, trop gros pour faire faillite, bénéficient d’une irresponsabilité de facto. Cela est inacceptable. Bien sûr, les banques ne sont pas les seules dans ce cas. On a pu voir aux Etats-Unis que General Motors et Ford bénéficiaient aussi d’un statut particulier. Néanmoins, dans les pays anglo-saxons, quand une entreprise « trop grosse pour faire faillite » ne peut pas s’en tirer seule, alors elle est nationalisée et les dirigeants, les actionnaires et créanciers qui n’ont pas fait leur travail sont alors sanctionnés. En Europe, on prête 1000 milliards aux banques à 1% sans la moindre contre-partie.

Il est essentiel de stabiliser le monde financier, de manière à préserver l’économie productive de ses sautes d’humeur, qu’il est impossible de supprimer puisqu’elles ont toujours existé. Aujourd’hui, pour reprendre l’image de Jacques Sapir, le monde financier est tellement globalisé qu’il est comme la cale d’un immense paquebot qui n’aurait pas la moindre cloison. La moindre voie d’eau peut mener le bateau par le fond (comme nous l’avons vu en 2008). Il faudra donc rétablir des cloisons solides, à la fois entre pays (et / ou groupe de pays) et au sein des pays pour se prémunir d’une future bulle.

Ensuite, il est bien évident qu’il faut créer une plus grande transparence. Une des leçons de la crise de 2008 est que l’opacité du système a accentué la panique des opérateurs. Entre des banques qui cachent un tiers de leur bilan dans du « hors-bilan », qui échangent leur titre dans des « dark pools », les marchés financiers doivent apprendre à fonctionner, comme le reste de l’économie, sous le regard disciplinant des autres acteurs économiques et ne pas faire sa petite tambouille dans son coin. Cela suppose une remise en cause radicale des parasites fiscaux, qui abritent souvent ces activités.

Morad el Hattab et Frédéric Lordon ont donné de nombreux exemples de l’utilisation délirante de l’effet de levier par le secteur financier : une banque d’affaire dont le bilan était 30 fois supérieur à son capital. La titrisation permet de sortir un engagement d’un bilan à bon compte, en transférant le risque au système, sans que personne ne sache bien où et de combien il est. Il est essentiel de limiter l’usage du levier par les banques. L’option la plus radicale consiste à passer à un système de couverture totale, comme l’est le 100% monnaie. Sans aller aussi loin, on peut revenir à une couverture de 20 à 25% (au lieu des 8% de Bâle 2, qui pouvaient tomber à 1.6% pour les titres les plus sûrs). Après tout, la Suisse a opté pour 19% pour ses banques. Et il faut mettre en place des normes contra-cycliques, plus strictes dans les périodes de croissance de valeur des actifs, pour éviter d’accentuer les cycles.

Enfin, il convient de limiter l’usage des innovations financières dont on voit qu’elles ont toujours joué un rôle majeur dans les bulles et les crises financières. James Kenneth Galbraith a très bien expliqué le rôle joué par les innovations financières des années 1920 dans la crise de 1929 et la Grande Dépression qui a suivi. La crise de 2008 a été largement le produit de la titrisation, la revente des prêts accordés par les banques, et des CDS, ces contrats d’assurance transformés en instruments spéculatifs, dont Lehmann était un spécialiste. On voit également que le High Frequency Trading et les ventes automatiques par ordinateur peuvent provoquer une grande instabilité. Toutes les innovations doivent être introduites avec parcimonie et après des périodes de test suffisamment longues.

Remise au service de la collectivité

On voit aujourd’hui que le système financier vit comme une sangsue sur le dos du reste de l’économie. Ce sont les exigences de rentabilité sans cesse croissantes des marchés qui poussent les multinationales à des comportements prédateurs et destructeurs pour la collectivité, comme l’a bien montré Frédéric Lordon. De manière très symptomatique, la plus grave crise économique depuis quatre-vingt ans n’a provoqué qu’une baisse très temporaire des bénéfices des grandes entreprises, qui sont revenus en très peu de temps à des niveaux records, que même The Economist questionne aujourd’hui.

Aujourd’hui, les marchés soustraient plus d’argent aux entreprises sous forme de dividendes ou de rachats d’action qu’ils ne leur en fournissent. Et il est bien évident que la progression sans fin de la part des profits dans le PIB est malsaine car elle laisse une part toujours plus faible pour les travailleurs. Or une société ne peut pas avancer longtemps si seulement une petite partie en tire profit. Les fruits de la croissance doivent être répartis de manière plus équitable et juste entre tous ses acteurs car, comme le soutient Tocqueville : « préoccupés du seul soin de faire fortune, les hommes n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous ».

Aujourd’hui, le système financier tourne à vide, cherchant principalement à se financer lui-même et ne se préoccupant plus du financement de l’économie productive. Ici la réforme devra porter dans deux directions différentes. Tout d’abord, il faut s’assurer que le monde financier fonctionne au service de l’économie productive, et non l’inverse comme aujourd’hui. Ensuite, devant l’immensité des revenus du secteur financier et les sommes folles qui sont échangées chaque année (70 fois le PIB mondial), il convient de mieux faire contribuer le secteur financier à la collectivité, dont il dépend, par de nouveaux impôts (taxe Tobin), qui devront pousser à des comportements vertueux et non au vice.

Reprise en main démocratique parce qu’il revient aux gouvernements de contrôler le monde financier, , fin du laisser-faire dont on constate aujourd’hui qu’il est la raison de la crise et remise au service de la collectivité d’un système qui ne tourne aujourd’hui qu’à son propre profit : voici les trois principes qui doivent nous guider dans la réforme du système financier, dont je dessinerai une esquisse demain.

7 commentaires:

  1. Une petite précision, Laurent, car il semble que tu fasses une confusion.

    Les règles de Bâle imposent un pourcentage de fonds propres (8%) relativement aux crédits qu'une banque offre à ses clients.

    Par contre le montant des réserves obligatoires (actuellement 1% en zone euro, je crois 20% en Chine) est calculé sur le montant des dépôts et corresponds à la monnaie de base détenue par les banques secondaires (commerciales) en Banque Centrale en contre partie d'obligations éligibles.

    Le 100% monnaie (Système à Réserves Pleines) propose qu'elles soient portés à l'équivalent de la totalité de la "monnaie" (les liquidités).

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  2. Il y a deux grilles de lecture possibles pour analyser l'état actuel de la finance mondiale:
    - Soit il résulte d'une somme d'actions a priori indépendantes les unes des autres et sans connivence préalable des intervenants. Dans ce cas, chacun cherche à défendre au mieux ses propres intérêts. Or, cela génère sur un plan politique, tant à l'intérieur des états qu'au niveau international, des conflits que les politiques, particulièrement dans les structures démocratiques, ont du mal à arbitrer.
    - soit cet état est le résultat d'un plan plus général dont le but, au travers d'une globalisation qui peut concerner des continents entiers, est de faire en sorte de faire disparaître les structures étatiques en leur substituant des ensembles économiques, obeissant aux seules lois d'un marché entiérement financiarisé. Il y aurait dans ce cas un transfert inévitable des richesses privées individuelles, dont la source la plus importante est constituée par les classes moyennes,vers les sources de création de la monnaie-dette. Ce système de l'argent-dette les rend, au travers de la collecte des impots, prêteurs en dernier ressort de la totalité des dettes, non seulement publiques mais également privées.
    Je penche,pour ma part, vers la seconde hypothèse qui a ,au moins, le mérite d'expliquer pourquoi le complément indispensable de la création de la FED était une loi fédérale instituant l’impôt sur les revenus.
    Cela dit, quelle que soit l'hypothèse retenue, on arrive à la nécessité impérieuse pour les états de reprendre en main le contrôle de leur monnaie en mettant un terme à l'indépendance apparente des banques centrales, en particulier lorsqu'elles sont détenues par des banques privées.

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    1. il est évident que dans tout système de monnaie fiat, tous ceux qui sont les premiers a avoir l'argent dans la pyramide monétaire sont ceux qui se gavent sur le dos des autres..: les banques et méga-capitalistes. L'imprimante à argent quasi gratuit remplis leurs poches et plus il descend vers l'économie plus les taux montent et le profit remonte vers eux. Voilà pourquoi ils accumulent et deviennent ultra-puissants. Et quand ils perdent (quand l'emprunteur n'est pas solvable, subprimes) hop, leurs amis politiciens renflouent les banques. On imagine pas les sommes qu'ont amassé les mega-capitalistes bancaires, je soupçonne le magasine Forbes de ne pas répertorié le quart des méga-riches et de leurs capitaux réels !

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  3. Petite info amusante les chinois en 2013 vont réintroduire les taxes sur certaines importations

    http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/12/31/la-chine-va-reintroduire-des-taxes-sur-certaines-importations_1811642_3216.html

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  4. La suite on la connait, c'est écrit comme du papier à musique, baisse des salaires et des retraites en France, hausse des impôts :

    Nous pensons qu’en 2013 la situation relative de la France par rapport à ces trois pays (Espagne, Italie, Allemagne) va se dégrader avec :
    -
    la nécessité de redresser la profitabilité et la capacité d’autofinancement des entreprises françaises, d’où l’ajustement à la baisse prévisible des salaires réels, de l’emploi, de l’investissement ;
    -
    la fragilité financière des entreprises françaises, qui réagissent alors aux chocs négatifs (recul des chiffres d’affaires, hausse du coût des financements) par une forte réduction de leurs dépenses ; qui peuvent aussi connaître une forte hausse des défauts (graphique 14).

    http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=67634

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  5. Très bien !

    Mais par contre, quitte a faire du 100% monnaie, pourquoi ne pas rétablir l'étalon or ?

    Au moins on sait que l'argent n'est pas un bout de papier, que ce bout de papier est adossé a du réel. Ou au moins autoriser la création de monnaies non-étatiques basées sur l'or et l'argent si les Etats ne veulent pas en faire. Non ?

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  6. Le Parisien libéral

    Bonne année également

    A-J Holbecq

    Je parle bien sûr des fonds propres et non des réserves obligatoires. Désolé pour la confusion.

    Cliquet

    Et moi, je crois plutôt que c’est la première hypothèse. N’oublions pas que la Fed a aussi été créé suite à une nouvelle crise financière aux USA qui avait encore démontré la nécessité d’un prêteur de dernier ressort…

    Je crois que certaines personnes ont un agenda mondialiste mais que beaucoup de politiques les suivent, non pas par adhésion à ce projet mais par conformisme et / ou paresse intellectuelle. N’oublions pas également le rôle joué par l’effondrement de l’URSS dans les années 1980 puis 1990, qui a ouvert un boulevard à l’agenda néolibéral.

    Flo Pat

    C’est pour cela que ce soit être l’Etat qui s’en charge pour que le bénéfice revienne à la collectivité.

    L’étalon or ne me semble pas une bonne idée pour une double raison :
    - tout d’abord, l’or est une ressource finie, ce qui pose des problèmes pour la croissance
    - ensuite, la valeur de l’or est fixée sur les marchés et on ne peut pas faire reposer le système monétaire sur une matière dont la valeur est déterminée par des marchés exubérants et irrationnels

    Patrice

    Très juste. J’ai fait passé sur twitter.

    Olaf

    Artus fait souvent de bonnes analyses…

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