jeudi 12 décembre 2013

La Banque Centrale Européenne est une anomalie





Un nouvel exemple : l’Inde

C’est un long papier de The Economist qui est venu rappeler à quel point une banque centrale et l’Etat peuvent décider de réglementer le système financier dans le sens de l’intérêt général. Et le cas mis en avant est celui de la première démocratie du monde, l’Inde. L’article souligne à quel point l’Etat tient sous sa coupe le système financier. En effet, les banques publiques assurent trois-quarts des prêts du pays et les banques étrangères ont une part de marché limitée à 5%. La banque centrale du pays, « relativement indépendante » impose aux banques d’investir 23% de leurs dépôts en bons du trésor et d’en déposer 4% chez elle. Enfin, 40% des prêts vers les secteurs prioritaires, notamment l’agriculture.

Bref, l’Etat dirige plus de la moitié de l’épargne du pays dans la direction qu’il veut ! Bien sûr, The Economist critique ce dirigisme en pointant le fait que seulement 35% des adultes ont un compte bancaire (mais cela s’explique aussi par la pauvreté du pays), des défauts sur les prêts (mais cela arrive aussi dans le secteur privé – demandez en Europe), l’inflation, qui tourne autour de 10%, et les achats d’or, qui déséquilibrent la balance des paiements. Mais l’hebdomadaire des élites néolibérales souligne également que cela permet de financer sans problème le déficit public, à 7/8% du PIB et surtout que l’Inde s’est protégée efficacement de la crise de 1997-1998 et de la crise financière globale de 2008-2009.

Dirigisme et intérêt général

Au final, même s’il n’est pas sans limite, avec notamment un niveau sans doute trop élevé d’inflation, la politique monétaire indienne démontre qu’il y a intérêt à plus encadrer le système bancaire et financier. Cela permet d’éviter les crises venues d’ailleurs. Et quand on voit les conséquences en Europe, on se dit que cet avantage (partagé par la Chine) n’est pas neutre. Ensuite, ce dirigisme permet d’assurer le financement des déficits budgétaires, autre avantage considérable au regard de l’expérience récente de la zone euro. Selon The Economist, la banque centrale indienne détient aujourd’hui 17% de la dette publique du pays, qui est passée de 5% de ses actifs en 2008 à plus de 18% aujourd’hui.



Certes, la croissance indienne a nettement baissé, mais elle reste tout de même autour de 5%. Et il faut noter que la Chine mène une politique similaire. Vous retrouverez sur le blog néochartaliste Frapper monnaie une analyse des taux d’intérêts indiens qui montre bien à quel point la fixation des taux directeurs influence les taux longs, pour les pays qui ont conservé une monnaie nationale. Et il faut souligner que la Fed aux Etats-Unis, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon ou la Banque de Suède mènent des politiques actives de soutien à l’économie. En comparaison, c’est la Banque Centrale Européenne qui est une anomalie dans l’univers des banques centrales.

D’abord elle refuse de racheter les dettes publiques (ou seulement des montants dérisoires, pour se sauver elle-même), laissant les Etats dépendants des humeurs des marchés, au contraire de tous les autres grands pays du monde. Il faut dire que la BCE dépend de plusieurs Etats, posant des problèmes de responsabilité finale. Mais cela revient alors à démontrer qu’il est absurde d’avoir une seule monnaie pour plusieurs Etats. Mais cela est rendu choquant par le fait que la BCE n’a pas hésité à créer la bagatelle de 1000 milliards d’euros pour refinancer les banques privées à 1% sans la moindre contre-partie quand elle contraignait les Etats à des politiques d’austérité extrêmement dures.

Plus le temps passe, plus on comprend qu’il est absurde que plusieurs pays partagent la même monnaie. Pire, la BCE mène une politique au service exclusif de la finance, quand les autres banques centrales du monde défendent davantage l’intérêt général, comme l’explique bien Jean-Claude Werrebrouck.

16 commentaires:

  1. « Vous retrouverez sur le blog néochartaliste Frapper monnaie une analyse des taux d’intérêts indiens qui montre bien à quel point la fixation des taux directeurs influence les taux longs, pour les pays qui ont conservé une monnaie nationale. »

    Effectivement, Jean-Baptiste Bersac, dont le travail est remarquable, le démontre aussi, graphiques à l'appui, pour la Nouvelle-Zélande, l’Australie, la Suède, le Canada, l’Afrique du Sud, le Brésil, le Japon, le Royaume-Uni et les États-Unis…

    YPB

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  2. La FED soutient surtout le marché boursier, peu le réel. Et la BCE a une politique proche :

    "Graphique 7.1. La politique de taux de la BCE est semblable à celle de la FED, avec cependant des variations moins amples."

    http://dixideesquicoulentlafrance.net/graphiques/7-la-bce-une-institution-bornee-qui-bloque-la-croissance/

    olaf

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  3. Chiffres Eurostat d'octobre 2013 :

    Grèce : 27,3 % de chômage
    Chez les jeunes de 15 à 24 ans : 54,8 % de chômage

    Espagne : 26,7 % de chômage
    Chez les jeunes de 15 à 24 ans : 57,4 % de chômage

    Croatie : 17,6 %
    Chez les jeunes : 52,4 %

    Chypre : 17 %
    Chez les jeunes : 43,3 %

    Portugal : 15,7 %
    Chez les jeunes : 36,5 %

    Slovaquie : 13,9 %
    Chez les jeunes : 31,5 %

    Bulgarie : 13,2 %
    Chez les jeunes : 28,8 %

    Irlande : 12,6 %
    Chez les jeunes : 26 %

    Italie : 12,5 %
    Chez les jeunes : 41,2 %

    Près d'un tiers des Grecs sans couverture sociale.

    http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/09/pres-d-un-tiers-des-grecs-sans-couverture-sociale_3528051_3214.html

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  4. Excellent article. L'independance de la BCE est tellement scandaleuse.

    Petite nuance toutefois :

    "Il faut dire que la BCE dépend de plusieurs Etats, posant des problèmes de responsabilité finale. Mais cela revient alors à démontrer qu’il est absurde d’avoir une seule monnaie pour plusieurs Etats. "

    J'ajouterais la mention "sauf à avoir des institutions supra-nationales vraiment democratiques et legitimes, pilotant cette monnaie dans l'interet des peuples d'Europe plutot que celui du lobbie bancaire."

    Des lors, le veritable clivage devient une question de ce qu'on juge le plus pragmatique et facilement realisable :

    -> Demonter la monnaie unique => auquel cas on vote DLR ou le MRC (qui aura ses propres listes cette fois)

    -> Reformer le fonctionnement de l'UE (statut de la BCE, pouvoir du parlement, politisation de la commission) => auquel cas on vote Nouvelle Donne

    Voila le vrai debat.

    Je trouve normal qu'il y ait aussi des candidats UDI-MoDem pour regrouper les liberaux, le FN et le FG pour une approche plus contestataire et EELV pour sa vision "federalisme des regions".

    Mais par contre je n'arrive vraiment pas à comprendre comment on peut voter UMP ou PS dans cette election si on s'interesse deux minutes à la question.

    Talisker.

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    1. A propos de ces deux minutes, elles doivent être comprises dans temps de cerveau disponible, auquel se référait ce merveilleux Le Lay il y a quelques années, temps qui ne doit pas être très important. Sans compter l'action de la plupart des médias, qui sont plus prompts à détailler les faits divers ou à chanter les louanges du système qu'à exercer leur esprit critique.

      Demos

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  5. Selon l'analyse ci dessous :

    Les gens de la Fed font donc circuler cette masse de 3 600 milliards de dollars au rythme de 85 milliards par mois.

    Cet argent provient de divers dépôts, en particulier des trésoreries abondantes des entreprises et des banques américaines et aussi et surtout des 1 700 milliards de dépôts excédentaires (par rapport aux normes historiques) des Américains dans leurs caisses d’épargne qui sont inévitablement stérilisés pour des raisons prudentielles élémentaires.

    ce qui n’est pas le cas dans la zone euro où l’hypertrophie de l’agrégat monétaire M1 est considérable, létale même car de l’argent non gagné y est distribué massivement depuis des années.

    http://chevallier.biz/2013/12/monnaies-finances-banques-etc-pour-les-nuls-1%C2%B0-partie-us-qe/

    olaf

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  6. @Olaf

    Je pense que Chevallier se trompe.
    La monnaie centrale ( les 3600 Md$) n'a rien à voir, sauf pour sa partie fiduciaire, c-à-d les billets, avec la monnaie "secondaire" utilisée par les entreprises...
    Ces 3600 Md$ sont par contre uilisés par les banques et les établissements financiers comme "base" de leurs échange et garantie de leurs prêts.

    On ne peut comparer l'effet des agrégat monétaire M1 de différents pays sans faire intervenir la vitesse de la circulation de la monnaie ( M1 x Vc = PIB) et M1 n'est pas "de l'argent non gagné", cette idée est à mon avis ridicule ; M1 est une partie des crédits bancaires sous forme de monnaie circulante (on peut dire aussi que M1 = crédits bancaires moins épargne, laquelle classée dans les agrégats de placement).
    Mais il n'y a de "monnaie" que dans M1 ... c'est ce que voulait nous faire comprendre Allais et qu'a bien expliqué Aunac ( http://postjorion.wordpress.com/2011/05/15/177-aunac/ )

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  7. A-J Holbecq

    Le document que vous citez dit que M1 est un stock( la monnaie ) et que M2, M3 sont en fait des flux de transactions. Mais ça ne contredit pas Chevallier qui indique que les rachats d'obligations US sont faits à partir de dépôts ou trésoreries américains, donc du M1 en provenance des US. La FED ne joue qu'un rôle d'intermédiation dans le changement de propriétaire des obligations US, M1 ne change pas, seuls les indicateurs de flux( autres agrégats ). fluctuent.

    olaf

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    1. Le seul inconvénient à terme serait qu'une augmentation telle de la dette américaine rendrait insuffisante les trésoreries de sociétés US et dépôts US pour racheter les obligations. Mais ce ne semble pas être encore le cas...

      olaf

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  8. @ YPB

    Je l’ai rencontré il y a quelques jours grâce à RST. Je dois lire son livre.

    @ Olaf

    D’accord sur l’effet de la politique de la Fed, qui nourrit la bulle.

    @ BA

    Merci pour l’information

    @ Talisker

    Même pas car le cas de la Tchécoslovaquie montre qu’il est impossible de conserver une même monnaie sur un espace aussi hétérogène, la moyenne des intérêts généraux ne correspondra jamais qu’à une petite minorité. On peut légitimement demander si l’opinion Nouvelle Donne est crédible car l’Allemagne ne voudra jamais. Que feraient-ils si Berlin leur dit non ?

    @ Olaf et A-J H

    L’argument me semble bizarre a priori. L’argent me semble plutôt être créé ex nihilo par la BC, ce que semble indiquer l’explosion du bilan de la Fed.

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  9. @Olaf et Laurent

    Si les banques peuvent acheter de la dette publique c'est parce que la FED a d'ABORD émis cette monnaie (monnaie centrale) avec laquelle elles peuvent l'acheter.
    Si les banques peuvent émettre de la monnaie secondaire lors de crédits aux entreprises et aux particuliers (ce qui leurs permet ensuite d'acheter de la dette publique), c'est parce que la FED assure les "fuites" des banques (besoins de monnaie manuelle, besoins de réserves obligatoires, soit sensiblement 15% des crédits accordés par les banques secondaires.. )
    Bref, les émissions de la Banque Centrale sont nécessaires d'une part pour que le système fonctionne, d'autre part pour éviter que les banques, par simple émission de "leur" monnaie, puissent s'approprier toutes les richesses.

    Le chartalisme fournit une explication complémentaire et élégante: c'est parce que le Trésor Public émets des obligations , et que son activité se fait toujours en monnaie centrale (le Trésor Public est la Banque de l'Etat et c'est la Banque Centrale qui gère son compte) que la banque centrale peut émettre de sa monnaie... mais dans l'absolu le Trésor Public pourrait émettre directement des obligation sans ce passage par la Banque Centrale, en imposant que les impôts perçus soient réglés avec ces (ses) obligations.
    D'où: l'Etat n'a pas besoin de percevoir des impôts pour engager des dépenses et les dépenses de l'Etat "précèdent" nécessairement ses recettes.

    Désolé d'être sorti un peu du sujet ;-)

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  10. Explosion du bilan de la FED ?

    Une oscillation plutôt.

    http://economieamericaine.blog.lemonde.fr/files/2013/06/tableau4.jpg

    http://economieamericaine.blog.lemonde.fr/2013/06/19/la-reserve-federale-va-taper/

    olaf

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  11. La Banque centrale européenne (BCE) voudrait rendre plus coûteuse en capital la détention de bons d'Etat risqués pour diriger les fonds d'investissement vers les entreprises. « Dans l'édition de ce jeudi du Financial Times, en effet, le chef économiste de la BCE, membre du directoire de l'institution, le Belge Peter Praet, indique envisager de réclamer aux banques de la zone euro une couverture en capitaux des obligations souveraines qu'elles détiennent ».

    http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20131212trib000800630/la-bce-a-une-nouvelle-idee-pour-reduire-le-credit-crunch.html

    http://www.investireoggi.it/economia/allarme-banche-italiane-bce-pronta-a-requisiti-piu-severi-su-titoli-di-stato/

    Encore une idée folle des « experts » de la BCE. Il s'agirait de faire considérer par les banques que les obligations d’État qu'elles achètent sont effectivement des créances douteuses, s'agissant des pays fragiles de la zone, ce qui est au demeurant incontestable, et qu'il vaudrait mieux qu'elles dirigent leur prêts vers les entreprises, l'économie réelle plutôt que vers des États en quasi faillite. Reste à préciser comment ces États en quasi-faillite vont pouvoir se financer sur les marchés financiers si les banques les considèrent comme des emprunteurs à risque, alors que les institutions de la zone euro les oblige à se financer exclusivement sur les marchés financiers et que leurs taux d'intérêt, notamment pour l'Espagne et l'Italie, sont déjà trop élevés. L'idée cachée serait-elle d'obliger ces États à passer sous tutelle en les obligeants à demander une aide (OMT, fonds de secours)? Mais il me semble que l'Italie et la France sont des pays trop gros pour pouvoir être aidés si les marchés financiers se mettent attaquer leurs dettes. En tout cas ils devront se mettre sous tutelle ou sortir de l'euro (ils choisiront la première solution selon toute vraisemblance).

    Saul





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  12. Laurent,
    Tu fais souvent référence à la notion d''intérêt général, qui mériterait d'être définie et illustrée, pour être utilisée largement à des fins pédagogiques, notamment par des politiques comme NDA. Cette idée me paraît extrêmement importante pour rassembler et rendre solidaires. Je peux témoigner, sans avoir l'ambition de Todd, avoir vécu le fait que cette notion est plus ou moins portée et partagée par les sociétés en Europe même.

    D'ailleurs, en réalité, que se joue-t-il d'autre aujourd'hui qu'une lutte entre les intérêts de quelques-uns et l'intérêt général ?

    Demos

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  13. @ André-Jacques

    Merci pour les précisions.

    @ Olaf

    Début 2008, de mémoire, le bilan de la Fed avoisinait 800 Mds de dollars. Aujourd’hui, il tourne autour de 3000 Mds… Pas vraiment une oscillation.

    @ Saul

    Merci pour l’information. Une telle mesure compliquerait la situation des pays en difficulté. Bizarre. Ils sont vraiment complètement fous.

    @ Démos

    L’intérêt général, pour moi, cela va au-delà de l’intérêt de la majorité, c’est s’assurer, comme pendant les 30 Glorieuses, ainsi que l’a bien montré Krugman dans son livre de 2008, que le progrès profite à tout le monde, proportionnellement de la même manière. C’est aussi défendre le socle commun de la nation, contre toutes les attaques. Cela va à l’inverse de ces démarches politiciennes qui visent à attirer une petite majorité d’intérêts, quitte à punir une large minorité.

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  14. LP

    Ce n'est pas la taille du bilan qui compte, mais de quoi il est composé. La FED récolte plus qu'auparavant de l'épargne US qui permet d'acheter des obligations US. De même, la dette japonaise est financée par de l'épargne japonaise.

    La BCE équilibre comment son bilan lors de ses achats de dettes ? Pas avec de l'épargne de la ZE, mais en échange de collatéraux destinés très probablement à être dévalorisés.

    olaf

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