vendredi 20 décembre 2013

Union bancaire : la victoire par KO de Berlin


L’accord sur l’union bancaire auxquels sont parvenus les 27 hier n’est en aucun cas historique. D’abord, il ne résoud pas grand chose avec son fond ridicule de 55 milliards. Mais en plus, il consacre la toute-puissance de Berlin, qui y trouve un moyen de défaire en partie ce qui avait été fait avec le MES.

L’Allemagne obtient tout ce qu’elle veut
Il est assez étonnant que cela ne soit pas tellement souligné dans l’analyse médiatique de l’accord trouvé par les ministres de l’économie des 27 mercredi. Dans le détail, les membres de l’Union Européenne, après s’être mis d’accord pour faire de la BCE l’instance de régulation des grandes banques de la région,  se sont accordés sur des règles communes pour renflouer ou liquider les banques européennes qui en auraient le besoin. L’Allemagne a bien protégé ses intérêts en obtenant que le seuil retenu pour la supervision des banques épargne ses caisses d’épargne régionales, qui financent l’industrie.
Comme le rapporte ce papier du Monde, les pertes seront d’abord imposées aux actionnaires, puis aux créanciers, en fonction de leur niveau d’assurance (des moins bien assurés jusqu’aux plus seniors) et en dernier recours aux déposants, au-delà de 100 000 euros. Ensuite, pourront être sollicités des fonds nationaux de résolution, financés par les banques et enfin des ressources soit nationales, soit européennes. Un fond de 55 milliards sera monté d’ici à 2025 par des prélèvements sur les banques, mais cette somme est totalement ridicule au regard de la crise de la 2008. Après 2025, le MES pourrait servir, mais les conditions sont encore très floues, et cela est très lointain.
En fait, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande voulaient absolument éviter tout recours à l’argent public. En clair, les pays créanciers voulaient quelque part revenir sur les engagements pris avec le MES, qui permettaient d’utiliser l’argent pour les banques de tous les pays. Avec ce nouveau mécanisme, il devient extrêmement peu probable que les contribuables allemands puissent être mis à contribution pour le sauvetage d’une banque étrangère. Non seulement Angela Merkel a réussi à éviter d’engager son pays plus encore, mais elle a réussi à faire reculer ses engagements !
Nous sommes tous des chypiotes en puissance
Il y a des éléments positifs et d’autres très négatifs dans cet accord. En positif, au final, la marche fédéraliste est arrêtée en matière bancaire puisque si le mécanisme de résolution est commun à l’échelle de l’Europe, il n’inclut pas un centime d’argent public et maintient les Etats dans le jeu. Nous sommes bien loin du chèque en blanc que certains eurocrates cherchaient à obtenir. Les euro obligations sont un lointain souvenir. Point positif également, les actionnaires et les créanciers seront mis à contribution avant les contribuables : ainsi, ils seront poussés à faire un meilleur travail de contrôle des banques.
En revanche, il est absolument scandaleux d’institutionnaliser le mécanisme mis en place à Chypre, à savoir que les épargnants pourront être mis à contribution dans le cas d’une faillite bancaire. Certes, il s’agit uniquement des dépôts supérieurs à 100 000 euros, mais cela est totalement anormal. Dire que les partisans de l’euro disaient que l’euro protégeait l’épargne. Dans la réalité, c’est l’inverse. Cette remise en cause formelle de l’intégrité de l’épargne est une grave remise en cause du lien de confiance qui devrait normalement exister entre les banques et les épargnants.
Il y a un grand vainqueur dans cette négociation sur l’union bancaire : le contribuable allemand. Berlin a réussi à bien mieux le protéger que cela avait été fait au moment du MES. Et comme sous Nicolas Sarkozy, l’Allemagne dicte ses conditions à une France qui accepte toutes les contraintes bien sagement.

15 commentaires:

  1. >>> il est absolument scandaleux d’institutionnaliser le mécanisme mis en place à Chypre, à savoir que les épargnants pourront être mis à contribution dans le cas d’une faillite bancaire.

    J'avoue que sur le coup j'ai des difficultés à suivre votre raisonnement.

    N'est-il pas encore beaucoup plus scandaleux de mettre à contribution les contribuables.
    Placer de l'argent en banque consiste à prêter celui-ci à cette même banque et pour cela un intérêt (minimal) est payé par la banque. Il s'agit donc d'une opération qui comporte un (petit) risque. Les dépôts étant garanti jusqu'à 100.000 Eur, il est possible d'ouvrir des comptes dans différentes institutions.


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    1. Pourquoi aux USA, au Japon, au Royaume-Uni, etc on ne fait pas un système similaire pouvant aboutir à un prélèvement sur les déposants, au-delà de 100000 euros ? Serait-ce lié au fait que ces pays ont la souveraineté monétaire et que leur banque centrale peut faire des QE pour racheter aux banques leurs créances douteuses ?

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Assouplissement_quantitatif

      Citation :

      « Au cours de son programme d'assouplissement quantitatif commencé en mars 2009, la Banque d'Angleterre a acheté jusqu’en septembre 2009, environ 165 milliards de £ d'actifs aux institutions financières, et à un degré moindre, des créances de qualité élevée émises par des entreprises privées12; ce montant fut porté à 200 milliards de £, fin 2010. Les banques, compagnies d'assurance et fonds de pension ont alors pu utiliser l'argent qu'elles avaient reçu pour le prêter ou pour acheter des obligations émises par d‘autres banques.

      Début novembre 2010, la Fed a décidé d'acquérir des titres détenus par des institutions financières américaines à hauteur de 600 milliards USD dans le but de favoriser l'accroissement de l'activité économique américaine13. La politique de d'assouplissement quantitatif de la Fed a apparemment évité à la crise des subprimes de virer à la crise déflationniste. En effet, à l'instant critique, le crédit inter-bancaire menaçait d’être gelé : c'est-à-dire que les banques ne se prêtaient plus entre elles. L'afflux brusque de liquidités a été une bouffée d'air pour le système bancaire au bord de la suffocation. »

      Ce qui ne signifie pas que même les systèmes financiers américain, japonais ou britannique n'ont pas besoin d'être remanié. Perso je considère que les financements des Etats sur les marchés financiers pouvaient fonctionner dans la durée seulement si on avait pu éviter que le niveau d'endettement desdits Etats atteigne des niveaux des niveaux stratosphériques, mais on n'a pas pu l'éviter. Il faut trouver autre chose.

      Saul

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    2. Erratum, il faut exclure le Royaume-Uni de ma remarque car il fait partie de l'accord à 27 même s'il ne devrait pas en avoir besoin pour ses banques compte tenu de l'action de sa banque centrale.

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  2. j'ai lu et relu l'analyse de Laurent Pinsolle. Je ne comprends pas pourquoi la France n'arrive pas à se protéger ou du moins protéger une partie de ses finances comme le fait l'Allemagne. N'avons nous pas des caisses d’épargne régionales, qui financent l’industrie? Si oui, pourquoi qu'entre deux pays qui sont dans la même Europe les règles ne sont pas les mêmes? Cela ne devrait pas être une histoire de chef d'état mais une lois, un accord doit s'appliquer identiquement à tous??? Je comprends l'Allemagne qui protège ses contribuables pour qu'ils ne soient pas mis à contribution pour le sauvetage d’une banque étrangère. Il y a un fond européen pour cela (alimenté proportionnellement au budget du pays) donc qui est déjà une participation de tous. Ce qu'il faut revoir se sont les règles d'acceptation d'un pays dans l'UE et faire appliquer au pays défaillant (exemple la Grèce) non pas de toucher aux comptes de ses citoyens de base et de ses petits épargnants mais lui imposer de récupérer d'abord tous les impôts, taxes et autres passe-droits des richissimes armateurs et autres industries qui ne paient pas, de gérer sa mafia avant. Un pays tricheur doit être sanctionné au lieu de créer des accords injustes pour ceux qui se conduisent bien et travaillent pour les autres. Il faut revoir les bases de l'UE les imposer à tous, tous ceux qui veulent rester ou entrer dans l'UE, au lieu d'adapter les règles selon le pays. Malheureusement ce n'est pas avec ce président là que la France sera défendue . Au lieu de taper le poing sur la table et quitter les réunions européennes lorsqu'elles ne sont pas conforment et accepter que les règles qui vont dans le but de la création de cette Europe unie.

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  3. L'Allemagne a un mode de contrôle de son industrie différent de la France, car plus décentralisé.
    C'est le cas des caisses d'épargnes ainsi exclues du contrôle européen, mais aussi de l'électricité puisque la centralisation des opérateurs électriques s'est fait après la 2eme guerre mondiale : en France, il y a eu un seul opérateur, EDF. En Allemagne il y en a eu 4, dans les différentes zones. Si bien que l'Allemagne est moins pénalisée que la France par la volonté de la commission d'introduire la concurrence dans ce secteur...
    C'est problématique, puisque les réformes européennes n'agissent donc pas de la même manière dans les 2 pays.

    "l’Allemagne dicte ses conditions à une France qui accepte toutes les contraintes bien sagement."

    Oui, et pas un radis de plus.
    Hollande avait demandé un financement de l'intervention en RCA. Voici le commentaire du Spiegel :

    http://www.spiegel.de/international/world/france-seeks-financial-help-from-europe-for-africa-mission-a-939759.html

    dont le ton condescendant est insupportable, quoi qu'on pense du fond.

    D'autant plus que le total du coût des OPEX doit représenter 0,05% du PIB français, et donc encore bien moins du PIB de l'Allemagne.

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  4. Ce qui est scandaleux, c'est de laisser à Bruxelles, à des gens non élus, le soin de disposer de nos économies !!!!

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  5. L'attitude de l'Allemagne me fait à certains égards penser à celle de l'autruche qui se sent menacée. Le fait de réussir à protéger ses caisses d'épargne régionales de toute supervision bancaire peut apparaître comme une victoire tactique mais certainement pas comme une grande réussite stratégique : tôt ou tard, on se rendra bien compte de l'état réel de ces institutions qui financent une part non négligeable de l'économie outre-Rhin... mais quand le grand public s'en rendra compte, il sera un peu tard, comme d'habitude.

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  6. Bénédicte Sambo vient de dessiner un chef d'oeuvre de dessin politique :

    La galère.

    http://www.presseurop.eu/files/BENEDICTE-ukraine.png

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  7. @ Anonyme

    Il n’y a que dans la zone euro que l’on a besoin de saisir l’épargne du fait d’une BCE conservatrice. Je suis d’accord qu’il vaut mieux éviter de mettre à contribution les contribuables. Idéalement, la banque centrale pourrait recapitaliser les banques en difficulté sans toucher à l’épargne. En revanche, je ne suis pas très favorable au rachat de créances par la BC (à moins que ce soit au prix de marché, et encore) car cela représente une aide sans contrainte, alors que la recapitalisation donne le contrôle.

    @ Saul

    Merci. Je suis bien d’accord.

    @ Anonyme

    Nous n’avons pas le même secteur bancaire que l’Allemagne, ce qui est la première explication. Ensuite, il y a un problème avec des élites allemandes qui défendent principalement les intérêts nationaux allemands quand les élites françaises tombent trop souvent dans un internationalisme qui leur fait penser aux intérêts européens sans penser aux intérêts de la France et des Français. Cela était vrai pour Sarkozy comme Hollande.

    Pour les pays en difficulté, une dévaluation aurait été bien moins douloureuse.

    @ Gilco56

    Très juste

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  8. @Laurent Pinsolle,
    la ponction exercée sur les comptes épargnes des Chypriotes me choque beaucoup moins que celle qui pourrait être faites sur des comptes-épargne français ou allemands. Dans le premier cas, Chypre est essentiellement un pays qui repose sur la rente financière et fiscale, et à ce titre, il est normal que les citoyens chypriotes contribuent à sauvegarder leur garde-manger...
    En revanche, pour des français, l'épargne est assez souvent le fruit du travail. En fait, cette ponction devrait n'être faite que sur de l'épargne spéculative ou issues des gros revenus. Il n'est normal que ceux qui ont épargné pendant des années pour leur vieux jours comme salarié ordinaire...
    En fait, le scandale provient surtout du fait que c'est au client de payer la note pour des choix stratégiques financiers sur lesquels il n'a pas la main...

    CVT

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  9. Je ne comprends toujours pas pourquoi le contribuable ou même la banque centrale devrait être mis à contribution pour sauver des banques privées, leurs actionnaires ou leurs clients.

    Si j'achète une voiture, paye un acompte et que le constructeur fait faillite avant que je sois livré, je peux faire une croix sur mon acompte, ni le contribuable ni la banque centrale ne viendront à mon secours.

    Pourquoi en va-t-il autrement pour celui qui place ses économies sur un compte d'épargne dans une banque privée ?

    Bien sûr je suis conscient du fait qu'il y a des tas de choses tout aussi choquantes, et qui toutes sont plus ou moins liées à ce problème :

    -pourquoi n'ai-je pas le droit de toucher mon salaire en liquide, pourquoi les montants de transaction en liquide sont ils limités ?
    -pourquoi les particuliers ne peuvent ils plus ouvrir de comptes au Trésor Public ni à la Banque de France ?
    -pourquoi la retraite par répartition est-elle remplacée peu à peu par la capitalisation ?
    -pourquoi les banques renflouées par le contribuable ne deviennent elles pas propriété de l'état ?
    -pourquoi la France a-t-elle voulu l'Euro alors que l'Allemagne n'en voulait pas, ce qui lui a permis d'imposer ses conditions ?
    -à qui profite le crime, en tout cas en France ?

    Ivan
    -pourquoi la France tarde-t-elle tant à reconnaître son erreur et à en tirer les conséquences ?

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  10. << Je ne comprends toujours pas pourquoi le contribuable ou même la banque centrale devrait être mis à contribution pour sauver des banques privées, leurs actionnaires ou leurs clients.>>
    Plutôt :
    [...] pourquoi le contribuable ou même la banque centrale devrait être mis à contribution pour (racheter/recapitaliser) des banques privées, (de ce fait,ruiner) leurs actionnaires, (ne rien faire) à leurs clients.

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    1. Quand une banque est en cessation de paiement elle ne vaut plus rien, et donc les actionnaires n'ont plus rien à perdre, non ?

      Ivan

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    2. @Ivan : Tout à fait, mais cela peu de gens le comprenne et c'est pour cela que Bruxelles arrive à enfumer les gens en leur faisant croire que leur Union Bancaire va les protéger, car les actionnaires et créanciers devront d'abord être mis à contribution ...

      Dans la pratique, cela signifie que les créanciers obligataires seront moins sénior sur leur dette que les clients avec moins de 100 00 euros, mais cela ne règle en rien le comment on va s'assurer qu'il y ait encore de l'argent dans les caisses de la banque ...

      Pour information, voici un article de La Tribune, sur les engagements des banques dans les produits dérivés, que je trouve intéressant :

      http://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/20131217trib000801508/produits-derives-un-remake-du-cauchemar-de-2008-reste-possible.html

      Un extrait et un commentaire de ma part :

      "Au final, il est impossible de se faire une idée du risque exact encouru par les banques, qui par ailleurs ne communiquent pas cette donnée.
      Mais si l'on prend l'exemple encore d'actualité de Dexia, une banque en démantèlement qui a été certes très mal gérée avant la crise de 2008, on constate qu'elle est toujours sous "le coup d'une perte latente de 29 milliards d'euros pour 450 milliards d'euros de notionnels, soit 6,4% du montant du notionnel", indique Christophe Nijdam.
      ... mais un rien pourrait tout faire basculer

      A titre de comparaison, une perte de seulement 0,16% du montant notionnel de dérivés de BNP Paribas (48.000 milliards d'euros) rognerait l'intégralité de ses fonds propres, selon les chiffres d'Alphavalue. Pour le Crédit agricole, une perte de 0,22% du notionnel serait suffisante pour anéantir ses fonds propres, un niveau qui grimpe à 0,26% pour la Société générale. Potentiellement, les banques suisses Crédit Suisse et UBS et la Deutsche Bank sont les plus exposées en Europe si l'on prend en compte ce ratio. Il ne suffirait donc pas de grand-chose pour que ces grands groupes bancaires se retrouvent en difficulté."


      Si on reprend les vrais fonds propres (au 30/06/2013) et les notionnels à fin 2012 (les derniers disponibles), alors on arrive à ceci :

      - BNP: notionnel à fin 2012 de 48 000 Mds, fonds propres de 68.638 Mds, soit plus de fonds propres dans le cas d'une perte moyenne sur dérivés de 0.143%

      - SG : notionnel à fin 2012 de 19 000 Mds, fonds propres de 34.922 Mds, soit plus de fonds propres dans le cas d'une perte moyenne sur dérivés de 0.184%

      - CA : notionnel à fin 2012 de 15 500 Mds, fonds propres de 51.808 Mds, soit plus de fonds propres dans le cas d'une perte moyenne sur dérivés de 0.334%

      On est donc vraiment en risque, mais chut cela n'est pas correct d'en parler ...

      JPL

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  11. @ CVT

    Sur le principe, la ponction de l’épargne me semble condamnable et plus encore évitable (il n’y a qu’en zone euro que l’on fasse cela : quand on a une banque centrale active, cela n’est pas nécessaire).

    @ Ivan

    Je suis bien d’accord, ce sont les actionnaires et les créanciers qui doivent être mis à contribution en premier lieu. Sur les clients, cela pose quand même un problème de confiance dans le système financier. Quand on met de l’argent dans une banque, il est quand même légitime de pouvoir le retrouver.

    D’accord sur toutes vos questions. Je crois que la France a voulu l’euro pour 2 raisons :
    - ligoter la grande Allemagne à l’Europe (Mitterrand…)
    - rêve de grandeur européenne et internationalisme

    Ceux qui ont commis l’erreur ne veulent pas le reconnaître

    @ Raphaël

    L’intérêt, c’est pour éviter que le système bancaire dans son ensemble ne s’effondre. Les actionnaires prennent un risque et sont rémunérés pour ce risque. En revanche, les clients ne sont pas sensés prendre un risque et si les déposants perdaient leurs avoirs, alors il y aurait un rush bancaire, et le système pourrait s’effondrer.

    Mais si c’est via la BC et par monétisation, alors cela peut ne pas être douloureux pour le contribuable.

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