mercredi 25 juin 2014

Irak, Libye : les interventions militaires laissent un champ de ruines


La brutale dégradation de la situation en Irak, où les djihadistes sunnites ont pris le contrôle du Nord-Ouest du pays, nous rappelle utilement que les interventions militaires ont tendance à être des désastres qui se paient pendant des années, comme le rapporte The Economist qui étudie la situation en Irak et en Syrie.



L’horreur en Irak et en Libye

Heureusement, notre pays avait pris la tête de l’opposition à l’agression de l’Irak par les Etats-Unis avec le discours de Dominique de Villepin aux Nations Unies. D’abord, Washington a agi sans le moindre mandat international (au contraire de l’intervention en Afghanistan, pas mieux inspirée néanmoins). Ensuite, le motif de l’intervention (la présence d’armes de destruction massive) était bidon. Mais pire, le bilan humain est absolument effroyable puisque les estimations du nombre de victimes varient entre 180 000 et 1,44 millions d’irakiens sur une dizaine d’années. Encore plus effarant, la situation est tellement mauvaise que les Etats-Unis apportent leur soutien à un régime de plus en plus autoritaire et critiquable et pourraient même demander l’aide de l’Iran pour contenir les djihadistes de l’EIIL.

Et la situation de Libye n’est guère plus réjouissante. En effet, dans ce pays, contrairement à ce qui s’était passé en Irak, l’intervention avait été limitée, reposait sur un accord de la communauté internationale (incluant la ligue arabe) et s’appuyait sur une opposition interne. En outre, elle avait pour but d’éviter un bain de sang dans le cadre d’une guerre civile que le régime de Kadhafi semblait sur le point de gagner. D’où le fait, qu’après des hésitations, je l’avais soutenue. Mais la situation est aujourd’hui très mauvaise avec un gouvernement qui ne parvient pas à tenir en respect des groupes qui font régner la terreur dans le pays. Du coup, je pense aujourd’hui que j’ai eu tort de soutenir cette intervention, comme je l’avais dit lors des débats sur une intervention en Syrie, à laquelle je m’étais donc alors opposée.

La frontière ténue entre internationalisme et impérialisme

Bien sûr, comment ne pas être touché par les victimes de guerre civile ou de l’oppression d’un régime totalitaire ? Malheureusement, notre passé récent démontre que, même quand les conditions semblent réunies, ces interventions ne font que changer le visage des bourreaux. Pire, elles semblent prolonger le chaos et démultiplier le nombre de victimes. A quoi bon intervenir pour sauver des vies et aider les démocrates si c’est pour permettre l’émergence d’un nouveau tyran et semer les graines de nouveaux conflits internes qui provoquent de nombreuses victimes ? Les voies de l’enfer seraient-elles pavées de bonnes intentions ? Il le semble aujourd’hui. Il est chaque jour plus évident que l’intervention en Irak était une calamité, comme le rappelle la guerre civile qui vient d’éclater. Et malheureusement, la situation n’est guère meilleure en Libye, trois ans après l’intervention.

Finalement, c’est sans doute Jacques Sapir qui avait raison, dans un très bon livre écrit il y a quelques années, où il dénonçait les interventions militaires à l’étranger. Il rappelait qu’elles étaient toujours le fait du fort sur le faible, ce qui les rend intrinsèquement suspectes. On pourrait ajouter que Washington s’intéresse quand même beaucoup aux pays où il y a du pétrole. En outre, cela pousse à une course à l’armement puisque seule la force semble protéger d’une intervention, d’où des pays qui cherchent à avoir l’arme atomique… Bref, la leçon de ces dernières années est sans doute que les interventions de puissances extérieures dans des conflits internes, aussi horribles soient-ils, n’améliorent nullement la situation et semblent au contraire la faire pourrir pour longtemps. En prolongeant les conflits par la destruction des structures existantes, elles propagent un chaos qui fait de nombreuses victimes.

La leçon du chaos des pays où les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont intervenus depuis 15 ans n’est peut-être pas réjouissante. Néanmoins, il convient de bien en retirer toutes les leçons pour éviter des redites sanglantes, comme en Libye ou en Irak.

13 commentaires:

  1. Nous avons longtemps raisonné dans un schéma européen : les révolutions s'inscrivaient dans le cadre de l'Etat-Nation, elles pouvaient le construire (Algérie...), en changer l'orientation politique (Russie, Iran) ou à la rigueur le dépasser (mythe de l'URSS). Or nous sommes aujourd'hui confrontés à la résurgence de mouvements tribaux, féodalistes et/ou intégristes, c'est-à-dire des formes politiques antérieures à l'Etat-Nation, qui se combinent dramatiquement avec des technologies modernes et parfois les ressources de la rente pétrolière.
    Les interventions occidentales en Afrique et au Moyen-Orient était foncièrement motivées par des intérêts géopolitiques à courte-vue : éliminer un gouvernement indocile, sécuriser quelques pipe-line. Mais elles ont été assez largement soutenues en Occident parce que beaucoup d'entre nous imaginent que les oppositions de ces pays ont les moyens d'être "démocrates" ou "socialistes", c'est-à-dire de s'inscrire dans le cadre de l'Etat-Nation. Sadam Hussein ou Kadhafi eussent dû être remplacés par des démocraties à l'occidentale, ou du moins quelque chose qui s'en serait approché. S'il n'en a rien été, c'est que ces "dictatures" étaient la seule forme possible dans les conditions du moment pour la construction d'un état stable autour duquel s'institutionnalisait progressivement une Nation.
    En détruisant les structures de l'état nous avons réveillé les forces centrifuges et supprimé le contrepoids qui empêchait la prolifération des mafias, intégristes et irrédentistes.
    Bref, je partage tout-à-fait votre conclusion : " les interventions de puissances extérieures dans des conflits internes, aussi horribles soient-ils, n’améliorent nullement la situation et semblent au contraire la faire pourrir pour longtemps".
    Il faudra tenir bon pour résister aux vociférations bellicistes qui ne manqueront pas de nous pousser à de nouvelles entreprises de déstabilisation.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. tout à fait d'accord .

      Supprimer
    2. Très juste. En Occident, on s'imagine naïvement que sous la gangue dictatoriale, il y a toujours une fleur démocratique prête à s'épanouir. Comme si la démocratie existait à l'état natif, naturel, et qu'elle ne demandait qu'à éclore une fois le dictateur abattu ! Les exemple irakiens et libyens montrent le contraire. Après la dictature se met le plus souvent en place une autre forme de dictature ou bien une longue période de chaos, notamment quand la fin de la dictature a été précipitée par une intervention armée occidentale.

      Supprimer
  2. L’occident sous direction américaine, a joué les pompiers pyromanes en Irak , en Libye et ailleurs. Le régime de kadhafi n’était pas l'horreur que les grands médias nous ont présenté en nous désinformant, bien au contraire. J’apprécie votre autocritique d'aujourd'hui et votre "condamnation" rétrospective de ses interventions, mais je suis navré d'apprendre que vous avez pu soutenir, meme du bout des lèvres, l'intervention en Lybie. Vous avez besoin certainement d'approfondir votre analyse de la nature réelle du leadership américain, qui est impérialiste, agressif, voire fasciste, sous l'apparence trompeuse du "pays des libertés". L'arbre google, ne pourra longtemps cacher le déclin profond de l’économie américaine et du pays tout entier. Seul le complexe militaro-industriel avec le soutien du Dollar comme seule monnaie de réserve, peut prolonger la domination prédatrice américaine sur le monde, mais pour combien de temps ? En attendant les USA n'ont jamais été aussi dangereux qu'actuellement et ils peuvent nous précipiter dans un desatre (guerre mondiale), avant (ou après) de nous asservir un peu plus (traité transatlantique)

    RépondreSupprimer
  3. Heureusement que les US ont, finalement, empêché les "occidentaux" d'intervenir dans la guerre civile puis d'ingérence étrangère ( Qatar et Arabie Saoudite par le biais de groupes islamistes radicaux) en Syrie. La Russie puis l'Iran ont aussi pesé sur cette décision. Bachar El Assad est en passe de gagner la guerre et cela sera au moins un gage de stabilité dans une région tellement meurtrie par la bêtise des "Occidentaux" comme l'ex-président GW Bush. Ces états fragiles par leur composition et par une création à peine centenaire vont connaître des décennies de guerre civile et ethnico-religieuse qui peuvent se terminer par une recomposition politique avec un nord Irak sunnite et une partie de la Syrie sunnite mais très peu peuplée réunis, un Kurdistan indépendant et un état sud irakien chiite.
    Une France sortie de l'Otan pourrait retrouver une influence perdue et se poser en négociateur, avec les autres acteurs régionaux ou pas comme l'Iran et la Russie, entre les parties en présence quand elles voudront cesser de se battre et faire la paix entre elles.

    RépondreSupprimer
  4. Je viens de lire l'excellente retranscription du commentaire d'un internaute étatsunien : “J’espère que les Etats-Unis envahiront les Etats-Unis et gagneront les coeurs et les esprits (win the hearts and minds) de la population locale en construisant des routes, des ponts, des écoles et des hôpitaux”.

    Source : Les Crises / Zero Hedge


    Olivier

    RépondreSupprimer
  5. JE SUIS HEUREUX DE LIRE QUE VOUS RECOMMANDEZ " il convient de bien en retirer toutes les leçons pour éviter des redites sanglantes, comme en Libye ou en Irak.",il ny a pas si longtemps silence sur la syrie et aujourd'hui silence presque aussi prudent sur la crise Ukrainienne
    je suis gaulliste depuis 1962,, je n'ai plus 20 ans ,j'ai étudié c'est le mot employé a l'époque pour expliquer que l'on apprenait;
    aujourd'hui les mensonges ,les manipulations n'honorent pas l'Occident,et prennent leurs peuples pour des ignares . VOTRE POSITION sur ALSTOM ME SATISFAIT m'a rassuré.pour le moment. Je suis assez étonné , non étant donné le climat de dégradation et d'abandon de notre souveraineté par un gouvernement qui se range dérriére les U;S.A et ISRAEL L'exemple d' Alstom et la position sans courage de la France sur la situation en Ukraine est un signe d'abandon et de décadence à cela s'ajoute le Traité transatlantique qui nous met dans un piége que l'on fait semblant de ne pas voir .L A FRANCE SE CHERCHE UN HOMME d 'ETAT. NDA FONCEZ!!! je vous communique mon blog je publie des articles de géo politique et géo stratégie de différentes sources.
    http://ombre43.over-blog.com

    RépondreSupprimer
  6. Mercredi 25 juin 2014 :

    L'EIIL et al-Qaida fusionnent dans la principale localité à la frontière syro-irakienne (ONG).

    Les deux frères ennemis, l'État islamique d'Irak et du Levant (EIIL) et le Front al-Nosra, la branche syrienne d'al-Qaida, ont décidé de fusionner à Bou Kamal, la principale localité frontalière entre la Syrie et l'Irak, a indiqué aujourd'hui une ONG.

    L'acte d'allégeance du Front al-Nosra à l'EIIL permet à ce dernier d'être désormais des deux côtés de la frontière puisqu'il contrôle déjà la localité frontalière d'Al-Qaïm en Irak, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).

    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/06/25/97001-20140625FILWWW00094-l-eiil-et-al-qaida-fusionnent-dans-la-principale-localite-a-la-frontiere-syro-irakienne-ong.php

    L'EIIL et al-Qaida commencent à fusionner ? 

    Ouh la la …

    Faire le plein.

    Je vais aller faire le plein de ma bagnole, vite, très vite.

    Je sens que le prix du pétrole va bientôt exploser.

    RépondreSupprimer
  7. rares sont ceux qui reconnaissent leurs erreurs ! bravo .

    RépondreSupprimer
  8. Quand le régime en place est une dictature on s'imagine que l'opposition est forcément démocrate alors qu'il n'y a pas de lien automatique entre les deux. On avait déjà fait la même erreur avec le Schah d'Iran et l'ayatollah Khomeiny.

    Erreur pas toujours excusable, notamment quand toute opposition démocrate a déjà été liquidée. La liquidation presque complète des forces progressistes par la police du Schah a laissé les islamistes seuls en lice pour ramasser le pouvoir à la chute du régime.

    Il a failli arriver la même chose en Algérie quand les généraux du FLN se sont aperçus que le FIS auquel ils avaient octroyé de facto le statut de seule opposition officiellement tolérée, pendant qu'ils éliminaient les forces progressistes, laïques et féministes, était en passe d'accéder vraiment au pouvoir.

    Ils ont récolté ce qu'ils avaient mérité en imposant notamment le sinistre code de la famille réclamé par les islamistes, envoyant un signal très clair au peuple algérien : les seules revendications d'opposition qui seront prises en considération sont celles qui sont portées par les forces obscurantistes. Toutes les autres seront sauvagement réprimées.

    Toute proportion gardée on peut penser que l'intégration dans notre droit positif d'une grande part de l'agenda fasciste (qu'on songe aux lois Peyrefitte, Pasqua, Sarkozy...) n'est pas totalement étrangère aux succès électoraux du FN.

    Dans le cas de Kaddhafi, Saddam Hussein et El-Assad on peut soupçonner que les USA les ont laissé tomber parce qu'ils n'avaient plus besoin d'eux, vu qu'en éliminant toute opposition communiste notable, ils avaient accompli leur mission.

    Comme le Schah d'Iran.

    Ivan

    RépondreSupprimer
  9. @ J Halpern

    Merci pour votre complément.

    @ Patrice

    Merci. Sur la Libye, j’étais très hésitant. J’avais dans un premier temps publié un papier qui pesait le pour et le contre. Mais j’avais été convaincu par les prises de position de Villepin, NDA et Védrine il me semble. Ils me semblaient suffisamment hermétiques à un certain discours et suffisamment experts pour être crus.

    @ Anonyme

    Bien d’accord sur la position de la France

    @ Olivier

    Très bon.

    @ Bernard

    Je ne me suis pas tu sur la Syrie (cf lien qui montre que je m’étais opposé à une intervention) ou sur l’Ukraine (vous pouvez utiliser le nuage de mots clés pour retrouver les papiers sur ce sujet).

    @ BA

    Merci pour l’information

    @ Ivan

    En effet, le totalitarisme nourrit le totalitarisme…

    RépondreSupprimer
  10. L'utilisation d'armes lourdes par l'armée de Kadhafi fut la raison invoquée de l'intervention en Lybie...
    Depuis des semaines de l'artillerie lourde est employée contre les villes sécessionnistes de l'Ukraine avec leur cortège de victimes civiles dans l’indifférence de la caste médiatique occidentale.
    Au lieu de le condamner l'U.E à donné son plein soutien à Porochenko qui ne propose rien d'autre que la destruction à une révolte qui n'est pas plus illegitime que celle de Maidan.

    RépondreSupprimer
  11. " A quoi bon intervenir pour sauver des vies et aider les démocrates ... ?". Ce n'est pas le but de ceux qui interviennent. Ceux-ci ne font que défendre leurs propres intérêts stratégiques, commerciaux ... Le reste n'est que de la littérature.

    Autre sujet d'actualité : Descartes vient de faire paraître sur son blog un article très intéressant sur la grève des cheminots, qui "ont perdu" et sur celle des intermittents, qui "vont gagner". Lucide et convaincant.

    RépondreSupprimer