mardi 24 juin 2014

Réforme de la carte territoriale : et si on cherchait à répondre aux vrais enjeux de la décentralisation ? 1/4 (billet invité)


Billet invité de Vincent M

L’impossible découpage territorial

Le redécoupage de Hollande : pas si idiot que ça…

Ca va devenir une habitude, quel que soit le sujet : Haro sur François Hollande. En ce moment, c'est à cause de la réforme territoriale. D'aucuns disent qu'il chamboule tout. D'autres qui ne fait que fusionner des régions entre elles, sans chercher à obtenir des ensembles cohérents, comme l’avait fait par le passé le comité Balladur....

Outre que ces critiques sont incohérentes,  que n'aurait on dit de lui s'il avait entièrement redécoupé les régions, en faisant fi du découpage qui existe aujourd'hui ? On l'aurait accusé de magouilles politiciennes, d'effacer d'un coup de crayon des décennies d'histoire de ces régions,  de ne faire que ressortir de ses cartons les vieux plans du Comité Balladur, datant d’il y a 15 ans… Somme toute, politiquement, son initiative semble être un moindre mal.

Maintenant que le découpage est proposé, va se poser la question, bien plus difficile encore, du choix des futures capitales de région. En effet, pour les français qui habitent les principales villes, et particulièrement les élus, appartenir à une région ou à une autre... est nettement secondaire par rapport au fait que sa ville sera –ou non- une capitale régionale (au détriment de la rivale voisine…)
Cette question du choix des capitales régionales risque d’occasionner tellement de duels sanglants qu’il était sage, pour François Hollande, d’essayer de déminer cette question dès le choix du découpage des régions.

Et tout laisse penser que c’est bien ces considérations qui ont prévalu, puisque l’essentiel des découpages tombe relativement bien :
-        en ne mettant pas la Loire Atlantique en Bretagne, on évite le duel Nantes / Rennes,
-        en fusionnant les régions Centre, Poitou-Charente, et Limousin, cela permet de supprimer les 3 capitales régionales en les remplaçant par Tours, à la fois centrale et plus dynamique... 0 partout, balle au centre, en quelque sorte,
-        Entre la Bourgogne et la Franche Comté, la place prédominante de Dijon devrait être acceptée,
-        Idem pour l'Alsace et la Lorraine avec Strasbourg, ou pour Auvergne et Rhône-Alpes avec Lyon.
Les seules fusions un peu problématiques dont celles des deux Normandies (qui pourront bien s’arranger entre elles, puisqu’aucune des deux n’aurait accepté un autre regroupement) et celle de la Picardie avec la Champagne; voire celles de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, bien qu'on imagine que Toulouse devrait l'emporter.
Vu sous cet aune, le découpage de François Hollande est même assez intelligent.
Mais les opposants à ce découpage ont beau jeu de critiquer…

… Mais un découpage très mauvais quand même !

En effet, à quoi cela rime-t-il d'avoir dans une même région un morceau bu bassin d’emploi d’Alençon, en Normandie, Dreux ou Chartres, économiquement dans la région Parisienne, la Charente, qui regarde surtout vers Bordeaux, et Brive-la-Gaillarde, dans le Sud du Massif Central ? Alors même que le bassin d’emploi de Brive-la-Gaillarde se trouve partiellement associé avec les basques, les bordelais, ou les habitants de la Lozère, sur les bords de la Dordogne… Quand, de l’autre côté de la Dordogne, leurs voisins du Cantal, seraient mis avec les savoyards et frontaliers de Genève…

A quoi cela rime-t-il d'avoir dans une même région Beauvais, à égale distance de de Rouen et de Paris, vers laquelle est tournée son économie, et le plateau de Langres, à 1/2h au Nord de Dijon ?
A quoi cela rime-t-il que Tarbes, aux pieds des Pyrénées, et à mi-chemin entre Toulouse et l'Atlantique, se retrouve dans la même région qu’un morceau du bassin d’emploi d’Avignon ?
Ces aberrations –et on pourrait en lister des pages- sont des conséquences du refus de découper les régions existantes, et de procéder à un simple regroupement de certaines d’entre elles.

Si feu le projet de la commission Balladur permettait d'éviter de telles aberrations, il en comportait également, et aurait difficilement pu les éviter : aucun découpage en grandes régions ne peut avoir réellement de sens à la fois géographique et économique, ni même économique tout court. J’invite ceux qui en douteraient à réaliser leur propre découpage, et à constater l’impossibilité d’un résultat satisfaisant d’un double point de vue géographique (ou culturel) et économique.

Comment obtenir des régions puissantes, comme les länder allemands ?

Comme dans bien des domaines, nos élites politiques semblent obnubilées par le besoin de faire « comme l’Allemagne ». Que ce soit la question de laréforme du marché du travail, de la compétitivité malgré un euro fort… on entend : « si l'Allemagne y arrive, pourquoi pas nous ? »
Les länder allemands auraient une taille et une puissance économique qui permet à l’Allemagne de leur laisser de l’autonomie, et d’être un état fédéral… Il faudrait donc faire pareil ! Et découper la France en régions importantes, qui puissent « compter » autant que les Länder Allemands.

Raisonner comme cela, c’est déjà oublier que les länder allemands ne sont pas tous gros et puissants. Quoi de commun entre le land de Brème (660 000 ha) et celui de Rhénanie-du-Nord-Westphalie  (17,6 millions d’habitants), soit plus qu’un rapport de 1 à 26 entre la population de ces deux länder ! D’un point de vue géographique également, il y a un rapport de 1 à 175 entre la superficie du land le plus grand et celle du plus petit ! La moitié des Länder allemands ont moins de population que l’actuelle région Midi-Pyrénées, en France, que l’on veut pourtant regrouper avec sa voisine, presque de la même taille, pour qu’elle puisse « peser plus ». Pourtant, les länder allemands n’ont pas l’air de trop mal vivre leur petite taille… Ni le land de Brême, ni la Sarre, ne souhaitent s’associer à un voisin pour être plus puissant, pour peser plus… Ce n’est donc sans doute pas la taille qui compte.

Depuis que l’Allemagne sous sa forme actuelle existe (1949), les élites allemandes ont remarqué cette énorme inégalité  de taille des régions, et s’en sont émues. En 1949, lors de la création de la RFA, les régions historiques, telles qu’elles existaient, en mentionnant le principe qu’elles avaient vocation à se regrouper. Depuis, à part une exception en 1952, rien n’a été fait… sauf changer le texte pour que ce regroupement devienne optionnel… N’est-ce pas étonnant de la part de l’Allemagne, qui serait, elle, capable de se réformer, de se moderniser ? Pourquoi, par exemple, personne ne songerait à prendre, par exemple, un morceau de la Bavière, trop grosse, pour le donner à un voisin ?

Tout simplement parce que ce n'est même pas concevable : La Bavière est la Bavière ; son existence, et ses frontières, comme celles des autres Länder, sont bien plus anciennes que la création de l'Allemagne elle-même (1871), sans parler des frontières de l'Allemagne (1945, puis 1992).
Les régions allemandes sont des régions historiques, qui ne sont homogènes ni en taille, ni en population, ni en puissance économiques. Si elles sont fortes, c’est avant tout parce qu’elles représentent réellement quelque chose, qu’elles sont légitimes pour se gouverner elles-mêmes, et que personne ne songerait à vouloir décider à leur place de leur politique… Et à forcerie, personne ne songerait à décider à leur place de leurs frontières !

Car c’est bien là qu’est le paradoxe et l’aberration fondamentale de tous les projets de découpages régionaux : on cherche à imposer, de Paris, un découpage en régions en expliquant, en parallèle, que les exécutifs régionaux ont toute légitimité pour conduire la politique régionale… Bien qu’ils n’aient même pas la légitimité pour contribuer au sein du débat sur les limites de leurs régions !
Bref, le seul moyen de vouloir faire des länder « à l’allemande » serait de revenir à un découpage historique, de régions ayant un sens culturel, à défaut de rechercher des équilibres en termes de population ou de superficie…

Et pourquoi pas un retour aux provinces historiques ?

Si on tentait de revenir aux provinces historiques, de 1789,  cela aurait une vraie signification, si ce n'est économique, du moins historique.


Concrètement, comme on le voit sur ce découpage, loin de passer de 22 régions à 12 ou 15, on passerait plutôt à presque une quarantaine, extrêmement inégales en taille…
Le bassin d’emploi de Lyon se retrouverait éclaté entre les régions « Lyonnais », « Dauphiné », « Bourgogne », voire même « Languedoc », avec une capitale régionale à Toulouse !

L'Artois, qui ne regroupe qu'une partie du Pas de Calais, sans accès à la mer, le Nivernais (la Nièvre d'aujourd'hui), la Marche (en gros la Creuse d'aujourd'hui); ou l'Aunis (La Rochelle et sa banlieue), si elles auraient la joie de retrouver des frontières historiques et leur autonomie, auraient sans doute du mal à peser à l'échelle européenne... sans parler des difficultés économiques de ces régions sinistrées (au moins pour les 3 premières) si elles devaient se passer de la solidarité nationale !

Car là est le second point de comparaison avec l’Allemagne, qui fait que les situations ne sont pas comparables : la géographie allemande est bien plus homogène que la géographie française, qu’il s’agisse de la géographie humaine, avec des cultures plus proches, ou de la géographie physique. Si les länder allemands fonctionnent bien, c’est aussi largement parce qu’ils ont, chacun, un dynamisme économique qui leur permet un minimum d’autonomie. Des fonds de péréquation existent, pour limiter les disparités régionales, mais ils sont sans commune mesure avec ce qui serait nécessaire en France dans l’hypothèse d’une vraie autonomie financière des régions, quelles qu’elles soient.

Une autonomie financière conduirait à obtenir une région richissime : la région parisienne, d’autres régions qui s’en sortent bien grâce à la présence d’une ou deux grandes métropoles (Lyon, Toulouse, Nantes, Bordeaux, etc.), et le reste, notamment une grande zone qui va du massif centrale aux Ardennes, qui deviendrait un « désert français », bien plus encore qu’il ne l’est aujourd’hui.
Enfin, le dernier argument qui s’oppose au retour aux frontières historiques, et sans doute le principal, est qu’elles ne signifient rien aujourd’hui, dans presque tous les cas. Deux siècles d’un découpage par départements ont eu tendance à rattacher chaque français à sa préfecture, ou aux autres grandes villes voisines (préfectures ou sous-préfectures), bien davantage qu’à toute ancienne appartenance à une province royale…

Un habitant de l'Ardèche se sentira plus concerné par les actualités de Lyon que par celles de Toulouse ou de Montpellier, qui sont pourtant les principales villes de sa province historique...

La France ne sera pas länderisée…

Si on demande à un habitant du centre d’où il vient, il pourra dire, selon le cas, qu’il est « de Tourraine », « du Berry », etc. Il ne se dira jamais « centrien ». Pas plus qu’un landais ou un béarnais ne se diront « aquitains ».

Ce constat résume à lui seul la grosse différence entre la France et l’Allemagne. Cela semble naturel à tout allemand d’identifier son origine géographique à un « land ». Ce n’est pas le cas en France.
Selon les cas, on pourra se définir par rapport à d’anciennes provinces royales (comme la Tourraine ou le Berry), par rapport à la géographie (Landes, Cévennes…), par rapport à la proximité d’une ville (« région lyonnaise », « région nantaise », « région toulousaine »…),  et sans doute le plus souvent par rapport au département d’origine.

Les seuls cas où des habitants se définiront par rapport à leur région administrative sont les régions qui ont repris le nom d’une ancienne province : Bretagne, Corse, Alsace, Normandie, Lorraine, Auvergne, ou Limousin. En encore, ne se définiront comme tels généralement que ceux qui sont de l’ancienne province royale de ce nom (un habitant de Moulins se définira sans doute plus comme venant de l’Allier que comme venant d’Auvergne…)

C’est bien là qu’il faut chercher la cause de l’échec du projet de "Länderisation" de la France. Pour se convaincre de l’absurdité du nouveau découpage –mais cela aurait été pareil pour tout autre découpage- il suffit de regarder la carte en se demandant : quel sera le nom de cette future région ? Excepté le cas de la Normandie, on est bien obligés de reconnaitre qu’aucun nom ne vient. Tout simplement parce qu’aucun nom n’existe. Et cela tout simplement car la région n’existe pas…
Plutôt que de persister dans l’erreur, en faisant des régions plus grosses, il serait sans doute sage, d’une part, de tirer un bilan honnête des étapes passées de la décentralisation, et de réfléchir réellement à la question de la finalité du découpage, plutôt que de découper, et de se poser ensuite la question des compétences à transférer, sans qu’il n’y ait forcément de cohérence…

7 commentaires:

  1. bof...Si c'est pour revenir aux Provinces d'antan, donc avant la création des départements, ce sera sans moi! Il faut à tout prix arrêter avec les régions, et revenir à la France d'avant 1982: Etat-Département-Cantons-Communes.

    CVT

    RépondreSupprimer
  2. L'important n'est pas de trouver une taille optimale pour toutes les regions. Ca pouvait se faire avec les départements car ils sont assez petits.
    Le "cost killing" comme disent les anglo saxons, serait la pire des raisons pour ce redécoupage.

    Ceux qui veulent prendre en exemple les Landers devraient constater que leur découpage est très inégal avec un ou deux qui ne comportent qu'une agglomération.
    De toutes façons la prospérité économique ne sera obtenue qu'avec une politique nationale.

    La carte des provinces historiques ne me semble pas aussi dépassée que ça.
    Même si je n'appelle pas à la reproduire exactement ca peut être une bonne base de réflexion pour remplacer à la fois les départements et les régions. Si on veut suivre les bassins de population, il ne faut pas avoir peur d'avoir un découpage non harmonieux, les cartes ne sont pas faites pour être esthétiques...
    Pour les grosses provinces elles pourront toujours créer des sous préfectures.

    RépondreSupprimer
  3. Sans doute le meilleur papier que j'ai lu sur le sujet.
    Merci Vincent, on en redemande !

    Talisker.

    RépondreSupprimer
  4. Singer l'Allemagne et ses 17 landers est le signe de la névrose allemande de nos élites que détectait Emmanuel Todd. La France est un pays bien plus étendu que l'Allemagne et a une culture politique, économique, sociale et culturelle tellement différente. Cette réforme, ce redécoupage territorial est une monstruosité bureaucratique et technocratique et je souhaite que l'UMP y fasse échec. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas lieu à une réforme territoriale: la région est déjà et souvent artificielle, seules quelques retouches suffisent comme la fusion des 2 Normandies; les départements trop nombreux mais ont un ancrage politique, historique et sont un gage de proximité entre le peuple et les élus; les villes au nombre de plus de 36 000 beaucoup trop nombreuses et il est nécessaire d'accentuer le regroupement et la fusion dont les communautés de communes et autres appellations intermédiaires sont une étape.

    RépondreSupprimer
  5. Gilbert Perrin
    À l’instant ·

    Elle est belle, belle comme le JOUR !!!! G.P.


    Statut de la fonction publique : Les chiffres qui font peur

    Cher Contribuable,

    « La France est un pays fertile : on y plante des fonctionnaires, il y pousse des impôts. » Clémenceau a tout résumé il y a plus d’un siècle avec une clarté stupéfiante…

    La République s’est fait un devoir de planter des fonctionnaires partout, à tous les niveaux, dans tous les endroits, sans plus savoir pourquoi !

    Résultat
    La France = 7 millions de fonctionnaires
    En 2014, un employé sur quatre est en réalité payé par l’Etat.

    ponction publique
    Ainsi, la fonction publique au sens strict compte près de 4,8 millions de fonctionnaires ! Il y en a 2,4 pour la fonction publique d’Etat, 1,5 pour la fonction publique territoriale et plus de 900.000 pour la fonction publique hospitalière.


    Mais ce n’est pas tout. 2 millions sont assimilés fonctionnaires et profitent du statut ! On en compte plus de 900.000 dans les entreprises et établissements publics, 144.000 dans l’enseignement privé sous contrat, 220.000 dans les chambres consulaires, 400.000 dans les associations subventionnées, 330.000 dans les emplois aidés…

    Ces chiffres donnent le vertige et sont catastrophiques, surtout si on les compare avec des pays voisins ou similaires. La France compte 11 fonctionnaires pour 100 habitants, les Etats-Unis 8, l’Allemagne 6, l’Italie et l’Espagne 4 et pourtant, le service au public est assuré.

    C’est évident : la France a trop de fonctionnaires, d’autant plus que plusieurs millions de ces employés sont déclarés « fonctionnaires » alors qu’ils ne travaillent pas directement pour l’Etat. Le statut des fonctionnaires est à revoir d’urgence pour alléger les dépenses publiques et le poids des impôts qui pèsent sur nous.

    Car ce sont les contribuables qui paient les fonctionnaires, pas l’Etat. Ne vous laissez pas bercer par les paroles lénifiantes du gouvernement lorsqu’il dit que c’est l’argent public qui rémunère les fonctionnaires, car l’argent public sort directement de votre poche.

    « L’argent public n’existe pas, il n’y a que l’argent des contribuables », clamait Margaret Thatcher. Cela veut dire que les 7 millions de fonctionnaires sont rémunérés avec votre argent : voilà la vérité !

    La semaine prochaine, nous vous parlerons du coût réel des fonctionnaires supporté par l’Etat Français, alors continuez de nous lire !

    Consultez les archives sur le statut de la fonction publique sur www.contribuables.org.
    Contribuables Associés
    Contribuables Associés
    contribuables.org

    RépondreSupprimer
  6. À l' auteur

    "idem entre l'Alsace et la Lorraine avec Strasbourg"

    C'est bien péremptoire!

    Je ne sais pas si le reste est plus sérieux mais je n'ai pas voulu aller plus loin.

    RépondreSupprimer
  7. La carte proposée n'est pas idiote loin de là, ce qui est par contre discutable c'est de ne pas avoir fait la réforme sur les compétence dans un premier temps et après avoir stabilisé la nouvelle structure administrative et politique de redessiné la carte régionale. Commencer par la carte avec un calendrier trop serré c'est prendre le risque de l'échec.

    RépondreSupprimer