dimanche 13 juillet 2014

Quinquennat et déliquescence de la Ve République (billet invité)


Billet invité de l’œil de Brutus.

M. Jean Massot publiait il y a peu une tribune sur le site du Monde pour défendre le système de mandat à 5 ans du président de la République (Le quinquennat n'a pas à être le bouc émissaire de la désaffection à l'égard du politique).


Il faut bien l’avouer : une bonne partie de ses arguments en eux-mêmes sont justes.
Ainsi, l’hyper-présidentialisation et la personnalisation du combat politique ne sont pas des tares spécifiques au quinquennat. La médiatisation et la « people-isation » du politique y sont bien plus pour quelque chose. De même, la bipolarisation politique de notre pays est bien antérieure à l’instauration du quinquennat.

La manière dont M. Massot récuse le lien entre quinquennat et obsession de l’élection suivante est par contre beaucoup plus discutable. La lecture du Verbatim de Jacques Attali sur le premier mandat de François Mitterrand[i] est on ne peut plus éclairante sur la question. Le premier président socialiste de la Ve République se moquait des élections législatives de 1986 comme de sa première chemise. Il est même probable que, avant tous les autres, le monstre politicien qu’il était avait perçu tout l’intérêt d’une cohabitation pour la réélection du président en place. Celui-ci, en effet, tout en se mettant au-dessus de la mêlée, s’en trouvait confronté à une adversaire miné par l’usure du pouvoir sans que ce phénomène ne le touche lui-même. A l’opposé, si Valéry Giscard d’Estaing avait perdu les législatives de 1978, il est fort probable qu’il aurait grappillé les quelques pourcents qui ont manqué à sa réélection sur son adversaire socialiste de 1981 qui, dans cette perspective, aurait été pour le coup, lui, confronté à l’usure du pouvoir. Il n’est en outre pas impossible qu’un autre monstre politicien de la Ve République ait fait un calcul du type « face je gagne tout de suite, pile ils perdent à moyen terme » en dissolvant l’Assemblée nationale en 1997 : dans la première hypothèse, notre « roi fainéant » se ménageait un septennat de tranquillité en s’appuyant sur un ou des premiers ministres qu’il pouvait désavouer à loisir, dans la seconde il mettait la « gauche » (si on peut encore l’appeler ainsi) aux responsabilités, face à ses irresponsabilités et ses incohérences. La 2e hypothèse s’est réalisée et a ainsi permis sa réélection. Il est d’ailleurs dans le registre du possible que, en dernière extrémité face à son impopularité extrême, François Hollande procède de même dans l’année qui vient (par exemple à l’issue des élections régionales de 2015). Il confierait ainsi les rênes du pouvoir à une droite divisée, minée par les affaires et peut-être même contrainte à une alliance avec le Front national pour qu’il puisse prétendre à être le représentant dit « républicain[ii] » au 2e tour des présidentielles de 2017 face à Marine Le Pen.

Au-delà des jeux politiciens, le septennat avait donc l’immense avantage de faire décoller le chef de l’exécutif du temps électoral et donc de l’engager sur le long terme et potentiellement dans les réformes supposées impopulaires. « Ce qui est salutaire à la nation ne va pas sans blâmes dans l’opinion, ni sans pertes dans l’élection » affirmait le général de Gaulle. Or, justement, avec le septennat qu’il avait si bien pensé, le président de la République pouvait s’attacher au salutaire de la nation sans craindre les pertes de l’élection suivante. Ce n’est aussi pas pour rien que la politique étrangère et la défense sont naturellement devenues des « domaines réservés » de l’hôte de l’Elysée : ce sont deux axes politiques qui s’apprécient sur le long terme, voire sur le très long terme. Or, force est de constater que depuis l’instauration du quinquennat, ces deux domaines sont beaucoup moins « réservés » qu’ils ne l’étaient, devenant ainsi des variables d’ajustement du court terme, ce que nous risquons fort de payer très cher un jour.

Par ailleurs, comme je le disais déjà précédemment[iii], en calquant, le temps présidentiel sur le temps parlementaire, le quinquennat empêche le Président de tenir son rôle d’arbitre national. Ce faisant, il s’enterre dans les basses préoccupations politiciennes du quotidien. Soumis à la même échéance électorale que les députés, il travaille à sa réélection et n’a plus cette approche à long terme. Il devient chef de parti, pour ne pas dire de clan, et perd donc son rôle d’arbitre. Englué dans les questions de politiques intérieures, il est moins audible sur les questions de politique internationale. Alors qu’avec le septennat, le Président se consacrait naturellement au temps long et le 1er Ministre au temps court, l’un et l’autre se marchent désormais dessus et personne ne projette la France dans l’avenir. En pratique, et contrairement à nombre de commentaires journalistiques, le quinquennat n’a pas transformé le Président en « hyper-président », mais plutôt un « hypo-président », sorte de 1er ministre bis, reléguant l’hôte de Matignon au rang de simple « collaborateur », pour reprendre une certaine expression désormais bien connue.

C’est ainsi qu’abâtardie, notre République n’a plus grand-chose de présidentielle puisqu’elle confie l’essentiel des pouvoirs à un chef de clan, ce clan étant, par la force de l’organisation quasi-conjointe des élections présidentielles et législatives (et peu importe l’ordre dans lequel ces deux élections se déroulent), celui qui est le mieux représenté au Palais Bourbon.

Certes, il ne s’agit pas de faire du quinquennat un bouc émissaire facile car le fond de notre dégénérescence institutionnelle réside ailleurs : la professionnalisation progressive de la politique depuis les années 1980 a accouché d’un régime présidentialo-parlementaire – ou plutôt « clano-parlementaire » - dans lequel le chef du parti majoritaire à l’Assemblée est aussi chef du gouvernement et de l’Etat. C’est plus de l’hyper-parlementarisme que du présidentialisme ! Tout juste, par rapport aux régimes antérieurs des 3e et 4e Républiques, consent-on à ce que le chef de clan ne soit pas renversé par une nouvelle majorité tous les quatre matins. La stabilité dans la médiocrité. Le mal est donc bien là : professionnalisation de la politique. Son origine est profonde.  D’une part, il est propre à toute évolution « naturelle » de tout régime politique qui tend, progressivement et dans le temps, à favoriser l’accaparement du pouvoir par un groupe de plus en plus restreint. Mais d’autre part, il a aussi connu une fantastique impulsion depuis l’arrivée au pouvoir du PS en 1981. Lorsque François Mitterrand s’empare de l’Elysée en 1981, les nouveaux impétrants du pouvoir ne cachent leur méfiance à l’égard d’une haute fonction publique qu’ils supposent idéologisée par plusieurs décennies de pouvoir concentré dans les mains de la droite. Pour contrebalancer ces hauts fonctionnaires, la gauche va alors confier de plus en plus de prérogatives aux cabinets ministériels qui, d’autrefois simples gestionnaires de l’emploi du temps du ministre, vont devenir de véritables organes politiques chargés à la fois de mettre au pas les fonctionnaires et de surveiller les agissements du ministre pour ne pas qu’il s’écarte de la ligne fixée par le sommet de l’exécutif ou … les membres non élus de l’oligarchie[iv]. C’est alors à un véritable démantèlement de la haute fonction publique que l’on assiste[v]. Le mouvement se poursuit au niveau local avec les différentes étapes de la décentralisation. Celle-ci accorde à l’élu qui veut se muer en potentat local des pouvoirs non négligeables, à commencer par celui de recruter librement leurs propres collaborateurs[vi]. Communes, communauté de communes, conseils départementaux et régionaux, ministères : tous ont ainsi leurs propres cabinets dont les membres sont contractuellement recrutés et ont quasiment droit de vie et de mort sur l’administration qui dans les faits s’en trouve placée sous leur tutelle. C’est là une formidable usine à clientélisme et népotisme qui s’est instituée. Une fois revenue au pouvoir en 1986, puis ultérieurement, la droite n’y a bien sûr rien trouvé à redire, bien au contraire … Et qui retrouve-t-on dans cet univers de « prébendes et petits plaçous » que forme les cabinets ? Les élus de demain. C’est là que trouve sa naissance la véritable professionnalisation de la politique et la dégénérescence de notre République. Un simple coup d’œil sur les fiches Wikipédia des ministres du gouvernement actuel comme des précédents suffit à le confirmer : ils ont tous, ou presque, commencé leur « carrière » politique dans ces cabinets (au passage sans jamais avoir réellement travaillé[vii]) plus ou moins obscures avant d’un gravir les échelons en tissant leurs réseaux.  C’est contre cela qu’il faut agir. Le quinquennat n’est certes pas le « bouc émissaire » mais il contribue amplement à cette clientélisation professionnelle de la politique. Et pour sortir de cette ornière, les leviers ne manquent pas : interdiction du cumul des mandats, limitation du nombre de mandats consécutifs, diminution drastique du nombre de poste d’élus (notamment par une vaste réforme territoriale et non le grand-guignolisme institutionnel actuellement proposé), limitation du rôle des cabinets, mise en place d’âge plancher (par exemple 35 ans) et plafond (par exemple 67 ans) pour accéder à une fonction élective rémunérée, etc.[viii]


[i] Jacques Attali, Verbatim, Fayard 1993.
[ii] Mais à y regarder le comportement oligarchique, la soumission éhontée à la finance et l’imposition au peuple français de traités dont il ne veut pas, le PS – comme l’UMP – ne sont finalement guère plus républicains que le FN, celui-ci conservant par ailleurs, comme le soulignent très bien Laurent Pinsolle et Natacha Polony, toutes les caractéristiques du démagogisme extrémiste.
[iv] On relèvera ainsi l’omniprésence des représentants du monde de la finance dans les cabinets ministériels. Cf. notamment Le PS et ses « ennemis » de la finance.
[v] Lire sous la direction de Laurent Bonelli et Willy Pelletier, L’Etat démantelé, La Découverte 2010.
[vi] Ces travers sont magistralement décrits par Zoé Shépard dans Absolument débordée, ou le paradoxe du fonctionnaire, Points 2011.
[vii] On remarquera que le reproche récurrent qui est fait à la surreprésentation de fonctionnaires à l’Assemblée nationale et au Sénat ne va pas jusqu’au bout de la logique : si effectivement nombre d’élus bénéficie du statut de fonctionnaires, une analyse un peu plus poussée des CV des élus démontre qu’ils n’ont bien souvent jamais, ou presque, exercé réellement dans la fonction publique. En prenant l’exemple du premier d’entre eux, notre président de la République, on pourra constater que sorti de l’ENA en 1980 – donc à ce titre « fonctionnaire » - François Hollande était dès 1981 « chargé de mission » auprès de François Mitterrand à l’Elysée …
[viii] Lire également L’œil de Brutus, Propositions citoyennes pour la France, 01/02/2012.

7 commentaires:

  1. Et pour sortir de cette ornière, les leviers ne manquent pas :....
    Bien d'accord avec vous . Qui et comment pour actionner sérieusement ces leviers? le contexte se prête-t-il à une Constituante ? Composée comment ?Avec quels fondamentaux d'un renouvellement effectif de la démocratie ,pas seulement "la représentative" mais aussi la... sociale, sanitaire, environnementale...
    Félicitations et bon courage

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  2. Il n'est jamais inutile de rappeler que ce sont aussi les présumés héritiers du Général ( Chirac et tout le RPR ) qui, par le quinquennat, ont détruit une souplesse d'interprétation de la constitution de la Vè à la fois parlementaire et présidentielle. Un mandat présidentiel de 7 ans et une législature de 5 ans permettait au président d'être autre chose que le simple chef de la majorité parlementaire ce que pouvait être le premier ministre. Les 2 fonctions ont été rabaissées et nous sommes de plus en plus dans le règne du court-termisme puisqu'il est déjà largement question de la présidentielle de 2017. Un président aussi dévalué qu' Hollande pourra-t-il tenir jusque-là d'autant plus si sa majorité prend une troisième raclée électorale lors des régionales de 2015 ? Une dissolution suivie d'une cohabitation peut seule lui sauver la mise, en lui évitant une élimination dès le 1er tour. L'instillation d'une dose de proportionnalité, comme en 1986 et supprimée à tort par la droite, peut aussi lui éviter un scénario catastrophe.
    Nous sommes bien loin de la monarchie élective instaurée par la Général De Gaulle! Le discrédit de la classe dirigeante pourrait entrainer une crise de régime notamment dans le cas où la gauche incapable de s'en prendre à la politique de Valls-Hollande s'en prendrait avec efficacité au régime pour instaurer une VIè République. C'est un travers bien français que de penser qu'il suffit de changer de constitution pour résoudre nos problèmes. Cependant Il est plus probable qu'elle sera éliminée du jeu politique pendant une à deux décennie comme entre 1958 et 1981!
    Nous sommes bien loin de la monarchie élective et plus proche du temps que De Gaulle prophétisait en disant qu' après lui tout sera détruit et donc à reconstruire. La vanité de De Gaulle, de se croire indispensable, l'a conduit à se représenter en 1965 et donc à être prisonnier de la droite conservatrice Pompidou, Giscard ( mode de scrutin oblige ) puis à être rejeté 3 ans plus tard par les Français en 1968 "dix ans, ça suffit"! S'il avait été jusqu'au bout de la logique monarchique des institutions qu'il avait mis en place il aurait contribué à faire du Comte de Paris son successeur nous aurions une monarchie constitutionnelle, démocratique et parlementaire un peu comme l'Espagne actuelle et nous ne nous en porterions pas plus mal politiquement parlant. Il avait une légitimité politique forte pour le faire! Un peu plus d'audace lui aurait bien convenu!

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  3. Le levier le plus puissant est le choix des candidats. Il ne faut plus qu’ils soient choisis par des appareils politiques, qui n’existent que pour eux-mêmes et la promotion de leurs propres intérêts.

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  4. Les français ont voté plusieurs fois pour la cohabitation parce qu'elle leur donne un ersatz de séparation des pouvoirs.

    La plus grande faute politique de Jospin fut de trafiquer le calendrier électoral pour éviter tout risque de cohabitation, cette situation étant désignée comme un mal qu'il faut éviter à tout prix. Une fois perdues les présidentielles les socialistes n'avaient plus aucune légitimité à faire campagne pour les législatives puisque cela revenait à faire campagne pour la cohabitation juste après en avoir dit pis que pendre.

    J'observe que généralement ceux qui trafiquent le calendrier électoral récoltent ensuite dans les urnes la punition qu'ils méritent et j'attends avec impatience les prochains scrutins départementaux et régionaux sans cesse repoussés par les élus nationaux (et territoriaux, cumul des mandats oblige) en place.

    Pour en revenir au sujet je ne crois pas qu'on puisse dissocier la question de la durée du mandat présidentiel de celle de la cohabitation. Si on est pour le septennat il faut avoir le courage d'en tirer les conséquences et d'admettre que la cohabitation fait partie du fonctionnement normal des institutions de la Vème République. Et que si on ferme toute possibilité de cohabitation on ne peut plus prétendre sérieusement que notre constitution assure la séparation des pouvoirs.

    Ivan

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    1. Lionel Jospin en inversant le calendrier électoral mis à mal par la malencontreuse dissolution de 1997 par Chirac a bien respecté la logique institutionnelle de la Vè qui prévoit la prééminence du Président sur le Parlement.
      En tant que partisan du septennat je pense que la cohabitation est un scénario politique possible de la Vè qui d'ailleurs permet aussi une répartition des rôles entre président et premier ministre. C'est toute la souplesse de la Vè, un avantage!

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    2. Pour moi la séparation des pouvoirs est un leurre dès lors que le même parti politique occupe l’exécutif et le législatif.

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  5. Gilbert Perrin
    À l’instant ·

    découpage de la FRANCE ?
    Dans quel but ? Quels sont les critères de choix ? POURQUOI des régions à 4 départements et d'autres à 10 etc.....etc.....
    Une fois de plus la pauvre FRANCE est bien mal partie. Les français ne sont pas informés, ils ne le seront pasm ils ne sont pas consultés. UNE FOIS de PLUS, ils vont être mis devant le FAIT ACCOMPLI, d'un charcutage HONTEUX, se fichant de la population pour la seule défense des ELITES....
    ADMETTEZ que le peuple français est devenu minable !!! Un travail en profondeur de ce niveau doit se faire POUR le PEUPLE, AVEC le PEUPLE et, PAR LE PEUPLE, si on veut que ce soit une REFORME DEMOCRATIQUE ? ETRE sanctionne par REFERENDUM
    IL n'en sera rien ! ce charcutage se passe à PARIS par des fonctionnaires, sur le dos du peuple pour ne pas changer....
    LE PIRE, c'est que les ELUS n'en informent pas leur population MAIS, soyez en certains ils s'informent et se battent TOUS pour conserver LEURS : MANNE leur part du GATEAU
    INUTILE de DIRE que dans ces conditions nous ne devons surtout pas rever le GAIN annonce ne sera pas au rendez vous

    CITOYENS AGISSONS RECLAMONS NOTRE DROIT A INFORMATION

    CESSONS de nous comporter en MARIONNETTES

    Gilbert Perrin

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