vendredi 19 septembre 2014

La critique révélatrice du Monde contre la grève des pilotes d'Air France


Bien sûr, il sera difficile de faire pleurer sur le sort des pilotes d'Air France, mais le papier du Monde « La grèves des pilotes d'Air France ne se justifie pas », par son caractère sans nuance et même assez biaisé, en dit long sur l'état d'esprit qui règne dans ce quotidien et sur l'évolution récente du débat public.



Une présentation biaisée du débat

Pour le Monde, la messe est dite : les pilotes d'Air France voleraient 20 à 25% de moins que ceux de British Airways ou Lufthansa et leurs salaires seraient 40% plus élevés que ceux de Transavia, la filiale bas coûts d'Air France. Pour un peu, il appelerait à tailler dans le gras... Sauf que, contrairement à de nombreux papiers publiés dans la rubrique souvent intéressante des Décodeurs, la présentation des faits est un peu courte. Un papier du Nouvel Observateur, que l'on n'imagine pas spécialement favorable aux pilotes d'Air France, explique que le niveau des salaires n'est pas si éloigné et que l'écart sur la moyenne vient du fait que les pilotes d'Air France sont beaucoup plus expérimentés.

En outre, l'argumentation du Monde est assez limite : il n'est pas compliqué pour une compagnie de créer une petite filiale à bas coûts qui paie ses salariés moins pour dire ensuite aux autres qu'il faut baisser leur salaire ! Et même s'il est évident que les pilotes d'Air France gagnent plus que 98% de la population, on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une des professions qui mérite le plus une forte rémunération étant donné leurs responsabilités, la vie de leurs passagers, et que la formation pour devenir pilote est, heureusement, très dure et complète. Et, plus que le niveau absolu, il serait intéressant de mesurer l'évolution des salaires depuis 30 ans, qui n'a sans doute rien à voir avec ce qui s'est passé dans le monde de la finance ou du sport professionnel, qui ne me semblent pas mériter davantage que les pilotes...

Une course vers le moins disant qui ne peut être arrêtée ?

Le fait d'évoquer les pratiques des compagnies à bas coûts repose aussi sur un raisonnement dangereux. Certes, il est difficile de faire pleurer sur le sort de pilotes gagnant cent mille euros par an et qui pourraient travailler 10% de plus ou perdre 10% de son salaire. Mais, ce raisonnement, largement appliqué dans l'industrie et les services, est la cause des vagues massives de délocalisation des dernières décennies. Et à partir du moment où en Europe de l'Est, en Afrique du Nord ou en Asie, les salaires minimums sont à cent euros par mois, beaucoup d'emplois sont dans une situation pire que celle des pilotes d'Air France, à moins d'accepter une baisse de leur rémunération. Et cette course au moins disant n'est pas pour rien dans la langueur économique de notre pays en pesant sur la demande.

Enfin, tout en semblant dire le contraire, Le Monde semble faire un pas dans la remise en cause du droit de grêve en affirmant que si « nul ne cherche à mettre en cause le droit de grève, inscrit dans la Constitution, mais la cessation concertée du travail est une arme ultime qui ne doit être utilisée, surtout dans un service public, que lorsque toutes les pistes de dialogue ont été épuisées. En l’occurrence, cette grève pénalise les usagers et affaiblit une compagnie qui était sur le point de retrouver sa rentabilité ». Un raisonnement bizarre étant donné qu'Air France n'est pas un service public, qu'il est bien évident que toute grève pénalise les usagers et pèse sur les comptes d'une entreprise. En fait, en lisant ce paragraphe, on a plutôt l'impression que Le Monde semble ouvert à une remise en question du droit de grêve.

Bien sûr, il est juste que les pilotes fassent leur part dans l'effort que fait Air France, mais comment ne pas voir que la logique qui s'applique ici, même si elle ne serait pas très douloureuse pour les personnes visées, est la même qui vise une part grandissante de la population. Et parce que l'on peut trouver partout quelqu'un qui est moins payé pour le même travail, presque tout le monde est menacé par cette logique délétère, à part sans doute une toute petite minorité (encore que les pilotes pensaient sans doute en faire partie).

16 commentaires:

  1. Une histoire vraie..
    Laissez-moi vous raconter cette petite histoire, extraite d'un document interne du SNPL (Syndicat National des Pilotes de Ligne)

    VUELING AIRLINES - Espagne – début 2005
    Dans une salle d'un immeuble de Barcelone, une quarantaine de candidats venus de toute l'Europe, pilotes qualifiés d'Airbus 320 (donc endettés), ont répondu à une offre d'emploi de pilotes pour une nouvelle compagnie "low coast"
    Entre une jeune femme qui après un bref salut, se dirige vers un tableau pour y inscrire les conditions de travail: 5000 euros nets, cotisations sociales, assurance perte de licence, cotisations retraite, défraiements d'escale.
    " Que ceux qui acceptent ce contrat de travail lèvent la main" annonce la femme qui se retourne et constate que toutes les mains sont levées.
    Elle efface alors " assurance perte de licence" puis réitère sa question…
    Un pilote ne lève pas la main. "Vous pouvez sortir, merci d'être venu"
    Elle retire ensuite " cotisations retraite"
    Le processus se poursuit jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le salaire net sur le tableau, devant les yeux de la trentaine de candidats restants.
    Le salaire proposé diminue ensuite régulièrement, et finalement seuls treize pilotes restent en lice: ils sont embauchés sur A 320 pour 1800 euros nets par mois.evil

    ''Imaginez les conséquences sur la qualité de vie des pilotes, les pouvoirs d'achats, les caisses de retraites !…
    Ce qui s'applique à ces pilotes s'applique maintenant à de nombreuses professions. Et bientôt les médecins, les infirmières, les professeurs , VOUS …?

    Non, vraiment, cette Europe libérale est mortifère...

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    1. D'un autre coté nous faisons exactement la même chose en tant que consommateurs. Si on nous propose exactement le même produit à des prix différents, on choisira le moins cher.

      Cette histoire de pilotes ne me convainc pas vraiment. On est clairement dans une situation où il y a un grand nombre de candidats pour le même poste (à condition bien sûr que dans cette histoire ils aient tous les mêmes compétences). Il n'y a donc pas de raisons pour que le salaire reste très élevé. Le salaire très élevé est avant tout justifié par le caractère exceptionnel des compétences requises. Si elles deviennent très répandues, la justification disparait.


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    2. De l'application bete et mechante de la marchandisation de l'Homme. Ils pourraient au moins y mettre les formes. Par exemple proposer un salaire abusivement bas pour commencer, puis augmenter au fur et a mesure jusqu'a avoir tous les candidats.

      Je ne sais pas qui a inventé cette méthode, mais il y'a de quoi lui mettre un coup de boule. Il ne s'agit pas d'acheter des poireaux sur les marchés là.

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  2. Le pilotage des avions est de plus en plus automatisé, le pilote doit être là en cas d'incident et de conditions imprévues, mais pour la plus grande partie du temps, il ne s'agit pas d'un travail si stressant.

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    1. Je trouve cette remarque aussi fondée que courageuse (même pas de pseudo). J'allais justement faire une proposition innovante, c-à-d. que les passagers pilotent eux-mêmes leur avion, ce qui permettrait de faire baisser le prix du billet.
      J'ajoute, histoire de rafraîchir la mémoire des bobos pleins aux as, qui prennent l'avion plusieurs fois par an, qu'il existe des millions de Français, qui se contentent de les voir voler.

      Demos

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  3. Sauf que le "pilotage" comme vous dites, c'est un peu la récompense. Avant de prendre en main le manche, il s'est passé plusieurs heures entre l'arrivée du pilote à la compagnie et le moment du décollage.
    Il faut étudier minutieusement le vol prévu, repertorier les problèmes de toutes natures qui peuvent de poser depuis l'hotellerie aux zones de guerre à survoler, en passant par toute un tas de particularités annexes comme la météo, les points d'appui, les routes de temps minimum, le fret à embarquer et autres, et déterminer accessoirement l'emport de carburant, les masses de l'avion en tout point de la route, les niveaux d'accrochages, les trajectoires particulières en cas de panne moteur et 1001 choses de moindre importance qu'il ne faut pourtant pas négliger. On voit toujours l'image d'Epinal du galonné assis en place gauche et décontracté qui explique que tout se fait tout seul...
    Et bien, non!
    Il y a toute la partie cachée, les levers à 2 H du matin ou à 18H, Et il faut malgré tout "faire le boulot" et le boulot, pour n'avoir qu'un minimum d'imprévu en vol, il se fait avant et il commence souvent la veille du décollage. Alors, bien-sûr, on trouvera des pilotes qui le feront pour rien, voir moins que rien, quitte même dans certains cas à payer eux_mêmes leur vol (ne riez pas, ça se pratique) mais il faut se souvenir de l'adage américain:"If you give peanuts, you get monkeys"

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    1. Bien bien, mais tu ne réussiras pas à convaincre les imbéciles dont le seul credo est de saquer telle ou telle profession ou catégorie sociale et qui n'ont pas le début du commencement d'une idée sur ce qui se passe autour d'eux. Comme disait Boris Vian : "faut que ça saigne !."

      Demos

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  4. L'attitude de la société envers les pilotes d'avions est significative de sa capacité à rêver l'avenir et constitue un indicateur de son progressisme.

    Avant, les gosses rêvaient de devenir pilotes d'avion, de train, vétérinaires ou pharmaciens... Maintenant, on les fait rêver de finir DRH à la con ou manager à la noix.

    Cela seul suffit à montrer qu'en 25 ans, la société française a dégénéré vers le conservatisme néolibéral policier ; qu'elle est passée de la tête dans les étoile à une mentalité de cul.

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    1. Eh oui, je suis pharmacien, d'origine modeste, grosse tête, disons plutôt surdoué (le terme existe ...). Une vie infernale.
      Mon père, qui ne voulait pas écouter mes plaintes, me répondait toujours "Tu n'avais qu'à faire fonctionnaire ..." comme un de mes frères dont la nullité m'a toujours impressionné.

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  5. La méthode est assez honteuse. Cet article du Monde.fr semble anonyme. Le titre n'est pas digne de l'objectivité que l'on attends du journalisme, quelque soit sa pertinence il s'agit d'une prise de position. Il aurait fallu au moins une signature au lieu d'attaquer lâchement.

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    1. Un journal, ça peut servir à développer la culture ou à emballer le poisson. C'est selon.

      Demos

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  6. Ils démantèlent la protection sociale, privatisent les services publics et après ils s'étonnent que leur modèle social marche moins bien...

    Et même, que l'intégration tombe en panne !

    Tout cela était parfaitement prévisible. Il aurait suffi aux suédois de venir faire un petit tour en France pour se faire une bonne idée de ce qui les attendait. Et encore, le niveau de protection de la population en Suède n'est même pas encore tombé aussi bas que chez nous.

    Remarquez les politiciens et les médias français ne reculent devant aucune bassesse. Ils osent se prévaloir des conséquences calamiteuses des politiques néolibérales d'agression contre le modèle social suédois pour le condamner.

    Ivan

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  7. Archive mars 2012 – Quand Sarkozy jurait de quitter la politique.

    En mars 2012, interrogé par Jean-Jacques Bourdin afin de savoir s'il allait quitter la politique en cas de défaite à l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait été clair :

    « Si vous perdez cette élection présidentielle, est-ce que vous arrêtez la politique ?

    - Oui.

    - Vous arrêterez la politique ? Si vous perdez le 6 mai, le 7 mai vous abandonnez la politique ?

    - Vous pouvez me poser la question une troisième fois, je vous le dis : oui. Bé oui. Je ferai autre chose. Quoi ? Je ne sais pas. »

    http://video.lefigaro.fr/figaro/video/archive-2012-quand-sarkozy-jurait-de-quitter-la-politique/3794754186001/

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  8. @ A-J Holbecq & Cliquet

    Merci pour ces rappels

    @ Toutatis

    Oui, mais c’est l’effet vicieux bien décrit par Généreux : en poussant le pouvoir d’achat à la baisse, le néolibéralisme pousse à la consommation d’importations à bas prix, ce qui accentue la pression sur le pouvoir d’achat… Le niveau de formation, de sélection et de responsabilités me semble justifier un bon salaire.

    @ TeoNeo

    Bien d’accord. Il y a vraiment à boire et à manger

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  9. Je me demande si un drone aurai eu le reflexe du pilote face à une bourrasque de vent imprévu :
    http://www.youtube.com/watch?v=65E3DuxcVis

    Sinon ,en visite en France ,je constate que les français tombent facilement dans le panneau tendu par les médias et essaye de de cryptés l' actualité.

    Le retour de Sarkozy ,offrir la parole à Nadine Morano ,etc ....pourquoi les médias continu à interroger des bras cassés complètement décrédibilisés ?

    Alors que Karl-Theodor zu Guttenberg , l' étoile montante du CDU , a du quitter son poste de ministre de la Defense car certaines partie de son doctorat auraient été copiés....depuis on le voit plus ...définitivement grillés.......

    En France , les politiciens pleins de casseroles continue de nous polluer

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Karl-Theodor_zu_Guttenberg

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  10. Dommage que sur les chaines de "desinformation continue" ils n'aient pas jugé bon d'inviter un représentant de pilote dans leurs débats ou il n'y a que des patrons de compagnie....Il y'a des infos que seuls les syndicalistes donnent.
    Ce qui explique la dureté de certaines grèves c'est aussi le non respect d'engagements précédents comme semblaient le dire les syndicalistes.

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