lundi 13 avril 2020

Derrière les milliards, cette grave crise de l’euro à venir


D’un point de vue communication, l’UE a superficiellement réussi son coup. Après des passes d’arme assez acides entre dirigeants européens, le plan de jeudi soir, qui affiche 540 milliards d’euros, donne le change, pour qui ne rentre pas dans son détail. Mais, avec la crise du coronavirus, c’est probablement une nouvelle crise européenne qui se met en place, potentiellement plus grave que la précédente.




Des apparences à peine sauvées





L’affichage est habile, tant le montant est élevé. Mais la lecture du détail révèle le coup de communication. Comme souvent, il ne s’agit en grande partie que d’un habillage de budgets déjà existants : la plus grosse tranche, celle du MES, ne mobilisera pas un euro de plus... Ensuite, il ne s’agit que de prêts. L’UE n’intervient que sur la liquidité, alors même qu’il n’y a pas de problème, à date, sur le sujet. Et sa réponse sur le sujet est bien légère. Au titre de la tranche du MES, l’Italie ne pourrait pas demander plus de 35 milliards, alors qu’elle en lève 400 par an, comme le note Charles-Henri Gallois dans Marianne… Enfin, les différents Etats européens ont déjà mobilisé pour les entreprises des moyens bien plus importants que les 200 milliards de la Banque Européenne d’Investissement.



Bref, derrière une conclusion relativement habile, la crise continue de couver. Le premier ministre Italien a d’ailleurs déclaré que ce plan est « très insuffisant ». Comme après 2008, la zone euro est à nouveau entrée dans une crise interne, provoquée par une crise externe qui révèle toutes les malfaçons de la monnaie unique. Et cela ne doit pas être pris à la légère car la crise qui se fait jour sera probablement bien plus dure que la précédente, tant pour des raisons politiques qu’économiques…



Une bombe à retardement politique



Politiquement, la situation n’a strictement rien à voir avec celle d’il y a dix ans. Alors, l’UE et l’euro avaient encore une bonne image, notamment dans les pays du Sud, où l’intégration économique avait accompagné leur croissance. Et même si le processus avait été douloureux sur le traité de Lisbonne, avec les « non » de la France et des Pays-Bas, les élites politico-médiatiques étaient encore sur l’idée d’une intégration toujours plus poussée. L’idée d’une sortie de l’UE n’était qu’une idée marginale, qui n’était guère portée que par Nigel Farage et François Asselineau. Enfin, le conte, totalement faux, d’une UE qui nous aurait protégés dans la crise financière avait probablement un certain crédit. La crise européenne qui vient arrive dans un contexte beaucoup plus difficile pour l’UE et l’euro politiquement.



D’abord, le Brexit a créé un précédent et cassé à la fois le caractère prétenduement irréversible de l’UE, comme la dynamique d’intégration toujours plus poussée. En cela, la crise européenne de 2020 n’aura rien à voir avec celle d’il y a 10 ans, quand l’UE était une organisation à l’aura plutôt positive. Aujourd’hui, l’UE apparaît comme à l’arrêt, en crise permanente, et a créé beaucoup de ressentiments. Mieux, l’option de la quitter est désormais concrètement sur la table. Aujourd’hui, c’est l’idée d’intégration toujours plus poussée et de croissance géographique qui est devenue marginale. En dix ans, les peuples européens sont d’abord passés d’un soutien critique ou d’un vrai enthousiasme, selon les pays, à une forme de résignation, le frein à la sortie n’étant souvent que la peur que ce soit pire dehors.



Et aujourd’hui, de plus en plus de pays passent de la résignation à l’agacement, quand ce n’est pas le rejet pur et simple. Plusieurs peuples européens, au premier rang desquels les Italiens sans doute, sont bien plus proches politiquement de l’idée de rupture avec l’UE et l’euro, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans, 53% se déclarant prêt à en partir selon The Economist. Aujourd’hui, pour les Italiens, non seulement l’UE ne les aide pas face à la grave crise du coronavirus, mais deux tiers pensent même qu’elle les handicape ! Le ton des grands médias italiens se rapproche de celui des média britanniques pro-Brexit. Cela change complètement la donne par rapport à 2010, quand aucun des dirigeants des pays en crise n’était prêt à la rupture. En 2020, ce sujet est à l’agenda politique de plusieurs pays…



Une bombe à retardement économique



Mais outre une situation politique beaucoup moins favorable à l’UE et à l’euro, la situation économique est elle-aussi beaucoup plus difficile. Avant la crise du coronavirus, la zone euro de 2020 était dans une situation moins bonne que la zone euro de 2008. Les dettes sont plus élevées, à quelques exceptions près, et surtout, le choc économique va être plus violent, comme le confirme la prévision du gouvernement d’un recul du PIB de 6% cette année, deux fois plus important qu’en 2009. Le choc devrait être extrêmement violent dans les pays du Sud qui dépendent largement du tourisme, si la saison estivale est refroidie par la pandémie. Un pays comme la Grèce réalise 20% de son PIB et dépend à 25% du tourisme pour l’emploi. La chute du PIB pourrait alors atteindre, voir dépasser 10%.



Avec des économies moins fortes qu’en 2008 et des dettes souvent plus élevées (135% du PIB en Italie en 2019), l’impact de la crise sera violent. Si, en 2020, les pays européens pourront dépenser assez largement pour amortir la crise, la situation risque de se retourner rapidement en 2021 tant les dettes et les déficits auront progressé, comme le recommande déjà le gouverneur de la Banque de France. Nous passerions sans transition de « quoi qu’il en coûte » à une austérité pas moins sévère que la précédente. Or, nous sommes déjà proches du point de saturation, pour ne pas dire du point de rupture, notamment dans des pays comme l’Italie ou l’Espagne. Si le coût de la dette de ces pays remontait significativement, nous serions alors dans une nouvelle crise des dettes souveraines de la zone euro.



Certains verront dans les euro-obligations une solution, mais, comme il y a dix ans, je pense qu’elle n’en est pas une, sur le fond, comme politiquement. Sur le fond, à part peut-être pour un projet limité dans le temps et dans le coût, il n’est pas souhaitable de les mettre en place car cela pose un problème de responsabilité. Et politiquement, les débats des dernières années devraient avoir clarifié que l’idée est inacceptable pour plusieurs pays, à peine une moitié des membres de la zone euro la soutenant officiellement. Bien sûr, la BCE peut encore agir, mais la dette italienne est près de huit fois plus importante que la dette de la Grèce. Et parce que la rupture d’un pays, qui pourrait bien être l’Italie, est possible, c’est alors tout l’édifice monétaire européen, voir même institutionnel, qui pourrait être à terre.



Lors de la première crise de l’euro, je faisais partie de ceux qui pensaient que, malheureusement, l’euro tiendrait probablement. Aujourd’hui, je pense que tous les ferments d’une nouvelle crise de la zone euro se réunissent et que, cette fois, l’issue a davantage de chances d’être heureuse pour des peuples européens embourbés dans une construction sans queue ni tête, qui les pénalise, ne les protégeant pas des crises et, pire, les prolongeant du fait de ses vices de formes.

10 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Ce qui a aggravé la crise financière de 2008 :

    1) la faillite de Lehman Brother's qui, par un effet de dominos, a mis en péril tout le système financier mondial ;
    2) la politique aberrante de la BCE à l'époque de Trichet, qui a remonté ses taux d'intérêts au plus mauvais moment et qui a refusé de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort, laissant les taux souverains des pays périphériques s'envoler, et provoquer ainsi l'insolvabilité de ces pays ;
    3) A partir de 2011, le TSCG et les politiques de consolidation budgétaire qui ont tué la reprise dans l'oeuf et qui ont plongé l'UE dans le marasme alors que les USA et le RU redémarraient.

    Il est probable que les 2 premières erreurs seront évitées cette fois. Je ne suis pas sûr pour la 3e.

    Mais il y a de nouveaux risques et de nouvelles erreurs qui pourraient être commises. On ne sait pas ce que va donner la sortie de crise : rebond important du PIB ou pas ? Retour de l'inflation (conséquence de la politique monétaire) qui poserait des gros problèmes à la BCE ? On pourrait se retrouver dans une situation inédite, différente de ce qu'on a connu lors des crises précédentes.

    Un autre risque : les divergences entre les pays du Nord et ceux du Sud. L'Allemagne acceptera-t-elle longtemps une politique monétaire qui va à l'encontre de ses principes ? Les pays du Sud accepteront-ils longtemps d'être sacrifiés ? Ne risque-t-on pas de voir arriver lors des prochaines échéances électorales des partis dits populistes (Salvini en Italie, Marine Le Pen en France, l'AfD en Allemagne) ?

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    1. @ Moi

      Vous avez déjà un élément de réponse pour votre point 3 (le risque que soient mises en œuvre, une fois de plus, sous prétexte d'allègement de la charge de la dette, des politiques d'austérité) : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/08/il-n-y-a-pas-de-miracle-nous-devrons-porter-plus-longtemps-des-dettes-publiques-plus-elevees_6035976_3232.html

      Compter sur des gens comme François Villeroy de Galhau (et ses semblables sont légion aux postes de responsabilité, dans le secteur privé, comme au service de l'État) pour changer de logiciel me semble assez illusoire. Ont disait déjà des aristocrates émigrés qui rentraient en 1814 qu'ils n'avaient rien oublié et rien appris non plus...

      YPB

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    2. Vilaine faute de ma part : "ont" pour "on"...

      YPB

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  3. Tous ces plans de sauvetage de l'euro relèvent au mieux de l'acharnement thérapeutique, mais sont plutôt de l'enfumage pour masquer le fait qu'il ne peut y avoir de solution pour la France, l'Italie, l'Espagne, etc. sans une dévaluation, forte par rapport à l'Allemagne, modérée par rapport au dollar. Cette dévaluation nécessaire est impossible par construction dans le cadre de l'euro.

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  4. @ Moi

    On pourrait en ajouter d’autres (notamment le fait d’avoir choisi d’aider les banques, et non les ménages aux USA par exemple), mais ces 3 points sont importants. Je nuancerai votre point de vue sur les 2 premiers points :
    1- Certes, nous n’aurons pas de nouveau Lehman, mais cette crise pourrait conduire à beaucoup de petites faillites dont l’impact additionné pourrait être colossal (notamment le secteur des Cafés Hôtels Restaurants), et également, tous les auto-entrepreneurs aux droits bien faibles
    2- La politique de la BCE sera peut-être moins aberrante qu’en 2008, mais seulement à la marge car cette fois-ci, l’Italie est en première ligne, avec ses besoins de financement de 400 milliards par an. Et là, elle pourrait bien ne pas équipée pour gérer un tel cas
    3- Je suis bien d’accord que le retour de bâton austéritaire risque d’être saignant : d’ailleurs, ses avocats ont déjà pris la parole depuis quelques jours…

    Sur les nouveaux risques, je suis largement d’accord : la chute du PIB sera plus forte. Peu de risque inflationniste il me semble. Le danger pourrait être au contraire un épisode de légère déflation. On peut ajouter que nous débutons la crise avec des taux au plancher, un secteur financier sous amphétamines dont on ne sait pas bien quelle sera sa réaction au retournement de la conjoncture.

    Je pense que l’Italexit va rapidement s’imposer dans le débat public

    @ YPB

    Merci pour le rappel (lien dans le papier)

    @ Jacques

    C’est clair

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    1. A propos d'un retour de l'inflation, l'analyse de Patrick Artus : De l'inflation après la crise du coronavirus ?

      Nous voyons quatre raisons de croire à un supplément d'inflation dans les pays de la zone euro après la crise du coronavirus :
      -à court terme l'insuffisance de la production de certains biens en raison de la désorganisation des chaînes de valeur ;
      -à plus long terme :
      a)les relocalisations de production aujourd'hui délocalisée dans les pays émergents ;
      b)des hausses de salaires nécessaires dans certains secteurs d'activité ;
      c)la création monétaire sous la forme d'hélicoptère money.

      https://t.co/NEnsqvtcvT

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  5. @ Moi

    Merci. Je ne l’avais pas vu. En théorie, et pour un pays qui maitrise sa monnaie, ce pourrait être une bonne porte de sortie de la crise, en maîtrisant les taux par une intervention de la banque centrale. Problème, dans la zone euro, toute légère reprise de l’inflation aurait probablement pour conséquence un durcissement rapide de la politique de la BCE, une montée des taux, et on pourrait imaginer que cette remontée de l’inflation serait diverse dans la zone, ce qui amplifierait ses déséquilibres…

    Malgré tout, je persiste à penser que cette option reste plutôt peu probable :
    - J’ai tendance à penser que l’insuffisance de production est rarement décalée de l’évolution de la demande. On peut prendre le cas de l’automobile, où les ventes se sont effondrées et où je ne vois pas d’impact à venir sur les prix. L’argument peut avoir du sens théoriquement, mais je ne vois pas de secteur où cela pourrait se passer. J’ai même l’impression que la crise va plutôt avoir un effet déflationniste
    - Sur les relocalisations, et si nous surestimions l’écart de coût de production dans les secteurs où il y aura vraiment relocalisation ? En outre, les secteurs qui bougeront seront forcément ceux où l’écart de production tout compris est le plus faible
    - Hausses de salaires, je ne vois pas bien où
    - Pour l’instant, il n’y a pas d’helicopter money

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