dimanche 4 mai 2025

Tesla, Bitcoin : anatomie d’une bulle spéculative

Mes papiers sur Tesla, puis le Bitcoin du début d’année m’ont permis une plongée rapide dans la bulle spéculative qui entoure ces deux valeurs. Une véritable expérience sociologique, révélant des comptes de réseaux sociaux dédiés à leur promotion, l’illustration moderne des esprits animaux dont parlait Keynes et de la douce folie qui peut prendre marchés financiers et investisseurs

 


Quand une foi remplace toute raison

 

Il faut reconnaître que l’histoire autour de ces deux valeurs a quelque chose qui peut justifier une forme de foi. Comme je le détaille dans le dernier numéro de Front Populaire, le Bitcoin est un exercice de communication particulièrement habile, qui a autant sa place dans l’étude des innovations numériques (avec la blockchain) que dans les écoles de communication (avec une histoire digne des meilleures écoles de marketing). Tesla, pour sa part, a pu représenter le nouvel Apple, dont les voitures allaient être à la voiture ce que l’IPhone a été au téléphone. La croissance époustouflante de l’entreprise, de 2020 à 2023, et sa rentabilité, pouvait justifier une valorisation exceptionnelle, d’autant plus que Tesla a plusieurs cordes à son arc, diversifiant son chiffre d’affaires dans l’énergie et investissant dans la robotique. Mais dans les deux cas, la plongée dans la bulle qui les entoure montre bien que l’on sort de toute rationalité.

 

En février, à la publication des résultats 2024 de Tesla, j’ai publié un papier, qui, s’il souligne la réussite assez extraordinaire de l’entreprise, pointe que sa valorisation est totalement extravagante, dix à vingt fois supérieure aux multiples de l’industrie. Alors, l’action Tesla valait encore plus de 370 dollars, soit une valorisation de plus de 1100 milliards de dollars. N’étant pas le seul à questionner le potentiel de croissance de l’entreprise et la chute de sa rentabilité, la première correction a été spectaculaire, Tesla perdant à un moment 50% du pic de valeur atteint fin 2024. Les résultats du premier trimestre sont pires qu’anticipés par les analystes : les revenus chutent de 9% (et 20% pour l’automobile). Les profits s’effondrent de 71% (alors qu’ils avaient déjà reculé de 50% en 2024). Pour couronner le tout, pour qui lit les résultats, Tesla n’est parvenu à gagner de l’argent que grâce aux crédits réglementaires, qui viennent notamment de l’UE

 

Bref, les problèmes de croissance et de rentabilité apparus en 2024 s’amplifient gravement en 2025. A un ami qui objectait que le Cybertruck allait monter en puissance, la chute de 24% des livraisons des modèles autres que les modèles 3 et Y semble indiquer que l’échec du 5ème modèle de la gamme est scellé. Pire, le premier trimestre est de loin le plus petit en revenus, ce qui n’augure rien de bon pour les comparatifs des prochains trimestres. Bien sûr, il est encore possible de pointer la montée en puissance du Model Y restylé, mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le restylage du Model 3 fin 2023 n’a pas apporté une grande dynamique commerciale pour Tesla en 2024, avant même les errements politiques d’Elon Musk. Là, ce relancement va souffrir d’une image de marque très dégradée en Europe, qui continuera à peser sur les ventes. Et on peut douter que les tensions commerciales entre Washington et Pékin soit un terreau favorable aux ventes de Tesla en Chine, même si les voitures sont fabriquées localement.

 

Bref, les perspectives semblent assez sombres, même si un modèle plus économique est annoncé pour ce trimestre et si Elon Musk s’éloigne de la politique. Les questions sur la valorisation délirante de Tesla me semblent d’autant plus justifiées. Rappelons ici que Tesla vaut encore 18 fois plus que Daimler Benz, dont le chiffre d’affaires est pourtant près de deux fois supérieur, résiste mieux (CA -7% vs -9%) et est davantage profitable. Et après une mauvaise année 2024, il ne s’agit pas d’un accident conjoncturel, mais bien d’une vraie difficulté stratégique. En cela, le rebond de l’action Tesla, confirmé après la publication des résultats, apparaît comme un épisode digne des Tulipes du 17ème siècle. Les résultats du premier trimestre auraient dû pousser l’action encore plus bas. Ils sont le signe manifeste que le jugement des marchés sur Tesla dépasse complètement le champ du rationnel pour tomber dans une forme de croyance ou de foi délirante. Plus haut est le cours de Tesla, plus dure sera la chute contre le mur de la réalité.

 

Mais après tout, l’exubérance irrationnelle des marchés financiers n’est pas une nouveauté. Cela fait des siècles que les investisseurs, y compris les plus riches, et ceux qui sont présentés comme les plus avisés, font des paris qui, après un effondrement, apparaissent comme totalement déraisonnables. En cela, l’examen rapide des liens communiqués par un contradicteur Tesla-fan est instructif. La moindre bribe de nouvelle positive est montée en épingle, sans la moindre mise en perspective, des informations à la véracité questionnable sont transmises, avec un ton grossier qui reflète sans doute l’incapacité à opposer des arguments solides et structurés aux personnes qui questionnent la valorisation de ce veau d’or du 21ème siècle. Le simple nom des comptes de réseaux sociaux (Tesla Bull…) indique que la distance critique est exclue. S’agit-il d’une simple entreprise de relations publiques destinée à entretenir un buzz positif pour soutenir le cours de l’action en dépit des résultats de l’entreprise ?

 

Les mêmes phénomènes sont à l’œuvre sur le Bitcoin, et il est piquant de noter que les périodes de tensions des marchés poussent souvent son cours à la baisse, comme si au fond d’eux, ils savaient bien que ce ne sont pas des valeurs sûres. En tout cas, merci pour cette plongée sociologique dans la fabrique des bulles financières. Dans le climat actuel, les prochains mois et les prochaines années promettent d’être passionantes pour ceux qui ne jouent pas leur argent sur les tulipes de ce siècle.

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