mercredi 12 décembre 2012

Europe, populisme et démocratie


Voici l’entretien que j’ai donné à Atlantico sur la montée des partis populistes en Europe. Il fait partie d’une série d’entretiens croisés « De Mélenchon à Berlusconi et de Marine Le Pen à Beppe Grillo : les populismes européens seront-ils les fossoyeurs ou les sauveurs de la démocratie » avec Guillaume Bernard, professeur à Sciences Po, et Bruno Bertez, ancien propriétaire de l’Agefi France. 

Atlantico : Le chef du gouvernement italien Mario Monti a annoncé qu'il démissionnerait de son poste après Noël, tandis que l'ancien président du conseil Silvio Berlusconi a annoncé qu'il serait candidat aux prochaines élections législatives en 2013. Les marchés financiers ont réagi négativement à cette annonce et la situation politique du pays paraît très instable. A tel point que le blogueur Beppe Grillo, considéré comme le "coluche italien", est crédité d'environ 20% d'intention de vote dans certains sondages. Confrontées à une crise qui bouleverse leurs repères économiques et politiques, les démocraties européennes sont-elles en train de perdre pied et de faire ainsi le jeu des populismes ?

Il est parfaitement normal que les électeurs remettent en question les partis qui les ont menés dans une impasse économique. Cela est démocratiquement très sain, même si cela peut occasionner l’émergence de personnalités jugées farfelues ou radicales. Les grands partis qui ne parviennent pas à sortir le continent européen de la crise dans laquelle il s’enfonce n’ont pas un droit éternel à gouverner. Bien au contraire, je crois que l’émergence de ces nouveaux mouvements, dans les pays les plus durement frappés par la crise (Islande, Grèce, Italie), est un signe de vitalité de nos démocraties.

Le terme de « populisme » est un faux ami dans le débat public, comme l’a bien montré Vincent Coussedière dans son livre « L’éloge du populisme ». S’il ne désigne que la démagogie et les démagogues, alors il est impropre. En effet, dans ce cas là, mieux vaut désigner du terme originel – démagogues – les personnalités que l’on désigne du terme populistes. En outre, on peut contester l’application seule de ce terme aux nouveaux mouvements contestataires. Les partis au pouvoir en Europe devraient balayer devant leur porte. C’est le cas de tous les dirigeants européens quand ils ont conçu le second plan grec début 2012, sur des hypothèses totalement irréalistes, imposant un nouveau plan moins d’un an après. Que penser également de Nicolas Sarkozy, qui se pose en grand moralisateur du capitalisme puis ne fait pas grand chose ou au gouvernement actuel qui promet d’agir pour l’usine PSA d’Aulnay avant de laisser tomber tout en laissant son administration acheter des Ford et des Volkswagen ?

Mais il y a une autre interprétation du terme « populisme » qui pose un grave problème démocratique. Une partie des élites utilise ce terme en sous-entendant que la nature profonde du peuple est de répondre à un discours démagogique. Ce faisant, il est difficile de ne pas y voir une remise en cause du principe même de démocratie, qui s’illustre alors dans la volonté de rendre indépendant de l’influence démocratique une part grandissante des pouvoirs politiques (indépendance des banques centrales, Commission Européenne). Assez logiquement, les partis qualifiés de « populistes » sont généralement hostiles à ces transferts de souveraineté. Mais dans ce cas, il s’agit d’une réaction logique de peuples qui ne veulent pas être dépossédés de leur capacité à se gouverner par des technocrates irresponsables.

A : L’UE, qui est parfois jugée trop technocratique, a-t-elle une responsabilité dans cette situation ?

L’UE porte une lourde part de responsabilités dans cette évolution puisqu’elle s’est organisée pour justement priver les gouvernements démocratiquement élus de marges de manœuvres, que ce soit sur la monnaie (en imposant l’indépendance de la BCE, dont le seul mandat est la lutte contre l’inflation, contrairement à la Fed étasunienne, qui a un mandat plus large), le commerce (où la Commission négocie pour les Etats) et de nombreux sujets sur lesquels elle cherche à imposer son point de vue, parfois contre l’avis des gouvernements (OGM par exemple). Trop souvent, le pouvoir est confié à des technocrates indépendants de tout contrôle démocratique.

Pire, l’UE méprise parfois ouverturement le suffrage universel et la démocratie, comme on a pu le voir après le « non » de la France et des Pays au TCE en 2005 ou le « non » de l’Irlande au traité de Lisbonne, comme cela est décrit dans le livre « Circus Politicus ». On consulte les peuples, mais à la condition qu’ils répondent dans le sens souhaité. Les évènements de l’automne 2011 (où le premier ministre grec s’est vu refuser la tenue d’un référendum sur les plans européens et où les gouvernements italiens et grecs ont été remplacés par des gouvernements menés par des technocrates) expliquent très logiquement le bon score des partis anti-système dans ces pays.

A : Dans le rapport direct qu'ils instaurent avec les peuples et dans leur capacité à médiatiser des problématiques complexes et occultées par les partis traditionnels, les partis populistes n'ont-ils pas un rôle ambigu : à la fois sauveurs et fossoyeurs de la démocratie ?

Les partis « populistes » ne seraient des fossoyeurs de la démocratie que si, arrivés au pouvoir, ils la supprimaient totalement. Or cela n’est généralement pas le cas. En Amérique du Sud, beaucoup de personnes qualifiées de « populistes » ont accédé au pouvoir sans remettre en cause la démocratie. Il s’agissait simplement d’une alternance démocratique. Bien sûr, il y a le cas d’Hugo Chavez, dont certaines pratiques, notamment vis-à-vis des médias, sont autoritaires et peu démocratiques, mais même dans son cas, les vénézuéliens votent librement et il a même perdu (et accepté d’avoir perdu) des élections, signe qu’il n’a pas été un fossoyeur de la démocratie.

En un sens, ces partis sont des sauveurs de la démocratie car ils renouvellent l’offre démocratique, chose totalement nécessaire quand les principaux partis au pouvoir finissent par mener des politiques trop proches pour représenter une véritable alternative aux électeurs. En ce sens, il est sain que Syriza ait émergé en Grèce sachant que la coalition au pouvoir comprenait le PASOK et Nouvelle Démocratie. Idem en Italie ou le centre-gauche et le centre-droit sont temporairement alliés : il est logique que les Italiens se tournent vers de nouvelles propositions politiques. Et il est parfaitement logique qu’ils se tournent vers ceux qui écoutent leur demande, même s’ils sont qualifiés de « populistes ».

A : Dans ce contexte, les partis traditionnels ont-ils manqué de pédagogie ? La conception élitiste de la démocratie qui semble prévaloir dans les partis traditionnels doit-elle évoluer ? Dans quel sens ? 

Non, je ne crois pas qu’ils aient manqué de pédagogie. Je crois que les partis traditionnels sont responsables de cette évolution pour une double raison :
-        tout d’abord, quand ils sont si proches qu’ils en finissent par gouverner ensemble (Allemagne, Italie, Grèce) ou voter ensemble sur des sujets importants (France, Espagne), il est logique que de nouveaux partis émergent, avec des opinions forcément différentes des leurs. C’est un réflexe démocratique sain et le mépris à l’égard de ces nouveaux partis montre au contraire un réflexe bien peu démocratique de ces partis traditionnels qui semblent vouloir se voir réserver le pouvoir.
-        ensuite, ils ne contribuent plus à la réflexion politique. Il suffit de penser aux débats Aubry-Hollande ou Copé-Fillon, où les différences portaient principalement sur le style des protagonistes et pas vraiment sur les idées ou les propositions. Ils ne se posent pas vraiment de question sur tellement de sujets pourtant importants dans cette crise (Europe, libre-échange, système monétaire et financier…) qu’il est bien normal qu’ils soient remis en question par de nouveaux partis et par les électeurs

Les partis traditionnels devraient redécouvrir ce qu’est le débat démocratique et cesser d’excommunier toute personne qui sort de leur prétendu cercle de la raison (qui nous a mené dans la crise où nous sommes aujourd’hui) et débattre sereinement mais véritablement de tous les sujets, en s’ouvrant aux opinions venues d’ailleurs. Mais on peut douter qu’ils y parviennent tant ils semblent incapables de toute remise en question.

10 commentaires:

  1. Un texte come je les aime! Et, en plus, de grande qualité, me semble-t-il, Laurent.
    A partir du moment où le niveau d'instruction est étroitement corrélé à la qualité de la vie, la revendication sociale disparaît. Les peu et pas diplômés ne peuvent se faire entendre. Cela permet l'émergence du démagogue. Dans un second temps, l'aggravation de la pauvreté fait entrer une partie des très diplômés dans la préoccupation sociale. C'est la situation actuelle en France. Ces très diplômés précarisés ont la possibilité de faire émerger une offre politique intéressante. Ils sont cependant face à un choix humain décisif, vouloir se raccrocher aux très diplômés vivant confortablement ou faire alliance avec les peu ou pas diplômés. Il me paraît possible que le Front de gauche choisisse la première option. Les faiblesses politiques particulières des gens du Bassin parisien peuvent mener la seconde option à l'échec.
    Bref, nous risquons de devoir choisir entre Marine Le Pen ou la catastrophe proposée par l'U(DI)MPS.
    Jard

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  2. Oui ce texte est excellent sur Atlantico c'est assez rare ; ci dessous un texte du blog Idiocratie sur le parti unique

    http://idiocratie2012.blogspot.fr/2012/11/le-regime-du-parti-unique.html

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  3. Jard

    Au train où vont les choses je pense que les diplômés vont s'exiler :

    http://www.presseurop.eu/fr/content/article/2890671-bruxelles-terre-d-asile-des-jeunes-francais

    http://www.generation-precaire.org/L-exil

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    1. Oui et non, puisque le marché de l'export de diplômés va vite saturer, on trouve déjà en France de Nombreux italiens, portugais, grecs ou Espagnols diplômés et très compétent. Si on rajoute à cela les jeunes diplômés Français, le tout dans une crises de surproduction mondiale généralisé qui aide pas l'investissement, les débouché vont manquer... Et la a voir ce qui se passera, serait ce la jonction entre les classes populaires et classes moyennes supérieures tant évoquée par Emmanuel Todd comme condition nécessaire à un mouvement social de grande ampleur ? Enfin, on verra, mais l'heure approche, avec la crise trouver un travail digne va devenir de plus en plus difficile même pour les diplômés.

      red2

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  4. @ Laurent Pinsolle.

    Merci pour ce texte ! Et surtout pour les idées que vous y défendez.
    Espérons que cet entretien sera lu et fera réfléchir.
    La démocratie est un bien précieux mais elle est fragile. Et sans elle notre République et ses droits s'effondreraient.

    Bonne continuation.

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  5. red2

    Je ne suis pas certain que la France soit actuellement la destination privilégiée des émigrés des pays du sud de l'Europe, ce serait plutôt Amérique du Sud, Australie, USA, Canada et nord de l'Europe.

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  6. Sinon, une avancée utile de l'UE, c'est la réforme du brevet européen d'hier :

    http://www.nytimes.com/2012/12/12/business/global/eu-reaches-agreement-on-system-for-patents.html?smid=tw-share&_r=0

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    1. une des rares bonne chose qu'ai faite l'UE, en effet.

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  7. Il faut arrêter de fantasmer sur les diplômes ce dont nous avons besoin en France ce sont des esprits très brillant comme c Villani S Diner ou D Fargue par exemple et d’ingénieurs et techniciens non formaté la "mondialisation" a aussi fait chuter le niveau moyen des diplômes que la majorité aille a petaoucnnock a peu d'importance ce qui compte vraiement c'est la qualité des individus dans leur domaine et pas la quantité . C'est peu être elitiste ; mais non dans la vie un génie du camembert a autant d'importance qu'un génie des mathématiques

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  8. @ Jard

    Merci. N'oublions pas que la décomposition politique finira par produire une recomposition. Syriza s'est présenté pour la première fois en 2007, a fait 4% en 2009 et 27% en 2012. Nous échapperons à l'option Le Pen.

    @ Olaf

    Du fait du chômage, beaucoup de pays prennent des dispositions pour restreindre l'arrivée des étudiants (Etats-Unis, Grande-Bretagne...) Et puis, la France n'est pas le pays le plus mal en point...

    En outre, en France, nous n'avons pas la tradition de pays aussi cher les études supérieures.

    @ Red2

    Bien d'accord

    @ RomainC

    Merci

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