samedi 27 avril 2013

Marché des droits à polluer : l’UE a tout faux !


Le 16 avril dernier, le parlement européen a refusé de retirer temporairement une partie des droits à polluer, accentuant la chute du prix de la tonne de carbone, passée sous les 3 euros, alors qu’elle cotait 20 euros il y a deux ans. Un exemple qui synthétise tout ce qui va mal dans cette Europe.

Dogmatisme néolibéral

Dans l’absolu, la solution du marché des droits à polluer semble élégante et efficace. Elle permet de fixer des paliers de réduction d’émission de CO2 et de laisser les acteurs les plus efficaces se répartir l’effort de baisse des émissions par le jeu du marché. Malheureusement, le marché des droits à polluer montre encore une fois que les mécanismes du marché sont plus que perfectibles. Et en décidant de laisser l’offre et la demande fixer le prix du CO2, l’Union Européenne s’est trompée.


En effet, le problème des marchés est qu’ils sont exubérants et irrationnels. Le prix du carbone était tombé de 25 à 8 euros la tonne pendant la crise, il est remonté à 20 euros, avant de tomber à 7-8 euros. La crise et le refus de retirer des droits à polluer ont fait plonger les cours à 2,75 euros ! Résultat, ce sont les centrales à charbon qui sont les plus rentables aujourd’hui : 69 vont être construites dans les prochaines années ! De plus, l’instabilité des cours est très négative pour les investissements dont la rentabilité devient très aléatoire. En l’absence de certitudes, beaucoup de projets sont gelés.

Des lobbys et de la bureaucratie arbitraire

En fait, ce cas précis démontre toute la difficulté qu’il y a à fixer le bon quota de droits. L’UE en a trop émis. Résultat : le prix s’est effondré et les acteurs du marché ne sont pas incités à faire des efforts, bien au contraire. Pire, dans le cas de l’UE, devant la colère des industriels qui y voyaient un coût supplémentaire dans une compétition internationale où leurs coûts sont déjà trop importants, des droits ont été donnés, ce qui représente une subvention déguisée et pollue le mécanisme.

En outre, il est bien évident que ce sont les lobbyistes les plus efficaces qui ont obtenu le plus de droits, en dehors de tout mérite objectif… Et là, tout le monde sait qu’à Bruxelles, les lobbys sont rois, faisant et défaisant les réglementations en fonction de leurs intérêts. En fait, même The Economist a reconnu que le mécanisme le plus efficace pour taxer les émissions de CO2 est une taxe uniforme dont la progression serait annoncée à l’avance pour favoriser les investissements.

L’oubli de la contrainte extérieure

Enfin, le marché des droits à polluer européen pose un 3ème problème dans le sens où il ignore totalement la contrainte extérieur. En effet, en choisissant de taxer les producteurs, l’UE handicape les entreprises qui choisissent de produire sur son sol contre celles qui produisent à l’extérieur. Beaucoup d’analystes voient dans la mise en place de ce marché la raison des délocalisations de nombreuses industries fortement consommatrices de CO2 (ciment, acier, aluminium).

Du coup, nous ne faisons que déplacer la production de CO2 hors de l’UE et augmenter le nombre de chômeurs en Europe. Un bon mécanisme devrait instaurer un rééquilibrage avec les produits fabriqués en dehors de l’UE, quitte à envisager des droits de douane environnementaux, comme l’a défendu Paul Krugman récemment. Aujourd’hui, la réglementation environnementale contribue à nous affaiblir tout en accentuant les problèmes, signe d’un nouvel échec pour l’UE.

The Economist cite le jugement très dur sur le marché européen du carbone de l’Association Internationale des Echanges d’Emission : « il pourrait bien devenir un exemple de ce qu’il ne faut pas faire ». Encore une fois, cette mauvaise Europe a tout faux. Il faut s’en débarasser.

17 commentaires:

  1. Que l'UE privilegie une approche liberale et l'auto-regulation des marches ne saurait plus surprendre grand monde... :-(

    En parallele avec votre dernier paragraphe, il me semble que ecologie et economie ne font pas toujours bon menage.

    Bien que pour la defense des interets francais, protectionniste, etc.., je trouve assez desolant une certaine forme de "China-bashing" (reflexe anti-Chine) des medias sur le theme, "la Chine pollue trop, traite mal ses ouvriers. alors que l'Europe est propre et sociale". En realite, on n'a fait que deplacer les usines polluantes et si la Chine pollue c'est en grande partie pour produire pour l'occident...
    Resultat: la pollution continue mais on a cree une Europe "propre" sans emplois... C'est tres hypocrite et stupide...

    Il me semble qu'une vision globale et une production industrielle plus equilibree, moins mondialisee, serait necessaire.. Mais j'ai l'impression qu'une partie de l'opinion et des verts (en France) est prete a detruire toutes les industries "sales" (en fait toutes les industries...) pour etre propre, quitte a acheter les produits chinois, l'electricite allemande, etc...

    Concernant les droits de douane environnementaux, est-ce que vous savez ou en est le projet de taxer les compagnies aeriennes ? A un moment, les compagnies US et chinoises refusaient il me semble ?
    On dirait que c'est au point mort ?
    http://www.challenges.fr/entreprise/20130321.CHA7533/compagnies-aeriennes-l-union-europeenne-va-geler-pendant-1-an-sa-taxe-sur-les-emissions-de-co2.html
    Cela pourrait etre un test interessant pour voir la force/volonte de l'Europe.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Anonyme,
      pour moi, le réflexe anti-chinois se justifie au moins pour une chose: c'est l'absence (ou peu s'en faut) des droits de l'Homme qui permet à la Chine d'avoir des travailleurs taillables et corvéables à merci!!! Cet "avantage comparatif" déloyal devrait à lui seul nous interdire de faire du commerce avec eux...
      Mais je ne suis pas stupide: seule une politique protectionniste comme celle pratiquée en Chine permettrait à la France, et dans une moindre mesure à l'UE de protéger correctement ses marchés. Un système de montants compensatoires comme celui qui a fonctionné dans les années 80 pourrait faire l'affaire. Mais je parle d'un temps que les moins de 30 ans ne pouvaient pas connaître, et qui a été abandonné depuis la signature de l'Acte Unique de 86, rédigé par deux membres du PS français, j'ai nommé le couple diabolique Lamy-Delors.


      CVT

      Supprimer
  2. De plus en plus il me semble que tout ce vocabulaire "développement durable, "droits à polluer" n'est qu'une supercherie sémantique qui maquillent en vert les intérêts persistants des mêmes. DLR n'aurait-elle pas intérêt à assumer très frontalement et avec audace un modèle économique réellement écorespectueux : consommer moins mais mieux, consommer et produire local, développer les modes de production et de commercialisation alternatifs, bref, évoluer vers un modèle TOTALEMENT différent du modèle économique actuel fondé sur le libre-échangisme et le productivisme, ce modèle étant condamné par son évolution vers le moins-disant systématique et bien entendu son incompatibilité totale avec la préservation de l'environnement à plus ou moins long terme.
    Bien entendu, il s'agirait alors de vendre un modèle économique qui serait jugé révolutionnaire, et peut-être mal perçu dans un premier temps car l'écologie a trop longtemps été abordée par les pouvoirs publics sous un angle punitif, néanmoins il parait possible d'avancer en changeant justement d'angle : mettre en avant la qualité de vie, la santé, le cadre de vie... Rendre une mutation écologique désirable par le plus grand nombre, en somme

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pas mieux !
      Et DLR enfoncerai un coin original dans la société

      Supprimer
    2. Avec un "t" c'est mieux .

      Supprimer
    3. D'autant que ce serait très cohérent comme programme avec la sortie de l'euro. Comme nous importons l'essentiel de nos énergies fossiles, la dépréciation de la nouvelle monnaie par rapport au dollars aurait pour effet mécanique d'augmenter la facture énergétique.
      Mais je doute que DLR pousse la cohérence jusque là...

      Supprimer
    4. Question cohérence, DLR pousse certainement ses analyses plus loin que la plupart ;) Laurent nous le confirmera sans doute lui-même !

      Supprimer
    5. Je ne demande que ça. Que Laurent nous explique comment on sort de l'euro sans augmenter automatiquement la facture énergétique des ménages, des industriels et des transporteurs d'au moins 20%, tout en relançant une politique industrielle et nos exportations...

      Supprimer
    6. En cas de sortie de l'euro le Franc serait a peu près a parité avec le Dollar il faut donc se demander comment fait la zone Dollar pour exporter et avoir des industries , mais ce n'est pas le problème il s'agit de créer un modèle économique ecocompatible qui n'existe nul part encore

      Supprimer
    7. La zone dollars n'est pas virtuelle, elle est en Amérique du Nord et l'Amérique du Nord à des ressources (pétrole de la mer de Beaufort et de l'Alaska, sables bitumineux de l'Alberta, pétrole et gaz du Dakota du Nord, gaz de schistes et surtout les mines de charbons du Wyoming et des Appalaches, etc...). Pour les énergies renouvelables, ils ont des déserts pour les centrales héliothermiques et des grands espaces à éoliennes peu peuplé et à domicile...

      L'Europe n'est pas dans une situation comparable ! Rien que pour le soleil, le projet désertec ne propose rien d'autre qu'une recolonisation de l'Afrique du Nord parce qu'on ne fait pas de tels investissements sans stabilité politique et sous menaces terroristes...

      Si je suis un peu sceptique sur la parité franc-dollars, je suis d'accord sur l'invention d'un modèle ecolo-compatible mais encore faut-il en parler et le définir concrètement.

      Supprimer
  3. @Laurent Pinsolle,
    "cette mauvaise Europe a tout faux. Il faut s’en débarasser". Je trouve que vous n'allez pas assez loin dans vos reproche, et j'ai bien peur que vous ne fassiez la même erreur de diagnostic que les "socialistes" ou une grande partie de la gauche.
    L'UE est EXACTEMENT comme elle l'avait TOUJOURS été imaginée Jean Monnet: une zone de libre échange conçue pour servir les intérêts du capital. C'est une discussion que nous avons déjà eu sur ce site des tas de fois, et vous persistez à croire qu'il peut y avoir une autre UE (je me refuse absolument à parler d'Europe, qui est un continent...).
    Vous savez parfaitement que le libéralisme est le seul système applicable entre des pays qui sont aussi divers. Si on voulait une politique plus sociale, il faudrait alors que chaque pays membre dise comment il voit celle-ci; or, du fait même des différences de cultures, aucun pays n'a les mêmes priorité en terme de politiques sociales ou écologiques, car elles changent en fonction des mentalités... Dès lors, le plus petit dénominateur commun est la seule façon de faire marcher l'UE, et économiquement, le libéralisme répond à cette définition.
    En clair, l'UE ne pas être autre chose que libérale, du moins tant qu'on n'aura pas inventé un homo europeanus, et ce n'est pas demain la veille...


    CVT

    RépondreSupprimer
  4. Il serait plus utile de parler des nombreuses pistes énergétiques dont certaines sont en cours de commercialisation, et c'est en France que ça se passe encore parfois. Plus que de faire des usines à gaz fiscales, mieux vaut mettre l'effort sur la recherche :

    IONTECH est 2 - 3 fois plus économique qu'un chauffage fioul, gaz ou électrique.

    http://www.aci-chaudiere-ionisation.fr/

    J'avais eu l'idée suivante, il y a quelques années, ils l'ont fait. Je pense que cette idée
    pourrait être appliquée sur des centrales hybrides industrielles, un mix voltaïque alimentant en eau chaude une centrale solaire à miroirs de concentration et turbine à vapeur ou alors une tour à convection d'air chaud. J'ai un peu cherché sur le net, j'ai pas encore trouvé cette idée de centrales hybrides de ce type, on y trouve d'autres formes hybrides :

    Avec R-VOLT, passez de 15 % à 40 % de rendement grâce à la récupération de chaleur sous les panneaux photovoltaïques.

    http://www.systovi.com/aria-csv-solution-solaire-photovoltaique-a-recuperation-de-chaleur.html

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sans même parler de nouvelles technologies révolutionnaires, si on avait commencé par consacrer la perfusion gigantesque octroyée à la bulle immobilière via le Scellier et aujourd'hui son clone le Duflot à l'isolation de l'existant, quelles économies à travers le chauffage non-consommé !

      Supprimer
  5. CyrilCG

    Le fait est que ma facture chauffage est de zéro euros. Appartement allemand bien isolé et voisins qui peut être le chauffent.

    RépondreSupprimer
  6. @ Anonyme

    Complètement d’accord sur la Chine. Ils défendent leurs intérêts. Les principaux responsables sont les pays européens qui laissent faire. Totalement d’accord sur la démondialisation et la taxation des compagnies aériennes d’autant plus qu’il semble que les émissions de CO2 en altitude aient un effet encore plus important.

    @ CVT

    Sur les droits de l’homme, il semble néanmoins qu’ils progressent. Chaque pays a sa trajectoire. Le plus important est d’aller dans la bonne direction. Totalement d’accord sur les montants compensatoires.

    @ CyrilCG

    Je pense que l’écologie peut ne pas aller contre le développement économique, du moment que nous avons un système fiscal qui pousse aux bons comportements.

    @ Ovide

    Pour cela, il suffit d’affecter le solde de la contribution à l’UE de la France pour financer le renchérissement théorique de l’essence. Là, cela serait sans conséquence pour acteurs économiques.

    Autre option : compenser en instaurant une taxe carbone sur le fuel et le kérosène.

    Pour l’Europe, à nous de travailler sur d’autres sources d’énergie durable : centrale de 4ème génération, panneaux solaires, éoliens, pétrole d’algue… Mais là, il faut du protectionnisme, une politique industrielle dans la durée (le plan) et passer outre la concurrence libre et non faussée (qui de toutes les façons, ne l’est jamais).

    @ CVT

    D’où l’idée d’une Europe à la carte, ce qui permet de mener les projets que nous souhaitons avec les pays qui le souhaitent, en respectant nos valeurs. Je crois que ne rien avoir en substitution serait dommage même si je crois qu’il vaut mieux ne rien avoir qu’avoir quelque chose qui aurait un rapport ne serait-ce que lointain avec le monstre qu’est l’UE.

    @ Olaf

    Merci. Il y a aussi des projets de récupération de la chaleur des ordinateurs pour le chauffage.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout dépend de ce qu'on entend par développement ou croissance économique. De la même façon, ne peut-on pas soutenir que décroissance et bien-être général/confort élevé ne sont en rien incompatibles ?
      L'appel désespéré à la croissance est systématique, or du haut de ma très piètre compétence en économie je m'interroge quand même ! Croissance de quoi ? Du PIB ? Celui-ci ne peut-il pas être considéré d'une certaine façon comme un artifice, l'addition de tout et n'importe quoi pourvu que cela puisse au final s'exprimer en unité monétaire. Pourquoi tout focaliser sur un tel artifice ?
      Pour m'expliquer plus clairement, je reprendrais Sapir dans son ouvrage la Démondialisation : vers le début de son livre, il explique que la forte croissance du PIB mesurée dans les pays émergents pouvaient très bien aller de pair avec une extension de la misère, dans la mesure où ce qui est alors mesuré c'est qu'une grande partie de besoins qui étaient auparavant satisfaits de manière direct passaient désormais par un échange monétaire (avec l'exemple de la consommation directe de la production agricole vivrière, remplacée ensuite par une production agricole commerciale et achat de l'ancienne production vivrière à des coûts importants). Si on considère ainsi l'adéquation possible entre croissance soutenue et misère persistante ou pauvreté grandissante, ne peut-on envisager une adéquation inverse entre décroissance et recul de la pauvreté ?

      Supprimer
  7. Sur la transition écologique et son financement, j'avais été frappé par la clarté de Philippe Murer aux dernières UR. On retrouve la teneur de ces propos de façon développé ici :
    http://lespoir.jimdo.com/2013/03/31/penser-le-changement-nouvelles-%C3%A9nergies-par-philippe-murer/

    RépondreSupprimer