lundi 10 juin 2013

Pourquoi la banque centrale doit dépendre de l’Etat


Après avoir conté et remis en perspective l’histoire de la Banque de France, Jean-Claude Werrebrouck se pose la question du statut qu’il faut donner à une banque centrale aujourd’hui : indépendance ou non.



De « l’ordre organisé » au désordre

Il note que les rentiers ont intérêt au développement du marché de la dette publique, marché profond et liquide. Il suppose « un respect intégral des droits fondamentaux, en particulier la propriété » des rentiers. En 1945, la faiblesse du système financier fait que l’Etat dicte ses conditions et met en place un « ordre organisé ». Nous sommes alors dans le compromis fordien, où la «  croissance est auto-entretenue par le partage des gains de productivité qu’elle génère : le rendement croissant, s’il est bien partagé, permet à la fois des profits croissants, des prix décroissants, et des réuménarations croissantes ». Le cadre naturel de ce compromis est l’Etat-nation, « espace lui-même relativement homogène, et surtout espace de légitimité, où peuvent se nouer des compromis au niveau des marchés politiques ».

Pour lui, la situation actuelle « rappelle la chute de Rome (…) l’Etat est contesté par de nouveaux barbares qui, conquérants dans l’espace des marchés, jouissent d’une grande autonomie par rapport au suzerain ». La mondialisation pousse les dépenses de l’Etat à la hausse et leurs recettes à la baisse. Le système tient grâce à la dette et aux interventions des banques centrales, des « pontages coronariens ». Pour lui « les nouveaux barbares des marchés la jugeront (la monétisation) préférable à la saisie, à la nationalisation, à la restructuration, voire à une régulation tatillonne », même si cela « développe une base monétaire surdimensionnée, matière première de bulles périodiques ». Il dénonce « la relance de l’investissement par diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée (qui) est inopportune en ce qu’elle réduit les débouchés de toutes les industries de biens de consommation ».

Il note que nous faisons alors le choix de la mondialisation plutôt que de l’automatisation des usines. Mais les débouchés deviennent alors indépendants des conditions de la production par la recherche des salaires et de la fiscalité les plus bas, créant un problème de débouchés. Cette chaine logistique mondiale impose une libre-circulation des capitaux et un développement du système financier. La victoire des actionnaires et de la finance sur les industriels se lit dans l’évolution, entre 1970 et 2010, du poids des dividendes dans l’excédent brut d’exploitation, passé de 12,8 à 29,8% et la baisse de la formation brute de capital fixe (les investissements) de 21,9 à 18,7%. Pour lui, « la mondialisation libère de la nécessaire congruence, locale ou nationale, entre les conditions de production et celles de la consommation ».

Querelles sur la question de la monnaie

Il note que Milton Friedmann ne voulait pas d’une banque centrale indépendante, du fait de la concentration de pouvoirs au profit de personnes exemptes de tout contrôle. Dans les années 1970, des travaux affirment que plus une banque centrale est indépendante, plus l’inflation est faible, si les banquiers centraux sont résolument hostiles à l’inflation, un discours qui porte en période de stagflation. L’auteur souligne alors que l’Etat fait le chemin inverse des grandes entreprises : pendant que les actionnaires prennent de plus en plus de poids dans les décisions, l’Etat actionnaire abandonne la gestion de la banque centrale à ses dirigeants ! Les monétaristes affirment alors que l’injection de monnaie n’a pas d’impact sur la croissance et le chômage et ne fait que produire de l’inflation. Mais leur thèse est infirmée par les évènements récents, l’inflation baissant aujourd’hui en Grande-Bretagne...

Pour lui, « l’étalon-or est un recul très net de la souveraineté » et impose une loi d’airain à l’Etat en mettant des contraintes fortes à l’émission de monnaie, qui peuvent aboutir à une situation où l’économie manque de monnaie pour soutenir sa croissance. Il étudie les alternatives et envisage une solution où l’Etat reprendrait le contrôle de la monnaie et où les banques paieraient une redevance pour la monnaie centrale, revenant sur le cadeau fait par l’Etat aux banques du pouvoir d’émettre de la monnaie. Revenant sur le débat sur la loi du 3 janvier 1973, il soutient qu’elle est « une loi qui, parmi d’autres, va autoriser le grand redécoupage du revenu national, avec montée des privilèges des rentiers ».

Deux visions des banques centrales

L’auteur conclut par une étude des deux formes majeures de banque centrale : l’organisation dite « de marché », où la banque centrale n’est pas sous l’autorité du politique, puis le mode hiérarchique où l’Etat est aux commandes. Il note que le monde anglo-saxon (on pourrait ajouter le Japon) ont opté pour le second, quand la zone euro a accepté l’indépendance totale, à l’allemande. Il souligne qu’il y a deux variantes de contrôle : soit l’Etat laisse les banques créer la grande majorité de la monnaie, par le système des réserves fractionnaires (en imposant un pourcentage de réserves), soit l’Etat garde une totale souveraineté dans l’émission. Il rappelle que le second n’a jamais complètement existé mais il pense que le contexte actuel plaide de plus en plus pour une telle forme d’organisation.

Dans un tel modèle, il soutient que « le montant de production de monnaie est un acte politique ». Les banques feraient alors des enchères pour obtenir les ressources monétaires. Cela rejoint la vision de Maurice Allais et la théorie du 100% monnaie, qui propose de découper le secteur bancaire en trois : banques de dépôt, banques de crédit et banques d’affaires. Il souligne qu’un tel système nous protège théoriquement contre les crises du type de celle de 1929 ou 2008. Il soutient que quand l’Etat maîtrise sa banque centrale, on entre dans un état de « répression financière », limitant le périmètre du secteur et donc la financiarisation, réduisant au passage les inégalités au profit des salariés et au détriment des épargnants. Pour lui, ce système convient particulièrement à l’Etat-nation, et nécessite des frontières fortes pour permettre à chaque Etat de choisir la politique qu’il souhaite.

Puis, il étudie l’organisation de marché, où l’Etat doit se financer sur les marchés à prix fort. Pour lui, il y a « appropriation par d’autres agents (les banques) des moyens de la puissance publique ». Il fait une comparaison très intéressante, en affirmant que cela revient à ce qu’un propriétaire de verger n’ait plus le droit de consommer gratuitement le produit de la récolte, qui serait accaparé par d’autres, auxquels le propriétaire devrait acheter les fruits pour pouvoir les consommer.  Dans ce système, « le pouvoir monétaire est de fait cogéré entre les banques de second rang et la banque centrale (…) la planche à billets se trouve en quelque sorte privatisée » L’inflation est alors proscrite par les investisseurs qui financent l’Etat, encourageant alors la création de dette puisque leur valeur est protégée dans le temps, et favorisant la finance au détriment de l’économie productive.

Mais, cette organisation peut créer des bulles sur les actifs, et donc un risque systémique. Il souligne les dysfonctionnements du marché des actifs, où, quand le prix d’un actif monte, la demande ne faiblit pas forcément, comme pour les biens. Dans ce système, il y a une rente payé par les contribuables et une forme de redistribution à l’envers, confirmée par les calculs d’Olivier Berruyer sur l’impact de la dette publique sur les ménages. Il note que ce mode d’organisation aboutit à la création d’une oligarchie où « le régulé devient le régulateur et ainsi ‘ouvre la caisse’ au profit de toute une profession » en « se dégageant partiellement et progressivement des contraintes de l’âge démocratique », surtout quand droite et gauche mène la même politique. Ce mode d’organisation convient particulièrement à la mondialisation, qui permet de déplacer les centres de décision en dehors des périmètres démocratiques.

Avec ce livre, Jean-Claude Werrebrouck apporte une contribution majeure à la réflexion sur les banques centrales. Outre un historique qui dévoile les tâtonnements de nos dirigeants, il signe un plaidoyer solide pour leur reprise de contrôle par l’Etat, apportant de l’eau au moulin de Joseph Stiglitz, le « prix Nobel » d’économie 2001, qui a lui aussi pris parti dans le même sens dans son dernier livre.

Source : « Banques centrales indépendance ou soumission », JC Werrebrouck, éditions Yves Michel

12 commentaires:

  1. ETAT nation protecteur.....
    Il doit maitriser l'économie de son pays, mais ne doit pas en être le moteur....Il doit PREVOIR et CONTROLER ?
    Il doit être animateur de l'écomie, il doit controler l'exécution, mais ne doit pas en être exécutant. Il ne lui appartient pas de coordonner, c'est le rôle des entrepreneurs et de leurs organisations syndicales.
    Par contre il doit avoir la maitrise de la distribution financière, par conséquent être superviseur de la banque centrale ?
    Les banques doivent rester des "entreprises financières exécutantes au service de l'économie, au service des entreprises et des particuliers...
    et, par conséquent rester sous controle de l'état.
    ALORS, ainsi déconnecté du système, du corporatisme avec les entrepises du CAC 40,
    Placé lui même sous le CONTROLE CITOYEN indépendant élu au suffrage universel, conservant les "pouvoirs directs" sur le "régalien", nous parviendrons à l'égalité et la justice qui fait tant défaut à ce pays...
    Egalité des travailleurs, de tous les travailleurs dans leurs droits et leurs devoirs...
    C'est avec "satisfaction" que j'entends ce raisonnement, mon raisonnement dans la bouche de LEMAIRE et de LEGUEN sur RMC ce matin....Deux opposés, même discours égalitaire. entre fonction publique et fonction privé
    Je m'en réjouis !!!

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  2. Le système qui est place aujourd'hui n'est pas le fruit du hasard. Au-delà du dogme ultra-libéral, qui sert de support et d'alibi, il convient parfaitement aux rentiers, aux privilégiés, aux banksters comme Goldman Sachs, qui ne veulent pas de l'inflation, mais "ont intérêt au développement du marché de la dette publique". Les conditions sont réunies pour gagner toujours plus. Grâce à la libéralisation des mouvements de capitaux, la spéculation peut se déplacer, tel un nuage de sauterelles, d'une activité à une autre sans scrupules et sans difficultés : pétrole, produits alimentaires,immobilier, dettes des Etats ...

    Ce qui est à la base de cet état de fait est l'accumulation de l'argent par une minorité. Le monde est pour eux un immense casino dans lequel on gagne à tous les coups. Peu importe pour eux que leur argent soit joué dans l'économie réelle ou virtuelle.

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  3. Laurent, vous mettez le doigt sur le problème fondamental, celui qui est indissociable de l'histoire des Etats-Unis depuis la déclaration d'Indépendance de 1776, et qui est le contrôle de la monnaie.
    Jefferson disait même que la révolte des colons qui a mené à l'indépendance était en grande partie due à l'interdiction faite par les Anglais d'utiliser les "local scripts" qui étaient émis par (comme leur nom l'indique) les banques locales.
    Le premier a avoir exprimé l'importance de ce privilège est probablement A M Rothschild
    " si j'imprime les billets, je me fiche de qui fait les lois!"
    De Gaulle s'était opposé frontalement avec Roosevelt en refusant que les dollars imprimés par l'AMGOT aient cours en France.
    On ne peut pas-à mon sens- comprendre la logique de la soi-disante construction (qui s'apparente plus à une destruction) européenne sans avoir cette grille de lecture.

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  4. Voici, s'agissant des banques centrales la définition que je donne:
    « Les banques centrales sont des institutions logées dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique, et chargées d’exprimer le rapport de forces entre les deux par des actions concernant la circulation monétaire, la monnaie elle-même et la dette. La position relative des deux pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation / opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire, etc., est la source ultime de la compréhension des faits monétaro financiers, et un outil indispensable pour identifier l' état des rapports économiques politiques et sociaux dans le monde . Connaitre les règles de fonctionnement d'une banque centrale, c'est ainsi s'ouvrir sur la connaissance du logiciel qui dit des choses essentielles sur une société concrète."
    cela ne veut pas dire que la banque centrale rénovée pourra seule nous sortir de la crise, laquelle est un processus plus complexe et surtout inintelligible avec les outils de la théorie économique que l'on enseigne partout!


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  5. J'ai déjà donné mon sentiment, une Banque Centrale doit être "aux ordres" et non pas indépendante.
    Maintenant la question est "aux ordres de qui ?"
    En ce qui me concerne je pense qu'elle doit être aux ordres des élus du Peuple auxquels on pourrait adjoindre la Cour des Comptes.

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  6. Laurent, j'ai toujours le blocage Chrome sur votre blog :

    ==== Danger : Attention, logiciel malveillant !
    Chromium a bloqué l'accès à cette page sur www.gaullistelibre.com.

    Du contenu a été inséré dans cette page web par www.debout-la-republique.fr, un distributeur de logiciels malveillants connus. En consultant cette page, vous risquez d'infecter votre ordinateur avec des logiciels malveillants.

    Les logiciels malveillants peuvent entraîner, entre autres, un vol d'identité, une perte financière et la suppression permanente de fichiers.

    Continuez a vos risques et périls=====

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  7. "Le rôle des banquiers centraux : petit rappel historique" http://institutdeslibertes.org/le-role-des-banquiers-centraux-petit-rappel-historique/

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  8. @ Gilco56

    En même temps, Lemaire et Le Guen ont accepté tous les traités qui nous ont menés là où nous en sommes. Ils font comme Sarkozy et Hollande, disent une chose et en font une autre…

    @ Démos

    Si, je pense qu’il est le fruit du hasard, d’où les constructions très différentes qui subsistent : s’il y avait un grand dessein, alors nous arriverions à des banques centrales très proches, ce qui n’est pas le cas, preuve, à mon sens, que le monde de fonctionnement actuel doit beaucoup au hasard et aux circonstances, même s’il est juste que certains poussent bien leurs intérêts (cf négociations des normes Bâle 3, sur lesquelles j’ai déjà fait des papiers).

    @ Cliquet

    Le contrôle de la monnaie est, en effet, un élément déterminant d’un système économique.

    @ J-C Werrenbrouck

    Merci pour cette précision

    @ A-J H

    Pour moi, elle doit répondre au ministre uniquement, mais la politique monétaire pourrait être contractualiser une fois par an lors d’un débat suivi d’un vote à l’Assemblée Nationale, où serait fixé le montant de la monétisation par exemple, de manière à assurer un meilleur contrôle démocratique.

    @ JP

    Je sais malheureusement. Bizarre…

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  9. @ Laurent Pinsolle

    Merci pour cet article et le précédent.

    Ce la n'a rien avoir mais cela fait plusieur jour que le navigateur Google Chrome bloque votre blog par ce message :

    Danger : Attention, logiciel malveillant !
    Google Chrome a bloqué l'accès à cette page sur www.gaullistelibre.com.
    Du contenu a été inséré dans cette page web par www.debout-la-republique.fr, un distributeur de logiciels malveillants connus. En consultant cette page, vous risquez d'infecter votre ordinateur avec des logiciels malveillants.
    Les logiciels malveillants peuvent entraîner, entre autres, un vol d'identité, une perte financière et la suppression permanente de fichiers.

    Soit pour une raison ou une autre google suspecte réellement (à tort ou à raison un danger), soit il ne veut pas que votre blog soit lu... (à ce sujet la référence à DLR est curieuse, non ? )

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  10. @laurent pinsolle, nous sommes bien d'accord, c'esrt bien pourquoi j'ai dit que 'était de l'enfumage.
    Cependant, de vont nous nous taire à ce sujet ?
    @ A-J HOLLEBECQ, me semble t'il nous sommes d'accord !

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  11. La banque centrale doit dépendre de l’État OU être sous contrôle démocratique.
    C'est à dire qu'elle pourrait être indépendante des élus mais liée aux intérêts de la nation avec, par exemple, un directoire composé de représentants de chaque branche d'activité, sauf les banques car elles seraient juges et parties.
    Ou plus radical une assemblée tirée au sort pour surveiller que les fonctionnaires qui prennent les décisions agissent dans le respect des missions de la banque centrale.

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  12. Toujours tirage au sort ? le tirage est alléatoire ?
    un CONTROLE CITOYEN ELU au suffrage UNIVERSEL DEPARTEMENTAL ???

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